Mois: avril 2023

DnD / Trois mousquetaires / DnD

Oui, après la saison 4 de Stranger things, je suis de retour un an plus tard pour parler de JdR et de cinéma. Mais pourquoi Donjons et Dragons est revenu au coeur des préoccupations US ? je sais pas trop, je m’en fous (en vrai j’ai une idée mais ce n’est qu’un post facebook qui est deja beaucoup trop long). Par contre l’œuvre actuellement au cinéma est fascinante car elle réussit là ou des tas de trucs se cassent la gueule de l’autre coté de l’Atlantique depuis 20 ans, et surtout depuis la dernière décennie. Bref. L’ingéniosité de la démarche réside dans le fait de ne pas adapter une campagne de D&D au premier degré, mais un peu comme dans Stranger Things de mettre en scène les gens qui y jouent autant que ce à quoi ils jouent au même niveau. Les deux constructions deviennent indissociables à l’écran car c’est justement ça qui est au coeur du JdR depuis plus de 40 ans. C’est de jouer réellement une histoire pour la vivre et de s’amuser à vivre une fiction pour mieux jouer. Et donc le JdR contient deja en son sein, une part meta, une part de mise en abyme, une part de porosité entre fiction et réalité, et une part de polymorphisme narratif voire de modulation tonale (pour prendre un jargon musical qui sera apte à rendre compte des deux choses). C’est le principe qu’applique à cette adaptation les deux jeunes cinéastes. Et c’est là ou contrairement à toutes les grosses prod US qu’on se bouffe depuis une décennie, le recul des personnages sur le situations et les blagues au coeur de l’action sont pas seulement justifiées, mais justes. En prenant soin de rendre compte des mécaniques esthetico-narratives au coeur du JdR, la transmutation de ces principes dans le langage du cinéma sonnent justes et sont parfois assez touchants sans forcer sur les effets. Par exemple, le personnage de Chris Pine, porte en lui tout le comique du film et tout le tragique, tout le temps, en meme temps. Mais c’est parce qu’il joue au ménestrel autant qu’il est un ménestrel.

La ou le truc m’a impressionné, c’est qu’ils rendent tout ça clair dès le début. Le personnage se présente à un conseil, comme dans un passage obligé de JdR en racontant sa propre histoire qui n’est en réalité pas ce qu’il a vécu. Mais deja on nous présente le principe qui va régir le reste de l’oeuvre, car c’est ce qui régit le JdR, ce ne sont que des histoires dans des histoires dans des histoires…Et c’est pour ça qu’on s’en amuse mais c’est aussi pour ça qu’elles procurent autant d’émotions, car ces fictions, sont nos fictions. Et que dans ton personnage lors d’une campagne, il y a une partie d’affabulation pour correspondre à l’archétype du jeu, mais il y a aussi une partie de toi. C’est dans cet espace poreux entre une sorte d’intimité rendu explicite par les paravents des archétypes et une théâtralité assumée que grandissent les émotions des parties de JdR et donc de l’oeuvre. Mais les deux cinéastes ne s’arretent pas là. Ils vont incarner cette logique dans les scènes d’actions qui ont leur spécificité esthétique selon les personnages. La plus évidente est la jeune femme Wild Shape. Son pouvoir est de se transformer en toutes les formes animales possibles. C’est à dire que c’est un personnage totalement fluide. D’ailleurs l’actrice elle-meme a un coté androgyne (qui me fait penser à Link). Quand elle doit s’affirmer dans l’action, ça se fait par des plan-séquences ou justement la caméra s’affranchit des limites physiques et des coupures puisque c’est ce qu’incarne le personnage. Elle n’est pas limitée par une forme, donc la caméra épouse l’ensemble de ses transformations dans la durée, sans limites. Pareil pour le jeune sorcier dont les pouvoirs reposent aussi sur des spécificités esthétiques basiques du cinéma, pour lui, c’est l’espace. Puis la magie est affaire virtuelle, donc contient tous les possibles puisque c’est le pouvoir meme du langage, il peut s’affranchir de l’espace et du temps. Ce qui fait qu’il crée des brèches dans le plan/image pour se déplacer. Il refait lui meme du montage entre deux espace-temps. Et tout le truc se construit comme ça sur plusieurs niveaux qui s’emboitent avec une fluidité et une porosité réjouissante pour un blockbuster US. Dans ce meme mouvement, les acteurs eux-meme ressemblent plus à des joueurs de DnD réel (surtout en 2023, une fille androgyne qui ne se reconnait pas dans l’humanité, un jeune homme « racisé » qui subit le poids de sa famille, une femme virile tiraillée entre ses désirs, et un monsieur blanc barbu plein de culpabilité qui veut juste une famille…) qu’à des personnages de l’univers de DnD. Il y a meme une séquence que je trouve génial, dans le cimetière, ils doivent ressusciter des cadavres pour les faire parler et retrouver un objet. Deja c’est une quete basique et banale de n’importe quelle campagne de DnD, et il y a un certain plaisir à voir justement ce truc banal montrer comme une blague par l’absurdité des règles arbitraires du jeu (on peut poser que 5 questions au cadavre avant qu’il ne remeurt pour de bon). Mais la séquence va plus loin, alors qu’un des cadavres de soldat se lance dans son récit, une des plaines du cimetière se transforme en terrain de bataille qui va incarner les mots de ce dernier. Cette transformation à l’écran se joue dans une sorte de mutation de l’espace en temps réel, nous sommes littéralement transportés par la parole autant nous que les personnages qui écoutent le récit. Soudain le nouvel espace qui se dévoile est une sorte de champs de bataille digne du Seigneur des anneaux ou d’autres oeuvres d’heroic fantasy. Ce n’est meme plus qu’on a changé de temps, il semblerait meme qu’on ait changé de ton, voire d’oeuvre. La violence du champs de bataille dénote avec la rigolade du cimetière, tout ça en quelques secondes. Et puis soudain le personnage que l’on suit se fait écraser. Et l’on comprend qu’il nous racontait autant son truc épique, que sa propre mort. Puis ils vont ouvrir un autre cercueil et rebelote. Et soudain on se rend compte qu’en réalité le récit des cadavres fabriquent une carte imaginaire sous nos yeux, car le but de ces interrogatoires est de retrouver le casque de disjonction. Un objet mythique. En réalité, nous vivons une mise en abyme du jeu lui meme. Plus fascinant encore, nous retournons aux origines meme non pas du jeu, mais du courant littéraire médiévale dont il est l’une des itérations. Car la logique de récits fragmentaires, incomplets qu’il faudrait suivre pour retrouver un objet sacré, c’est la logique au coeur du conte du Graal. Et cette réminiscence cinématographique de la forme du palimpseste qui est à l’origine matérielle de l’esthétique et de la mythologie de cette littérature depuis un millénaire, entre deux blagues sur des cadavres est assez impressionnante. Et c’est dans ce genre d’ambitions que le film souffre d’avoir à sortir après 3000 ans à t’attendre qui avait fait de tout ça une oeuvre assez immense. Néanmoins, ce Donjons et Dragons s’inscrit dans le sillage d’un Miller, et pour de jeunes cinéaste, c’est assez fou.

L’autre truc c’est que justement la logique de palimpseste permet différents tons d’une scène à l’autre, ce qui signifie différentes esthétiques. Par exemple, le film assume pleinement les plans larges qu’il emprunte à Peter Jackson, et qui est devenu l’une des bases de la grammaire de l’heroic fantasy au cinéma. On inscrit des corps dans des décors qui les dépassent, la présence des corps renforcent l’incarnation du décors meme quand celui-ci est faux. La traversée et l’errance sont des structures récurrentes de toutes ces formes depuis leur origine littéraire. Mais le film assume aussi par exemple, une grammaire propre au jeu video, quand la mage Thay veut faire son grand sacrifice, l’apparition des particules rouges fait penser à des effets de chez Blizzard, et elle est filmée comme un boss de JV, dans une arène. Bref, je crois que l’année dernière, Paul Schrader avait fait un post facebook pour dire qu’il était clair maintenant que le cinéma avait aussi repris des choses du jeu vidéo (et il parlait de Park Chan Wook lol). Mais ce qui se joue dans ce DnD, c’est justement le fait que le cinéma peut encore s’approprier et transformer les différents langages esthetico-narratifs qui justement sont pertinents à une époque de métissage des images et des imaginaires. C’est pour ça que meme si je suis assez impréssioné, je suis pas étonné que deux jeunes cinéastes puissent le faire, car j’ai comme eux grandi dans tout ça, avec le cinéma comme base. Encore faut-il etre attentif à la matière au coeur des arts, des oeuvres, des jeux que l’on prétend adapter. Et contrairement à un film horrible sur un certain jeu sortie récemment, il ne s’agit pas de faire de jolies images fidèles. Il s’agit d’épouser meme dans les paradoxes absurdes les sensations bien réelles d’une oeuvre pour insuffler la vie à la sienne. D’ailleurs, pour mon idée sur le retour de DnD. C’est que souvent les artistes qui aiment les formes épiques, ont l’ambition de saisir une époque par le prisme d’une mythologie qu’ils inventeraient ou dont ils revendiqueraient l’héritage. DnD (entre autres) est le Conte du Graal US, DnD est le Seigneur des Anneaux US, DnD est le Mahabharata US, DnD est La Pérégrination vers l’Ouest US ou meme les Trois Royaumes. C’est un des marqueurs mythologiques et une matrice d’un imaginaire qui permet de suivre au grée des auteurs, comment l’Empire se voit selon ses exégètes et ses scribes. Ce n’est donc pas un hasard si les exégètes et les scribes font leur grand retour pour narrer les hauts faits et la chute imminente de l’Empire US. A ce niveau, c’est presque un cliché, presque un simulacre de mythologie, ce qu’est un peu DnD car c’est aussi ce que sont les USA.

Bref, incroyable oeuvre quand meme. J’ai aussi vu une oeuvre moins incroyable. Les Trois Mousquetaires de Bourboulon. Et justement le grand écart avec DnD est étrange. D’ailleurs l’un des problèmes du film est cristallisé par la meme figure de style qui signe la réussite de DnD, le plan-séquence. Les combats de Bourboulon sont en plan-séquence, il y a deux ou trois problèmes à ça. Le basique est celui de l’escrime, ce n’est pas un art martial dont la cinégénie impressionne surtout lorsque l’on ne met pas en évidence les passes. Le second bien sur, les acteurs, aussi entrainés soient-ils, ils ne peuvent rendre justice à des chorégraphies plates sur une durée réelle, la captation longue ne fait que rendre explicite l’artificialité de la chose et donc nous empeche de ressentir la brutalité ou le caractère organique des affrontements. Et puis le rythme, tout semble arriver comme dans une cinématique de jeu vidéo, mais cette fois dans les défauts que ces dernières peuvent avoir, elles sont mécaniques. Elles sont une démonstration technique des capacités d’une machine. Et c’est ça le truc avec le film, c’est qu’il fait des choix qui joue contre son origine littéraire sans les assumer pleinement. Il ne veut trahir qu’à moitié Dumas. Cette volonté de réalisme ne rend pas compte de la fougue feuilletonesque dont est fait la matière d’origine, du moins pas totalement.

Coincidence de la vie, j’ai rattrapé les deux films de la saga Kenshin la semaine dernière (car je rattrape les 4 ou 5 dernières années de blockbuster des gros pays d’Asie…). Et le cinéaste Keishi Ohtomo est dans la meme situation que Bourboulon, il adapte un manga qui raconte des évènements historiques mais d’une manière fantasmée voire romancée. Ce qu’il fait c’est qu’il va assumer non pas la matière historique, mais la matière impressionniste du manga. Il ne fait donc pas un film Kenshin, il fait d’abord un chanbara qui se trouve etre l’adaptation d’un manga ce qui l’autorise à pousser le caractère fantastique des combats. Et donc il met en scène des chorégraphies nouvelles avec le génial Kenji Tanigaki. La saga réinvente presque les combats de chanbara en y ajoutant des jeux de câbles qui viennent du cinéma chinois. Il joue aussi en meme temps sur les transformations du Japon qu’il dépeint celui du début de l’ère Meiji donc de l’occidentalisation du pays. Tout ça dans les scènes de combats. Et pour le spectateur, ces mouvements et ces ballets sont nouveaux au cinéma de la meme manière qu’ils le sont pour les personnages qui découvrent les armes occidentales. C’est là ou échoue Bourboulon, c’est qu’en faisant le choix de tenter d’etre fidèle à la réalité historique, et non pas à la vision de Dumas, il se retrouve coincé dans les méandres du brouillon. On voit parfois les intentions, on ne ressent pas grand chose. Mais ce n’est pas un naufrage. Car alors qu’il trahit Dumas à moitié, c’est justement la puissance de ses intrigues entre complot et passion, qui font que l’on suit le film sans déplaisir. Paradoxe de tout ça, je dois meme dire que l’esthétique télévisuelle (et c’est là deuxième fois de l’année que je le dis, ça devient grave) de Bourboulon dans la majorité des scènes, laisse la place à la langue de Dumas qui surpasse le projet cinématographique voire le porte sur son dos. J’aime aussi que les acteurs jouent leur role. C’est deja un truc que j’aime bien dans les blockbo internationales parce que je suis un iencli, genre j’aime bien que Duris joue Duris, que Garrel joue Garrel etc… Parce que j’aime bien quand Gosling joue Gosling ou quand Shota Sometani joue Shota Sometani. C’est bien qu’on le fasse en France lol. Y a aussi deux ou trois séquences pas mal, la poursuite des chevaux en nuit américaine. Ou la réapparition de Cassel dans la foret comme un spectre (mais je dois quand meme dire que les indonésiens ont deja fait le coup dans The Night Come For Us, et pour bien montrer qu’ils sont plus forts, ils l’ont fait en plein jour, avec de la vraie baston…). En gros on dirait un truc de Annaud un peu des fois. Reste Eva Green qui joue Eva Green, mais elle m’a deja fait voir Sin City 2. Donc bien sur, Dumas et Green vont me faire revenir pour la partie 2. Il semblerait que la France échappe au destin de l’Empire US car quelques artistes depuis 2 ou 3 siècles parviennent meme à travers l’hubris de Seydoux à nous faire croire que tout n’est pas encore foutu dans ce pays. Le problème c’est que le roi est toujours présent, dans la fiction de Dumas et peut-etre dans notre réalité. Dans les deux cas, il est une garantie de mort pour tout le monde sauf pour lui et ses intérets. Mais pourquoi la monarchie est-elle revenue au cœur des préoccupations françaises ?

Suzume Slayer

Quelques machins à dire sur Suzume. D’abord, de lire le texte de Justin : http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/…

qui dit des tas de trucs avec lesquelles je suis d’accord. Maintenant que vous avez lu. La trilogie de Shinkai est évidente et donc on peut pousser quelques trucs. Le premier plan de Suzume est un plan subjectif ou l’on épouse le point de vue de la jeune fille durant le moment le plus traumatique de sa vie. C’est bien sur aussi celui du spectateur (car Shinkai pense ses films pour le public japonais avant tout. D’ailleurs ça me rappelle que le dernier plan de Shin Ultraman est aussi un plan subjectif qui remet le spectateur au centre…). Ce premier plan contient deja le coeur de tout ce qui va se dérouler mais surtout replace les deux autres films de la trilogie à leur propre échelle. Si Suzume n’est en réalité pas une histoire d’amour en soi, mais une histoire d’amour de soi. C’est parce que l’opération de communion de Shinkai depuis trois films atteint l’échelle individuelle, donc elle doit apprendre à s’aimer. Le spectateur est donc invité à effectuer cette meme opération à travers son regard que l’on épouse dès le premier plan. C’est la phase finale, après que Shinkai nous ait rappelé que nous devions communier avec l’ensemble du réel dans Your Name voire le cosmos, puis avec la société dans Les Enfants du temps. On passe donc de l’échelle cosmique, à l’échelle sociale, puis à l’individu. L’harmonie au sein de l’unité de l’ensemble du réel est enfin retrouvée.

Dans Your Name, c’était surtout une histoire de grand angle et de décalage. Le grand angle (ou la courte focale) nous donnait la sensation que les deux personnages de Your Name étaient toujours inscrit dans des espaces immenses qui les dépasse, que ce soit la ville ou la campagne. Tout le truc reposait sur le fait qu’il devait accepter de s’unir sous le meme ciel, alors que l’espace/temps lui meme les séparait. Le grand angle permet d’apprécier l’espace presque comme une sphère ou le ciel semble se courber comme l’espace-temps sous la poids de la gravité de la planète ou peut-etre de notre regard qui en possède la force de gravité dans la salle de cinéma. Ils devaient faire la paix avec les conditions meme de l’existence, l’espace et le temps, autant que la fatalité de la condition humaine et de sa fragilité dans le cosmos (la menace est littéralement une météorite…). Le miroir était que si le cosmos n’était qu’une question de chance pour la mort (la destruction du village), il l’était aussi pour la vie (le héros qui revit sa propre naissance, dans la fameuse scène du « musubi »). C’est d’ailleurs pour ça que Your Name est largement au-dessus des deux autres (meme si je les aime tous) et le restera, difficile de faire plus que de faire ressentir aux gens le vertige de leur existence comme un vertige amoureux. Dans les enfants du temps, l’échelle rétrécissait. Un jeune homme qui venait de la campagne voulait s’installer à Tokyo. Il est confronté à la réalité de l’existence sociale conditionné par le capitalisme, bref il doit gagner de l’argent, devient presque SDF, et fait l’expérience de la violence d’un monde vertical. Car c’est un monde de classe. L’opération du film consiste à montrer, encore une fois, que nous sommes tous soumis à des choses qui nous dépassent au-delà de l’illusion capitaliste. Shinkai utilise l’inondation comme figure d’horizontalité. Et encore une fois si pour le public occidental ça ne veut pas dire grand chose, pour le public japonais inonder Tokyo, ça trimballe tout un imaginaire. La Submersion du Japon est souvent l’outil figuratif qui permet aux cinéastes japonais de discuter des faits sociaux (sans faire explicitement un cinéma engagé) car l’horizontalité forcée qu’oblige l’inondation remet au centre des enjeux la lutte des classes car tout le monde veut atteindre « le plus haut point des villes » qui dans notre monde urbain signifie de grimper sur le toit des batiments avec toute la symbolique que ça implique (On peut le voir récemment dans Bubble de Tetsuro Araki ou dans la récente version de La Submersion du Japon par Yuasa. Mais on peut meme remonter jusqu’aux Funérailles des Roses ou le personnage de Eddie en colère contre la société japonaise de son temps dans un cimetière dit quelque chose du genre « j’aimerais bien que ce pays sombre sous les eaux blablabla »). Et que donc la lutte devient littéralement le combat physique pour la survie car tout le monde est égal face à l’océan qui comme une justice divine, est aveugle et remet les puissants et les miséreux au même niveau, celui de la mer. La mise en scène des Enfants de la pluie est toute en verticalité car elle épouse les enjeux de l’urbanité sociale, les buildings, de la plus grande ville au monde autant que son contre-champs vivant, la pluie. L’un s’érige vers ciel, l’autre tombe des cieux. Au milieu les hommes se débattent dans des chimères que la solidarité voire l’amour peuvent vaincre dans la mesure ou l’on s’y investi pleinement. Enfin dans Suzume, c’est une histoire de regard, d’horizontalité voire d’horizon. Comme ce premier plan subjectif. Mais aussi comme ces plans de miroirs.

Plusieurs fois dans l’oeuvre, Suzume se regarde devant un miroir. Le truc étonnant c’est que l’une des premières fois, le miroir est sale. On le remarque bien car c’est assez notable dans un film d’animation de faire de la saleté réaliste sur un miroir (d’ailleurs il y a un truc shinto à l’œuvre puisque la purification est l’un des gestes récurrents aux cérémonies). Et plus le film avance, plus il devient clair, jusqu’à son dernier regard devant le miroir de chez Sota qui pour le coup est parfaitement clair. Entre temps, elle parcouru le Japon. Mais c’est surtout un parcours du deuil, une cartographie de la souffrance et du deuil du pays. Et partout ou elle passe, le chat-dieu qui la guide apparait d’abord comme une image. Image qu’elle suit sur son gps comme si son GPS lui indiquait des moments de sa propre psyché, et de la psyché du spectateur qui les voit, donc du Japon. Ce qui rappelle Voices in The Wind de Nobuhiro Suwa (avec la très très très jolie Serena Motola qui est l’argument principal de visionnage !), mais qui contrairement à Shinkai n’avait pas de cartes, car Suwa mettait en scène l’errance d’une orpheline de Fukushima, Shinkai met en scène une quete. Et dans l’oeuvre, on nous signifie que les dimensions se superposent par la présence des papillons. Il y a toujours à plusieurs moments clés du film, des papillons. Deux papillons. Bien sur ils indiquent la transformation, le passage à l’age adulte, le deuil etc…Mais ils nous indiquent aussi la dimension onirique, psychique de ce que nous voyons, c’est un voyage dans le Japon comme la conscience endeuillée d’une adolescente qui devrait embrasser sa souffrance et surmonter sa perte. Mais si le premier papillon est pour Suzume, le deuxième n’est pas pour Sota qui n’est qu’un guide. Le deuxième papillon est pour l’autre personne qui a fait tout ce voyage, le spectateur.

Sinon truc qui n’a rien à voir. Suzume joue beaucoup des effets de diffractions, de résonances, et de reflets. Car bien sur, il y a toujours plus que ce que l’on voit. Et maintenant qu’on arrive à la fin de ce qui semble etre une trilogie, d’ailleurs on peut noter que RADWIMPS clos le film, là ou RADWIMPS commençait Your Name. Le jeu des résonnances avec les réseaux sociaux me rappelle que l’on voit beaucoup d’images du Japon conditionné par Fukushima. Je pourrais citer des tas de films ou séries qui affrontent directement ou indirectement la catastrophe, et c’est tout à fait normal. Le Japon a les moyens d’exister dans notre imaginaire et sa souffrance aussi. Dans le meme temps je me disais qu’il existe aussi une ile, qui a également une grande culture et une mythologie propre, et qui a aussi subi une catastrophe similaire. C’est Haiti. Pourtant je peine à trouver des images sauf celles des journaux TV de l’époque que j’ai vu, ou celles que je me suis imaginé quand un pote de lycée qui avait vécu la catastrophe nous l’a raconté comme l’un des trucs les plus glaçants que j’ai pu entendre de ma vie. Pourtant pas d’images en réalité. Est-ce que la reconnaissance d’un deuil collectif ou justement d’une existence commune dans la souffrance est aussi affaire de moyens ? Dans le meme temps, il n’y a meme pas deux mois, une catastrophe frappait aussi des pays du moyen-orient. Le pire cette fois, c’est que ces images semblent filtrés voire interdites. Le ciel de Makoto Shinkai ne serait donc qu’un ciel japonais ? En attendant, allez voir Suzume. C’est deja l’une des portes qui est accessible pour les autres, chacun doit effectuer son propre voyage.

Pendant que j’y suis. Demon Slayer a recommencé. Et je dois faire remarquer un truc qui me taraude. L’autrice d’un des meilleurs shonen, donc manga pour « garçons » n’a de cesse de détruire l’imaginaire « otaku » des jeunes japonais. Non pas que ce soit parce que c’est une femme (d’ailleurs elle a l’anonymat donc comment etre sur), mais comme j’en parlais deja il y a 1 an, il y a deja tout un jeu sur le genre et les incarnations fluides de la virilité dans l’anime. Le truc c’est que si on change d’échelle, on va un peu plus haut, chaque antagoniste pour l’instant (car je ne regarde que l’anime) est un symbole canonique des « otaku » nippons. Le premier dans la foret des insectes, beh les jeunes garçons japonais adorent collectionner les insectes (c’est de la que vient Pokemon). Tanjiro et les autres vont détruire ce fantasme. Puis le train, ou disons la culture Densha. Tanjiro et ses amis se battent littéralement contre le train. Puis le quartier des plaisirs, donc la prostitutions, la pornographies et autres. Tanjiro et ses amis vont littéralement se battre contre une incarnation de la prostitution puis détruire le quartier des plaisirs. Et là, je crois qu’on en est aux forgerons donc les armes. Bref, il y a quelque chose d’assez fascinant à l’oeuvre dans tout ça. L’ennemi dans Demon Slayer c’est littéralement la modernité quand elle s’incarne dans les fétiches otaku que l’autrice prend un malin plaisir à défoncer tout en rappelant qu’il suffirait que ses héros viriles aient juste un peu de maquillage pour qu’ils passent pour de belles femmes. Il est bien question de tuer des démons, mais pas ceux que l’on croit.

LCU

3 films de Lokesh Kanagaraj. Jeune cinéaste tamoul. On pourrait dire de Kollywood, mais je ne sais pas car les termes blabla-wood sont des termes d’industries ou de marketing. Dans les oeuvres, quand les personnages parlent de films, ils précisent seulement la langue, ils disent pas « Bollywood » ou « Tollywood ». Bref. D’ailleurs Rajamouli et d’autres ont deja exprimé qu’ils n’aimaient pas qu’on utilise ces termes car on dirait qu’ils sont en-dessous de Hollywood, alors qu’ils ont leur propre histoire et culture de cinéma. Tout ça pour dire Lokesh Kanagaraj est un cinéaste tamoul. Donc qui évolue dans l’industrie régionale. Le truc c’est qu’il construit son propre univers de cinéma, lui aussi. Le LCU qui a pour originalité de n’etre pas nommé après un personnage, une marque ou autre, mais son propre prénom, Lokesh Cinematic Universe. Qui n’a pour l’instant que deux films (et un troisième à la fin de cette année normalement). La particularité de son délire, c’est que contrairement au YRF Spy Universe de Aditya Chopra (dont je disais des trucs y a 2 semaines) ou au tout nouveau Astra Universe en collaboration avec Disney (dont vient Brahmastra dont je parlais y a quelques jours), bref, deux trucs Hindi, beh il n’est pas dans une logique de « super » quelque chose. Contrairement aux deux autres qui tentent d’émuler pour l’un Mission Impossible/James Bond et l’autre Marvel/DC, Lokesh Kanagaraj tente de construire un truc qui serait plus proche de l’oeuvre de Sam Peckinpah ou de John Carpenter. Ca peut paraitre étrange, mais contrairement à la vision Ubermensch (et parfois objectiviste) des blockbuster Hindi, les blockbuster Tamoul sont assez marxistes. Dans le sens ou ils tentent toujours de bâtir les œuvres sur les tensions du matérialisme dialectique ou historique. Il n’y a pas de grandes valeurs mystico-civilisatrice à promouvoir, il y a la lutte des classes, et dans cette lutte survient des héros avec des aptitudes qui peuvent « paraitre » extraordinaire. C’est ça le LCU.

Dans Kaithi en 2019, un prisonnier qui est libéré sur parole pour une journée doit conduire malgré lui un camion plein de policiers endormies par une drogue d’un point A à un commissariat en évitant les pièges des trafiquants de drogues sur la route qui veulent en finir une bonne fois pour toute avec la police (une structure de Western) . Dans le meme temps une autre équipe de trafiquants tente de prendre d’assaut le commissariat en question pour reprendre la saisie record que vient d’effectuer la police avant l’arrivée du convoi plein de flics endormies. En réalité, ce double truc Hawksien/Fordien sert à Kanagaraj de toiles de fond pour explorer les structures du narcotrafic dans la région. Des implications politiques à leur répercussion dans le quotidien voire l’intimité des individus. Tout est passé sous le crible (un peu grossière mais incisive) de cette vision de Western. Jusqu’à la rédemption du prisonnier en question, puisque Kaithi en tamoul veut dire prisonnier. Sauf qu’il ne doit pas s’échapper d’un espace réel, mais de sa condition. Et c’est là ou le cinéaste rejoint ceux des autres régions dans leur construction esthétique des héros, qui est propre à la culture indienne, entre mort, renaissance, feu et eau. Tout ça est assez passionnant sans etre virtuose. Et si j’inscris Lokesh Kanagaraj dans une histoire du cinéma plus vaste, c’est que lui meme est un cinéphile qui revendique sa cinéphilie dans ses oeuvres. Les personnages écoutent des musiques de films indiens des années 80 ou 90. Souvent dans une logique méta, qui m’échappe dans la majorité des cas, sauf quand elle est explicitée par plusieurs occurrences ou sauf quand elle est au cœur meme de l’œuvre comme dans le second film du LCU, Vikram.

Vikram est la deuxième oeuvre du LCU, et en meme temps une sorte de remake/suite à une oeuvre éponyme sortie en 1986 qui a fait date dans le cinéma tamoul car elle abordait des histoires d’espionnages (comme la saga hindi actuelle de Tiger…). Le truc c’est que le scénariste et l’acteur principal de l’oeuvre de 1986 est également l’acteur principal au coeur de cette version de Vikram en 2022, Kamal Hassan. Bref, le film a tout une sorte de meta-histoire que le public Tamoul comprend très bien, car c’est leur histoire du cinéma qui se rejoue dans l’oeuvre, mais que l’on comprend aussi en le regardant. Néanmoins, je vais pas partir dans de grandes explications ici. Je dirais juste que là ou l’espionnage dans les années 80 permettait toute une réflexion sur le nationalisme et les rivalités régionales de l’Inde, le glissement dans la lutte est que cette fois, Vikram se bat contre le narcotrafic. En gros, les deux forces derrière l’oeuvre que sont Lokesh Kanagaraj et Kamal Hassan réalisent la gravité vertigineuse de l’ampleur du trafic dans la région, et décide de la traiter dans un blockbuster qui comme je l’ai dit plus haut, rejoue une lutte des classes de western dont le héros serait celui qui serait pret à se sacrifier pour cette dernière. Et qui par des qualités cinématographiques auraient acquis des pouvoirs lui permettant de donner une image, extraordinaire, de victoire sur le capital dont le narcotrafic serait l’ultime émanation. Il y a tout un jeu de miroir au sein de l’oeuvre (et meme meta mais celui-ci m’échappe puisque je n’ai pas vu le film de 86), entre un jeune inspecteur d’une unité secrète de la police, le chef des trafiquants et Vikram. Qui rappelle encore une fois les visions de Peckinpah dans Pat Garret et Billy The Kid. Et surtout les deux derniers actes aussi bien de Kaithi que de Vikram ont pour climax des mitrailleuses Gatling qui viennent par leur simple présence transformer les régions reculés du Tamil Nadu en une plaine mexicaine fantasmée. Ce jeu de résonances et de miroirs qu’orchestre Lokesh Kanagaraj au sein de ses œuvres, puis du cinéma tamoul et enfin de l’Histoire du cinéma va jusqu’à embrasser la réalité de la lutte sociale indienne sous sa forme la plus récente dans Master en 2021. Film que le cinéaste a fait entre Vikram et Kaithi.

Dans Master, le cinéaste (qui est aussi scénariste de toutes ses œuvres) met en scène un professeur à la GTO dans une université BCBG. Après avoir encouragé une élection il se retrouve au coeur d’une bagarre à cause d’une partie « facho » des étudiants et est forcé d’etre un prof dans une prison juvénile livrée au contrôle…des narcotrafiquants. Après la police, la prison, l’école, et enfin l’école prison. Ce monsieur Kanagaraj doit etre un grand foucaldien ! La ou Master est étonnant c’est qu’il montre la descente en enfer d’un professeur optimiste dans les profondeurs de la violence du narcotrafic, et le spectateur avec. Il montre aussi comme dans certains films/série de Sergio Sollima (Sicario 2 ou ZeroZeroZero), l’impasse qu’est-le narcotrafic (d’ailleurs le perso de Benicio del Toro dans Sicario 2 a le meme parcours de mort/renaissance que les héros de films indiens, seul un surhomme peut vaincre et exister dans ce monde…Triste constat du Mexique à L’inde en passant par l’Italie). En gros, l’oeuvre se déroule 3 mouvements, le premier à la fac, le deuxième à la prison juvénile ou justement il y a tension entre les deux mondes (on irait meme jusqu’à dire dialectique), et le troisième qui rejoue la logique à la Peckinpah présente dans le LCU, donc une chasse à l’homme. Sauf que chacun des mouvements montrent qu’il n’y a pas d’alternative à la violence face au trafic, celle à l’université montre que le dialogue est impossible, celle dans la prison juvénile montre que de réformer la prison ne sert à rien non plus, il ne reste que la destruction des forces en présence qui est une auto-destruction puisque justement ce que montre bien Kanagaraj comme ses illustres pères de cinéma qu’ils soient indiens ou occidentaux, c’est que le monde souterrain du trafic est à la base du fonctionnement de la société visible. Les deux sont interdépendants, il faut donc détruire le capitalisme dans son ensemble. Ou l’abandonner. On pense au dernier plan de Kaithi ou le prisonnier après avoir sacrifié tout ce qu’il avait pour sauver la police, se retrouve à marcher en sens inverse de l’autoroute avec sa fille, car il voulait simplement voir sa fille. Et cette image n’est possible qu’en allant contre le flux. Il y a aussi une autre image qui me reste en tete chez ce bon vieux Lokesh. Dans Master, le professeur doit intervenir quand des voyous à la solde d’un riche réac veulent casser l’université car l’élection a été gagné par une jeune femme et non par le fils de riche. Dans toute une nuit sans savoir de Payal Kapadia sortie l’année dernière chez nous, on voit une image de vidéosurveillance réelle montrant la meme chose. Des mecs armés qui viennent casser la fac. Le contre-champs de fiction qu’apporte Lokesh Kanagaraj, c’est que dans son monde de héros, quelqu’un peut leur tenir tete. Dans la réalité indienne que nous apporte le film de Payal Kapadia. Les étudiants se sont fait tabasser. Peut-etre que les deux esthétiques opposés se rejoignent dans le constat qu’un dialogue est impossible, une réforme inutile. Il ne reste que la violence. La grande impasse reste de savoir si les qualités héroïques des figures de Kanagaraj peuvent réinvestir le réel. En attendant, il n’y a ni Kaithi, ni Vikram ni Master. Par contre le désespoir qu’ils combattent n’a aucun mal à s’incarner chaque jour dans des forces dont nous feignons ne pas connaitre l’ampleur. Néanmoins, il reste une lumière, il reste un espoir comme chez Peckinpah. La mitrailleuse Gatling est réelle.

Photo et photons

En regardant Brahmastra, je pensais au grand délire du « cinéma luciférien ». Deja, pour les Indiens c’est quelque chose de présent, nous on en fait tout un plat dans l’heroic fantasy ou dans tout un tas de trucs, pour eux, c’est simplement Diwali. Peut-etre que j’aurais du appeler ça le « cinéma Diwali » ? Bref. La lumière est donc au centre de l’oeuvre. Le truc fou c’est qu’ils en jouent de toutes les matières car ils ont les moyens d’un mega blockbuster. Des lumières naturelles, aux néons, en pensant par les éclairages numériques bref, tout y passe. Le personnage principal « Shiva » (oui) doit apprendre à contrôler le feu. Car il découvre qu’il est un membre central d’une guerre mythologique qui remonte au fondement même de l’Inde. Il est frappé de visions durant toute une partie de l’oeuvre. Sauf qu’un moment, ses visions se melent au présent et font glitcher l’image. Bien sur c’est léger (c’est pas du Perconte…), mais c’est assez juste pour que durant la minute ou l’évènement se produit, j’ai cru que c’était mon fichier qui buggait. Et là je me suis dit que Ayan Mukerji, le cinéaste, était assez fou pour aller au bout de sa logique de la lumière dans le plus gros blockbuster Hindi de l’année dernière. Il est dans les pas de Cameron, Miller ou Tsui Hark.

Les Indiens comme les Chinois n’ont aucun problème à assumer le faux comme faux et donc à exploiter pleinement les possibilités de la mise en scène numérique. Il y a dans Journey To The West : Demons Strike Back de Tsui Hark, une réplique entre deux personnages que j’aime bien qui explicite la démarche de Tsui Hark à ce sujet. Le moine arrive dans une ville contrôlée par une sorte de sorcière, et il ne comprends pas pourquoi les gens sont pris sous son charme puisque les miracles qu’elle produit sont clairement faux. Et la sorcière lui dit un truc du genre « c’est parce que je ne veut pas faire croire l’illusion. Il faut montrer le faux comme du faux pour que l’effet soit vrai », quelque chose comme ça. C’est là par exemple que ces deux cinéma ont embrassé totalement l’artificialité au coeur du cinéma car ils ont le sentiment qu’ils touchent quelque chose de vrai. Dans Bramhastra, la premiere heure rappelle d’ailleurs le Hollywood classique des années 50 dans le traitement des espaces, des éclairages et de la romance. On ne se dit jamais à aucun moment que c’est réaliste, mais on se dit que c’est juste, juste dans ce que peut le cinéma. Il n’y a donc pas de dualité inhérente entre la réalité et sa mise en image dans ces deux cinéma.

Le truc c’est qu’entre note conditionnement au langage du cinéma et le réel tel que nous en faisons l’expérience, il y a justement un endroit à explorer. Et c’est là que va se loger Bramhastra dans sa deuxième partie qui a une sorte d’étrange virtuosité. Ce n’est pas contre-intuitif de montrer ce qui n’existe pas de manière impossible au contraire, comme une sorte de loi abstraite on s’accommode très bien que moins fois moins fassent plus. Si on revient à une sorte de base matérielle, notre oeil n’est pas fiable, la réalité telle que nous en faisons l’expérience n’est qu’une vision partielle et amoindrie du vivant et de la matière qui existent réellement. Je dois avouer que pour ma part, je n’ai pas besoin d’utiliser de grands raisonnement pour comprendre tout ça, il suffit que je ferme mon oeil gauche et mon oeil droit me rappelle la certitude du trouble au coeur de nos limites organiques. Concernant la camera, je vais aller au bout de mon délire luciférien (Diwalien ?), les photons qui sont constitutifs de la lumière ont une double propriété, onde-particule. Si on le voit comme une dualité, on pourrait aussi le voir comme une continuité voire une fluidité. Ainsi par effet de synecdoque, on pourrait se dire que les meme effets s’appliquent à la lumière dont nous faisons l’expérience. Et c’est d’ailleurs je crois l’un des horizons du cinéma numérique, d’arriver à une lumière fluide voire une lumière liquide. Alors que le cinéma « chimique » nous donne une idée de ce qui est possible entre fixation de la lumière solide (photogramme) et continuité, mouvement, onde (projection ou du moins déroulement des captations). Et si on considère que le cinéma (du moins la caméra et le montage) sont des outils de connaissances, cad des choses qui ont une valeur scientifique dans notre rapport à l’existence, il se peut que les connaissances qu’il nous apporte dépasse nos limites empiriques dans une sorte de débordement de la conscience. D’ailleurs on découvre très récemment que le satellite James Webb qui a donc juste une meilleure qualité de captation de la lumière remet en question notre vision de l’univers. Le cinéma nous donne aussi à voir et à ressentir l’existence au-delà de ce que nous pouvons, meme au-delà de la subjectivité (donc reve, délire, hallucination…). Il peut nous donner une idée des dimensions de la matière et des corps qui existent comme des sortes d’intuitions.

La scène de glitch m’a justement donné l’impression que la réalité m’échappait à ce moment à l’instar du personnage de Shiva. Il y a eu quelque chose du vertige, mais du vertige devant l’expansion soudaine de ce que je pensais exister à l’écran, et en quelque sorte de la réalité. Et ce sentiment m’est resté jusqu’à la fin ou justement j’acceptais de manière totalement fluide tous les évènements de plus en plus épiques et improbables qui s’enchainaient comme une sorte de logique organique du monde. Ce superposait à ça, tous les discours des personnages, sur l’amour, la lumière, le cosmos. Et comme dans trois mille ans à t’attendre, dans The Way of Water ou dans des Tsui Hark, j’avais l’impression non plus de voir des images mais des visions, que la fluidité était telle que l’on arrivait à un degré de partage sensible assez troublant. Bien sur Brahmastra n’est pas au niveau des oeuvres que je viens de citer (il aurait pu s’il avait un meilleur équilibre…), mais cette dernière heure qui combine tout ce que peut le cinéma numérique dans l’espace-temps qu’autorise le visionnage était assez fou. Et le truc c’est que quand Shiva se transforme, je n’étais pas surpris, ni excité, j’étais soulagé comme si mon corps lui meme exprimait la transcendance du personnage de manière aussi prosaïque que ma propre respiration. Le vertige c’est que justement il n’y en avait pas. Car si cette lumière m’avait donné à voir des choses impossibles, j’avais la certitude trouble qu’elles existaient de toute façon.

Et je crois que c’est pour ça que depuis l’accélération numérique du cinéma, les structures qui mettent en scène ce potentiel sont souvent mythologiques. Après tout, la mythologie n’est qu’une explication sous une forme esthetico-narrative des évènements du réel dont nous pouvons sentir l’existence mais dont le fonctionnement matériel nous échappe. Il est donc pertinent dans une certaine mesure que le cinéma s’approprie cette forme pour explorer l’inconnu de la lumière tant que le regard humain est en son centre. Je parle de luciférien ou de Diwali. Mais j’aurais pu retourner aussi à l’un des fondements de la culture judeo-chrétienne. Fiat lux et fiacta est lux. La religion hébraïque est aussi celle que permet la lumière et le verbe. Sauf que le verbe est texte. Le texte nécessite la lecture, le déchiffrement de signes et de symboles organisés dans la matière du réel par notre propre regard, par nos visons. Bref, par notre oeil. Le glitch au coeur de mon expérience de Brahmastra est de cet ordre. La lumière m’a fait défaut et m’a ramenè au sublime de ma condition, qu’elle soit numérique ou matérielle, elle m’avait rappelé la fragilité de ma propre existence. En une demi-seconde, il m’avait semblé que les ténèbres de la suture qui lient les images étaient devenus l’ordre rassurant du monde. Et je dois avouer qu’il y a un frisson singulier ressentir comme réconfortant l’ordre du néant complet. C’est peut-etre ça que combat Shiva, l’incarnation même de la somme de toutes les peurs, le néant par la lumière.

Et que le cinéma ne fait que commencer son exploration, sa connaissance et sa reconnaissance.

Mais sinon c’est aussi que j’aime bien quand y a beaucoup de sons, beaucoup de lumières et beaucoup de couleurs !

ADITYA CHOPRA / TOM CRUISE / YRF SPY UNIVERSE

Récemment comme beaucoup de gens très attentifs, je me suis mis à rattraper les blockbuster et le cinéma Indien indépendants. Il faut quand meme dire qu’il y a eu plusieurs coups de semonces sur le fait qu’il se déroulait quelque chose dans ce paysage cinématographique à l’image du bouillonnement du pays. Bien sur il y a eu les coups de Anurag Kashyap (qui depuis a traité Hollywood d’avoir une mentalité coloniale à l’encontre de Rajamouli), puis les deux coups de semonces de S.S.Rajamouli. D’abord Eega en 2014/2015 qui avait causé un engouement dans la niche dans la niche, les amateurs des cinéma d’Asie qui sont en plus amateurs de cinéma indien. Mais surtout Bahubali dont une séance légendaire à l’Etrange Festival (il fallait y etre !) a imprimé les visions du cinéaste dans nos rétines. Et puis RRR, qui est la balle dans le cœur. Choc tectonique qui nous informait que nous ne pourrons plus feindre d’ignorer ce qui se passe en Inde, la plaque asiatique du cinéma était entré en collision avec l’Europe puis l’Amérique. Et puis dans le versant « opposé », il y a eu « Toute une nuit sans savoir » de Payal Kapadia. Chose étrange, le film fait plusieurs références à Godard car c’est un film de luttes pour le cinéma (et pas que) par le cinéma. L’étrangeté ne vient pas des références elles-meme, mais du fait que le dernier entretien public qu’a donné l’Ermite de Rolle de son vivant par visio est une discussion avec un festival/une université indienne. Et je me rappelle que l’une des intervenantes indiennes demandait à Godard pourquoi il n’était jamais venu en Inde ? Et il a répondu, je crois, qu’il devait mais qu’il a raté l’occasion quelque chose comme ça avant de digresser dans ses préoccupations du moment. Godard lui meme comme il l’a toujours fait nous indiquait peut-etre là ou il y avait quelque chose à regarder, à sentir et à penser sur notre temps. Et c’est peut-etre dans les images du cinéma indien qu’il faut chercher à comprendre l’état du cinéma voire du monde. Le grand écart entre Rajamouli et Kapadia n’est en réalité pas si grand, il est à l’image du chaos paradoxal du pays qui reflète celui du monde, mais on aura l’occasion d’en discuter durant l’année, car tout ça ne fait que commencer.

Pour ma part, comme beaucoup de cinéphiles tres attentifs, je guette désormais les sorties indiennes. Et surtout celles des blockbuster pour la simple raison que j’aime savoir comment les pays se voient ou se pensent, et il y a n’y a rien de mieux que de regarder les images les plus vus. Egalement, les qualités de cinéma de ces oeuvres sont parfois très largement supérieur à leur pendant occidental. Je rappelle quand meme que les Indiens ont un prix qui a la dénomination suivante : « The National Film Award for Best Popular Film Providing Wholesome Entertainment ». Ils gardent donc une science du spectacle, du caractère forain du cinéma, qui a disparu à Hollywood à part deux ou trois saga. Bref, tout ça pour dire qu’il y a un ou deux mois, j’ai vu Pathaan en salles. Puis durant le visionnage je me suis rendu compte que des choses m’échappaient, en effet Pathaan est le 4eme volet d’une saga qui a commencé en 2012. Une saga que l’on appelle le YRF SPY UNIVERSE; Depuis j’ai vu les quatre films.

Cet univers de cinéma est l’oeuvre du producteur, scénariste et cinéaste Aditya Chopra et de sa boite Yash Rash Film (dont les initiales forment le nom de son univers cinéma). Avant de plonger dans le dur de la matière des oeuvres, je dois signaler que Chopra produit mais aussi écrit les volets de la saga. Ce n’est pas une sorte de Kevin Feige qui aurait juste « des idées », c’est la force créatrice autour de laquelle tout ça gravite. Et ça c’est quoi ? c’est Ek Tha Tiger (2012) de Kabir Khan, Tiger Zinda Hai (2017) de Ali Abbas Zafar, et War (2019) de Siddharth Anand puis Pathaan (2023) également de Siddharth Anand et puis Tiger 3 qui est censé sortir à la fin de l’année. Ce sont des films d’espionnages à l’instar des saga Mission Impossible ou des James Bond ici, avec un peu de Fast and Furious (voire beaucoup). C’est là que ça devient passionnant. Car justement avoir l’Inde comme référent dans une vision des conflits géo-politiques, ça change tout ce que l’on voit et comment on le voit. D’abord, le coeur de cette saga repose sur Tiger (Salman Khan) qui est le meilleur agent des services secrets indiens, RAW, et puis la magnifique Zoya « Zee » (Katrina Kaif) qui est la meilleure agente des services secrets pakistanais, ISI. En gros, le premier film est une sorte de Mr & Mrs Smith, ils ne savent pas qu’ils sont agents, ils vont devenir amants puis ennemis puis trahir leur pays pour leur amour. En réalité, c’est l’idée que porte Chopra durant les 4 films, l’Inde n’est qu’un seul peuple, celui du Pakistan et celui de l’Inde. Et qu’il faut surmonter les conflits locaux car le monde est dangereux. Bref, ce qui est marquant justement, ce sont les pays ou se déroulent l’action durant la saga, Irak, Afghanistan, Turquie, Iran, Russie, Émirats Arabes Unis et j’en passe. Ce ne sont pas les paysages que vous verrez dans un James Bond ou un Mission Impossible qui restent dans un axe occidentale, USA, UK, France, Japon etc… Car justement l’Inde ne se voit pas dans cet ordre du monde et en filigrane la saga le montre très bien. Deja il faut comprendre quelque chose de basique, de la sémantique réelle, bref la langue qui est parlée, avant de comprendre de quel langage de cinéma il s’agit. Les indiens s’appellent « hindustani », et appellent leur pays « Hindustan ». L’idée que l’on se fait qu’il y aurait un bloc du moyen-orient puis l’Asie, et donc un bloc indien puis un bloc chinois est fausse. Les Indiens dans la saga de Aditya Chopra s’inscrivent dans l’héritage culturel et dans la vie des pays du moyen-orient, ils ne sont qu’un « stan » particulier parmi d’autres. C’est d’ailleurs comme ça que commence Ek Tha Tiger en Afghanistan, et c’est comme ça que commence, et finit Pathaan également en Afghanistan. Et c’est pour ça que la fiction de Chopra tente d’unir les indiens par des espions, car ils sont la raison « éclairée » dans ce monde violent.

Sauf que, Ek Tha Tiger se déroule en majorité en Irlande et existe formellement comme une rom-com pendant 1h30 (chaque oeuvre dure au moins 2h30 avec des intermissions tout ça, bref vous savez..). Une sorte de rom-com allégorique ou les canons esthétique du cinéma indien, musiques, danses, figurations merveilleuses sont utilisés pour montrer une histoire d’amour entre l’Inde et le Pakistan dans un pays neutre, l’Irlande. Et c’est l’oeuvre ou l’action est la moins impressionnante. Car la saga de Chopra temoigne aussi de l’évolution du cinéma numérique et des effets en Inde, pour l’instant, le peu que j’ai vu me donne l’intuition qu’il y a eu un changement radical au milieu des années 2010. Une meilleure maitrise technique, peut-etre des plus gros budgets ou une génération de cinéastes plus au fait des nouvelles technologies. Mais la saga prend un virage dès le deuxième film, 5 ans plus tard (7 ans dans l’univers du film) Tiger Zenda Hai ou l’action prend le pas sur tout le reste. Cette logique va culminer à War (2019) qui n’est qu’un enchainement de séquences dantesques ou meme les parties musicales ne trouvent plus réellement leur place. Car une fois que Chopra a cueilli son public avec son allégorie de petit malin, les 3 autres films rejoignent l’esthétique spectaculaires des grandes saga occidentales à leur manière. Nous ne sommes plus dans une oeuvre un peu mutante, un peu naive. Ca devient de la chanson de geste médiévale. Si c’est le cas de plus en plus des les Missions Impossible et les James Bond ont toujours plus ou moins joué sur cette dimension. Les Indiens poussent cette esthétique du geste et du poème épique au maximum. D’ailleurs Aditya Chopra est aussi producteur de grandes oeuvres mythologiques et épiques (dont je suis beaucoup plus sensible que les films d’espionnages…) comme Shamshera. Les espions sont des guerriers, mais au sens de la chevalerie. Ils ont un code d’honneur, et surtout un horizon métaphysique à leur combat, le drapeau, la patrie (c’est d’ailleurs ce qui me rebute là ou les œuvres mythologiques montrent une émancipation « totale »). Ainsi toutes les contre-plongée, tous les ralentis, tous les jeux de montage parallèle ne servent qu’à inscrire chaque acte comme un haut fait (et à entrer dans les conventions du visionnage indien. La culture de la salle de cinéma indienne, meme à Paris, est l’une des meilleures expériences que l’on puisse faire !). Comme dans la chanson de geste (d’ailleurs j’avais aussi parlé de ça dans Gangs of London et de Chrétien de Troyes), les combats ne sont qu’affaire de destinée poétique et d’hommes touchés par la grace car ils brillent dans la terre, le sang et la fange. Et cette imaginaire médiévale très brillamment mis en scène est justement justifié par le fait que les Indiens se voient au même niveau que les Afghans ou les Irakiens. Ils se livrent des guerres aujourd’hui sous la forme de l’espionnage, mais ces guerres ont débuté il y a des siècles, justement au moyen-age. Car dans Tiger Zenda Hai (2017) , War (2019), et Pathaan (2023), les espions aussi bien de RAW que de ISI sont la seule force qui empeche le moyen-orient de basculer dans des logiques féodales. Alors qu’ils perpétuent un imaginaire que l’on qualifierait de archaïque, les indiens dans cette saga sont la force la plus progressiste de la région. Les différentes chansons qui rythment les films ont pour sujet l’amour transcendant, l’amitié ou justement condamne le capitalisme ou l’impérialisme voire le sexisme. C’est le paradoxe je crois de YRF SPY UNIVERSE. Voire celui de l’Inde, « la plus grande démocratie au monde » qui est dans une guerre médiévale pour le progrès !

Ils ne font que rendre explicite ce qui se joue au meme niveau dans les blockbuster US. Les USA sont aussi dans des rapports médiévaux au Moyen-Orient. D’ailleurs la seule oeuvre ou il y a des américains est Tiger Zenda Hai (2017) car elle se déroule à la frontière de l’Irak. Le truc fou, c’est que pendant les 2h40, rarement un blockbuster aura donné aussi clairement par tous les moyens autant de propagande anti-impérialiste. C’est presque de l’agit-prop. Tiger doit se battre à la fois contre une version fictionnelle de l’EI et à la fois contre les manigances des américains qui comme une épée de Damoclès structure la tension narrative par le fait qu’ils vont bomber la ville, ou les espions indiens doivent libérer des otages. Tout est abordé d’abord par les dialogues Fallujah, Guantanamo, le 11 Septembre etc…Puis par l’image les terroristes contrôlent une raffinerie, ils font du business avec tout le monde, meme avec les USA. Le plus rigolo c’est qu’il y a meme des répliques qui sont lancés comme des punchlines de films des années 80. Un moment l’un des personnages va dans une base US pour vendre des infos, quand soudain il aperçoit « l’homme le plus recherché de la planète ». Il demande au général US « pourquoi le plus grand terroriste de la région est ici ? « . Et le général US lui répond la chose suivante : « Il est venu non pas comme un terroriste mais comme un homme d’affaire. Sauf qu’il a fait l’erreur de demander beaucoup trop d’argents. Quand il va quitter la base, il partira comme un terroriste. Et vous savez comment on traite les terroristes ? ». Le plan d’après est une vision de drone qui lance un missile sur la voiture de « l’homme le plus recherché au monde ». Bref, tout est passé au crible du rapport au monde médiéval de Chopra. Et la geste de Tiger et Zoya « Zee » ne fait que montrer comment ils ont tenté d’apporter la lumière à leurs ennemis autant US que terroriste. Car si Chopra, et les blockbusters indiens en général parviennent à trouver un équilibre dans tout ça, c’est parce qu’ils visent deux publics. Il y a une scène au début de Tiger Zenda Hai ou un personnage d’indien peu scrupuleux qui fait du trafic d’ouvriers, veut rencontrer le chef de l’organisation extremiste. Pour tenter de soudoyer les gardes, il leur propose des DVD de cinéma Indien. Justement des blockbusters indiens. Car les blockbusters indiens sont conscients de jouer tout le temps sur deux tableaux. Celui du marché local, Indo-pakistanais, mais aussi celui du Moyen-Orient. Ce sont les films que regardent les jeunes du Moyen-Orient. Et c’est pour ça que Tinger Zinda Hai reproduit l’EI en 2017 de manière très juste. A l’époque du pic de la terreur de l’EI en Europe, beaucoup de media occidentaux, dans leur éternel arrogance disaient que les vidéos de l’EI copiaient les films hollywoodiens. En mode « oh la la la nous avons nous même crée nos monstres par nos images blablablabla ». Sauf qu’une fois qu’on s’intéresse au cinéma que regarde réellement les gens qui étaient susceptibles d’etre les membres premiers de ces organisations, donc une fois qu’on regarde le cinéma avec lequel ils ont réellement grandi, on se rend compte que les cinéastes indiens savent très bien quel role leurs images ont joué dans tout ça. Il y a meme toute une séquence ou Zoya « Zee » va libérer des femmes esclaves, toute seule, en flinguant des dizaines et des dizaines de terroristes. Étrange mea culpa . Ce n’est pas les blockbuster US qui ont nourri les montages exacerbés de l’EI de l’époque, c’est bien les images, de l’esthétique médiévale Indienne. Ce sont eux qui jouent autant avec une sorte de virilité mythologique qu’ils auraient infusé dans les images clippesques et publicitaires du reste du monde, qu’ils auraient greffé au capitalisme, du moins à un rapport nécessaire au monde (un peu comme les USA dans les années 80…). Car justement les seuls pays qui sont montrés de manière artificiel dans ces oeuvres sont l’Espagne, la France, la Grece et la Suisse. Ce sont des non-lieux, des images fantasmatiques, des reves qui sont aussi vites corrompus par la violence qu’ils (les occidentaux) pensent ne pas voir à l’autre bout du monde. Si la saga de Aditya Chopra peut servir de référent indien à une vision du monde de la dernière décennie, c’est que de manière maladroite, l’Inde est devenu le garant de l’imaginaire de cette partie du monde et se retrouve constamment dans le paradoxe des tensions internes et externes.

Dans War (2019) et Pathaan (2023), sont évoqués en préambules les évènements au Kashmir. Et comme dans les Jason Bourne ou dans les récents MI. Les chevaliers ne peuvent plus faire confiance à l’ordre qui les a sacré comme tels. L’Inde est divisée. Sauf que cette division du pays ne fait que faire écho aux divisions de la région, il y a une continuité. Car le truc de l’esthétique médiévale ce n’est pas péjoratif, c’est un constat. Celui qu’il n’y a que les occidentaux qui font semblant qu’il existe une rupture entre le moyen-age et notre ère, ils parlent de Renaissance, d’époque Moderne ou bien d’autres abstractions qui ne renvoient à rien dans le réel. On pourrait se demander, quel rôle à jouer le mot « humanisme » dans les 400 ans d’esclavage, impérialisme et de colonisation qui ont suivi l’apparition du concept ? Le noeud de cette continuité médiévale (car c’est médiéval de mon point de vue, de la ou j’écris, de la France métropolitaine) c’est que justement elle prend en charge la matière du réel, celles des corps, celles des désirs, celles de la violence de nos rapports surtout lorsqu’ils ont conditionné par le capitalisme. Car si Chopra produit des grands films épiques, historiques et mythologiques autant que des films d’espionnages, c’est parce qu’ils s’inscrivent tous les deux dans la geste. Et cette geste n’est que l’incarnation cinématographique d’une culture multimillénaire dont en réalité, la colonisation anglaise, par exemple, n’était qu’un moment. Une pause. Les Indiens ont juste repris là ou les occidentaux les avaient stoppé. D’ailleurs, la soi-disant grande rupture du moyen-age à l’époque moderne, est celle des 700 ans d’amnésie ou le monde « occidental » était dominé par les orientaux. Il n’est donc pas étonnant que dans la guerre des images et des imaginaires qui a lieu aujourd’hui, l’Inde domine aisément un monde dont il est au centre meme du langage et de la culture. Sauf que cette « domination » nécessite une unité que met en scène la saga de Chopra, celle de l’Inde et du Pakistan. Puis celle de l’Inde et du Moyen-Orient. Et enfin, celle de l’Inde elle-même. Dans les deux dernières oeuvres, il y a tout un jeu de miroir, de reflet et de double. Bizarrement, la saga de Chopra est aussi « progressiste » dans une sorte de syncrétisme régional, dans Tiger Zenda Hai, une des otages prie devant un autel ou l’ont peut voir une croix chrétienne, une statue de Ganesh, un bouddha etc…Dans la meme image. Dans War (2019), la guerre qui est mise en scène est la plus explicitement médiévale et métaphysique dans la mesure ou les ennemis s’appellent par des noms de pièces d’échec. Et qu’il y a tout un jeu avec l’esthétique médiévale chrétienne, dont meme un duel avec des montures. Le plus troublant le combat final a lieu dans une église (comme à la fin de Raging Fire de Benny Chan, un jour on rigolera en discutant de l’imagerie chrétienne et de Hong Kong, vous verrez c’est pas très drole en vrai lol). Et le héros se bat contre le terroriste qui a volé le visage de son meilleur ami. En gros il se bat contre un double, la racine meme du mot diable. Tout un jeu des apparences, des faux semblants et des images trompeuses est à l’oeuvre. Comme dans la saga de Tom Cruise, le chevalier est errant, il ne peut plus se soumettre officiellement à aucune bannière, aucun drapeau. Il n’existe que dans l’action de destruction d’une menace. C’est un corps qui se soumet à la plasticité des idées nécessaire à la victoire d’une image sur une autre. D’ailleurs War est clairement en compétition avec MI. Il y a une séquence d’avion semblable et le héros joue une sorte de vieux père fatigué mais possédé par le devoir. Pathaan joue la meme note. Mais la présence d’un grand acteur renvoie à une autre dimension de tout ce bordel.

Pathaan est une sorte de remake de Ek Tha Tiger sortie 10 ans plus tot, que l’on aurait mixé avec War. Mais la grande innovation est surtout la présence de Shah Rukh Khan. Le retour de la légende du cinéma indien dans une saga « légendaire » comme un espion légendaire donne bien sur une réflexion meta. Au final les corps qui accomplissent ces hauts fait sont ceux qui incarnent le cinéma indien à tous les niveaux depuis deux décennies. C’est aussi l’une des dimensions des saga d’espionnage, un espion doit pouvoir jouer des roles pour s’infiltrer. Un espion n’a pas d’identité fixe. Un espion a des visages et vies multiples. Bref, un espion est un acteur. le YRF Spy Universe de Chopra plonge aussi dans cette réflexion. Le cinéma et son industrie seraient une zone de guerre ou les acteurs/espions doivent sauver le monde autant que le box-office. Pour Shah Rukh Khan ça prend une toute autre dimension car justement l’esthétique médiévale vient donner une emphase quasi-mythologique à son retour (oui l’acteur avait disparu des écrans pendant quelques années). Ce n’est pas seulement son retour au cinéma qui est montré, c’est son retour au cinéma pour unifier et sauver les Indiens. Car comme dans Ek Tha Tiger, il se bat et tombe amoureux d’une agente Pakistanaise. Tout ça sur fond des évènements du Kashmir, et surtout de la Russie ! Bref, il fallait bien une figure divine produit du cinéma pour avoir la puissance d’affronter à l’écran, en une fois, les ennemis des 3 films précédents. Et bien sur on arrive au point de convergence de cette saga avec l’autre versant de Chopra. Pathaan « meurt », et revient à la vie grace à l’energie de la montagne du petit village de l’Afghanistan qui l’a recueilli. Pathaan est à la fois un héros de heroic fantasy, à la fois un espion, à la fois un acteur. C’est Shah Rukh Khan, c’est l’horizon idéal de l’Inde, du Pakistan et de toute la région. C’est le corps de l’Inde tel qu’il devrait se présenter au monde. C’est le visage de la plus grande démocratie au monde. Mais c’est là que le noeud devient génial. Dans Ek Tha Tiger et dans Pathaan, les deux héros vont célébrer leur victoire à Cuba. Sauf que dans Ek Tha Tiger, Tiger s’arrête avec Zee devant une fresque murale du Che, on peut lire en espagnol « le meme amour n’est pas de l’amour ». Si on peut autant interpréter ça comme une phrase homophobe que comme une ode romantique à la différence (car Tiger et Zoya veulent justement assumer la singularité de leur couple), il faut garder en tete que depuis l’année dernière Cuba a passé les lois les plus avant-gardistes au monde sur la configuration de la famille et donc sur les droits des minorités sexuelles. Pendant ce temps, l’Inde de Modi est entrée dans une répression sociale similaire à celle que nous vivons, sauf qu’elle est beaucoup plus violente et beaucoup plus profonde. Si Shah Rukh Khan est le visage d’une Inde rebelle fantasmée, mais de qui est-elle le fantasme ? En répondant à des questions sur twitter, la légende indienne a confessé que son livre préféré, celui qu’il partage avec sa femme, est The Fountainhead de Ayn Rand.

Tom Cruise lui, partage aussi sa vision particulière de l’humanité. Qu’il incarne. Si je me moque de l’idée d’une modernité réelle occidentale, je me moque moins de l’idée d’une modernité esthétique. L’une des grandes oeuvres de cette dernière est Don Quichotte. Le truc avec notre époque, c’est que nous n’avons pas affaire à des fous qui perpétuent une époque qui n’existe plus comme dans le roman de Cervantes. C’est nous qui sommes fous à croire que cette époque était révolue, alors que nous vivons toujours dedans. Potentiellement des milliards d’indiens, de chinois, de gens du monde arabe et d’Asie sont nourris de ces visions. Il est assez irresponsable de faire comme si « les chevaliers » n’existaient plus. Ou peut-etre que c’est ça le privilège de vivre dans l’antre des Dragons. Espèce en voie de disparition.

John Weak

Quelques trucs vite fait concernant le quatrième épisodes de John Wick. Depuis le trois la saga veut embrasser une sorte de dimension mythologique complétement hors de propos. Dans le quatre, ça continue, on commence littéralement avec une double citation. Celle de l’Enfer de Dante dans le texte par Laurence Fishburne et celle de Lawrence d’Arabie par l’image. Si la deuxième était attendu par la durée du film et par une sorte de meta-observation dont chacun peut constater la réalité car on peut la formuler de façon suivante : « dans les grandes saga hollywoodiennes le quatrième épisode est souvent un remake du deuxième en plus gros »(et le 5 souvent un reboot, et le 6 du 3…). Et ça ne manque pas, dans John Wick 2, il y a une citation d’un film de Buster Keaton ou de Harold Lloyd (je me souviens plus car on a pas que ça à faire ce souvenir des intro de John Wick…), il est donc attendu que dans l’histoire « parallèle » du cinéma que dresse la saga on en arrive à la monumentalité d’un David Lean et à son bagage mythologique aussi. Le truc c’est que pour le dire rapidement on s’en fout. On pourrait digresser dans Hard Boiled en disant que Chow Yun-Fat qui tient un bébé à la main est une image tirée de l’imaginaire liturgique chrétien que John Woo connait puisqu’il est lui meme chrétien (comme beaucoup de Hongkongais d’ailleurs c’est pour ça que leur manif revendique jamais des trucs de gauche mais c’est une autre histoire…) mais le problème c’est qu’on s’en fout. Ce n’est pas très pertinent de parler de Hard Boiled comme d’un truc chrétien car ce n’est pas l’expérience que l’on fait de l’œuvre (même si des gens fous, pourraient argumenter en nous parlant de transcendance, de martyre, et de miracles dans les films de John Woo…). Bref, tout ça pour dire, la mythologie de John Wick c’est du remplissage. Du moins ça l’était dans le 3. Choses intéréssante dans celui-ci, je ne sais pas si c’est mieux écrit ou mieux joué ou peut-etre j’étais plus apte à recevoir les dialogues de merde de MOSSIEUR JAPANORICAIN HIROYUKI SANADA CABOTINEUR-SAMA. Mais le caractère international, tribal, et les guerres intestines en son sein de « l’underworld » de John Wick sont étrangement pertinents dans l’écho qu’ils offrent sur le narcotrafic bien réel qui justement se superpose aux structures des états, se glisse dans leur ombre et se déploie en parallèle sans frontières ni lois, si ce n’est les lois hiérarchiques, les lois du marchés et les lois « arbitraires » des différents groupes selon les codes de leur « tribu ». Et donc étrangement John Wick donne une sorte d’allégorie caricaturale de ce monde bien réel. L’une des choses intéressantes, c’est par exemple l’absence totale d’une quelconque force officielle d’autorité (police, Interpol ou je ne sais quoi). Mais que tous les monuments sont réinvestis voire « corrompus » par ce monde parallèl qui se nourrit du monde « visible ». Et puis ça donne cette espèce de vision internationale de chaque capital dans l’esthétique grossière des vidéos de tourisme ou de vloggeurs/instagrameurs par exemple, le Japon = des néons partout, Berlin = les mafieux sont dans un club techno. La Tour Eiffel qui devient l’un des QG, centre de transmission des tueurs COMME DANS LE CLIP « AU DD » DE PNL ! Ou peut-etre que c’est juste moi qui divaguais en attendant les scènes d’actions et en fait on s’en fout.

Mais pour parler du coeur de l’oeuvre donc l’action, sa mise en scène, sa plasticité blablabla. Depuis le premier il y a un problème. Le parti pris du réalisme et de « la fidélité aux techniques réelles », sont un peu anti-cinéma. Dans la mesure ou il y a, plus une séquence s’allonge, d’énormes redondances dans le mouvement et que Chad machin n’étant pas en Indonésie, en Chine ou en Corée du Sud, ne sait pas quoi faire de sa caméra quand Keanu qui commence vraiment à se faire vieux fait pour la 3eme fois en 2min la meme galipette essoufflée. Pour remédier à ces tres gros défauts, ils ont mis l’accent sur deux choses, les décors/espaces et l’impact. Pour le premier truc, ça devient aussi redondant dans la première moitié du film car ça fait 3 films qu’on voit John Wick se battre dans à peu près tous les musée du monde (dont on a rajouté des néons), sauf que dans la deuxième partie Paris revigore un peu le truc, et que les idées qui conviennent à l’espace parisien sont vraiment pas mal. Le truc de l’Arc de Triomphe, honte aux cinéastes français de pas l’avoir fait avant. Et la séquence Hotline Miami dans l’appartement parisien, pas mal pas mal, surtout que ça épouse l’esthétique jeu vidéo qui est aussi dans la saga depuis le début. Pour l’impact, c’est toujours un peu tout ou rien, car contrairement à la logique de l’action HK ou justement le mouvement est impressionnant et plus il s’étend dans la durée plus il prend de l’ampleur car la mise en scène n’est là que pour donner une emphase à la physique impossible des corps et du montage. Le truc de John Wick est une sorte de plaisir intense mais très court, une sorte de coite de l’exécution qui réussit une fois sur deux. Et comme ce sont des ricains, ils augmentent le degré de brutalité ou d’absurdité d’exécution pour qu’il laisse la plus grande impression possible. Au lieu de te prendre dans un mouvement, ils tentent à chaque fois de nous donner un fix de la meme drogue en espérant que celui-ci ait un meilleur effet que le précédent et le suivant. Je dois avouer que ça fonctionne parfois, mais c’est très frustrant. La ou le cinéma HK/coréen nous a habitué à des chorégraphies au millimètre par des mecs qui ne savent littéralement faire que ça, et donc nous plonger dans une logique de ballet voire presque d’opéra pour les indonésiens. Alors que John Wick suit une logique de la punchline. C’est justement pour ça que la mythologie tombe un peu à plat, le cœur de l’action lui meme ne construit rien dans la musicalité ou dans le burlesque. Et plus le film avance plus il incarne la logique désincarnée des avatars de jeux vidéo. Sauf que comme dans le JV, plus on tue, moins la mort fait évènement.

La dernière chose, c’est l’histoire du cinéma parallèle. Puisque le film veut faire les « grocervo ». Regardons ce qu’il nous montre. Le grand méchant de ce quatrième opus est The French. A chaque fois qu’on le voit il est dans des galeries d’art, des musées, des centre d’équitations, à l’opéra. En gros, il incarne une idée du « bon gout » ou de l’art. Et John Wick affronterait cette idée du bon gout/art. C’est le truc que fait Chad Machin. Il veut prouver que John Wick, c’est comme David Lean. Donc c’est en IMAX et ça fait 2h50. John Wick c’est de l’art. Deja il faut dire que c’est assez ridicule qu’on en soit toujours là aux USA, on dirait ça fait 25 ans ils sont dans ce débat de merde, sérieusement si c’est pour faire ça c’est mieux que Hollywood crève. L’autre truc, et là, c’est le plus rigolo. John Wick depuis le 2 ne fait que pomper des scènes et des moments d’une autre saga dont vient Chad Machin. Et bien sur, c’est Matrix. Il y a littéralement une scène ou Keanu est assis dans un banc dans une gare seul comme au début de Révolutions, ça m’a fait un peu rigoler, puis ça m’a fait un peu chier quand dans le meme lieu il dit « I need guns » comme dans le premier Matrix. Et puis, j’ai réalisé que Chad Machin est dans Matrix 4, et quand meme quel abruti ce gars. Car les Wachowski elles se sont pas arrêtées à Matrix. Comme dirait Freeze Corleone « ils ont pas arrété d’en faire quand ils ont fait ta Porsche négro ». Et en fait, elles avaient deja fait « la paix » avec cette vision dualiste complétement débile de l’art dans Sense8. Dans la série ce sont les « héros » qui cherchent à se libérer qui vont voir des concerts de musique classique autant que des set de DJ, qui vont au musée et font des grand discours sur la peinture, qui vont au Carnaval à Rio ou dans les boites futuristes de Berlin. Bref, on n’est plus dans la logique du mérovin…pardon, de The French. Ca fait un bail que les films d’actions sont considérés pour certains au meme degré d’estime que du David Lean. Je crois meme qu’une certaine actrice chinoise à reçu un Oscars pour ça il y a meme pas un mois. Bref c’est ridicule. Mais surtout, aussi fascinant et touchant dans sa folie que John Wick puisse etre, tout cet enrobage ne fait que révéler ce qu’est réellement cette saga, une sorte d’excroissance cancéreuse venant du coeur de l’une des plus grandes oeuvres de ces 40 dernières années, Matrix Reloaded. Néanmoins, John Wick fout le bordel à Paris, et ça, c’est un bel hommage à la vision émancipatrice des Wachowski. Car comme à la fin des Matrix, c’est à votre tour de tout cramer !

Sinon j’étais content de voir Rina Sawayama (dont je parlais beaucoup ici meme il y a 6 ans car elle sortait son premier EP produit par Clarence Clarity et c’était incroyable. Depuis elle s’est lissée comme une sorte de pseudo-pop star anglaise, c’est un peu triste mais bon c’est la vie). Et autre chose. Dans Eternal Daughter, il y a deux ou trois cut bien précis, et une idée d’ellipse qui donne l’impression que tout le truc se déroule durant le diner. Quelques petits vertiges. Bien sur la fièvre gothique me passionne chez Joanna Hogg mais je dirais ce simple truc, une citation de Maya Deren.

« Today it would decline to concern itfself with a revelation of reality not because man is incapable, but because science is more capable than art in that capacity. And it would be predicated upon the exercize of consciousness not as in instrument by which divine will is apprehended, but as the human instrument which makes possible a comprehension and a manipulation of the universe in which man must somehow locate himself. »

Creed 3

Quelques trucs (rigolos) sur Creed 3. J’étais au téléphone avec mon frère, et on discutait du film, de la meme manière qu’on discuter d’anime. Bref, un moment il me dit « les scènes ou Damian parle avec la femme de Creed sont bizarres ». Et en fait, mine de rien, il était comme le personnage de Creed. Un truc controversé depuis le premier qui n’est pas facilement remarquable si on n’est pas sensible à une certaine culture (celle du rap) ou familier à un environnement (disons celui des banlieusards en France ou des afro-descendants et un peu celui des prolo globalisés du sud…), c’est que le personnage de Adonis Creed est très justement écrit. Oui, il est écrit exactement comme les mecs qui viennent de ces environnements, et on le reconnait par deux choses entre autres. Il ne comprends pas ni n’accepte ses propres émotions et il a intériorisé le fonctionnement compétitif de la société capitaliste néolib comme un trait de sa personnalité. En gros il croit qu’il ne ressent rien tant que ce n’est pas lié à l’argent ou à sa famille. Bien sur tout ça est dans la saga Creed hérité autant de choses réelles, que d’un imaginaire que la saga revendique, celui du Rap US (qui lui aussi ne fait qu’exprimer sans filtre ces choses). C’est pour ça que la saga m’a toujours intéressé, en plus de l’exploration de la virilité exacerbée qui vient aussi du rap comme observation des conditions nécessaires de survie dans la rue.

Le truc vraiment rigolo dans Creed III, c’est que depuis le début, le personnage de Creed se bat contre lui-meme pour lui meme car il est dans une quete d’ego. Dans le 3, on fait apparaitre Damian jouer par Jonathan Major comme une sorte de fantôme, de refoulé de Creed. Son miroir. Sauf que lui c’est un vrai « prolo » qui sort de 20 ans de prison. Et là se joue la question « c’est qui qui est le plus fort ? ». Mais tout ça est mis en scène par un geste esthétique industrielle presque canonique. Qui est, je crois, au coeur du succès de la saga (et meme qui pourrait expliquer un peu les bastons dans les cinéma lol). Ca se fait en 3 temps. Dans le premier temps Creed invite Damian chez lui et la séquence fait écho à 4 images connues et reconnues du public mondial :

– MTV Cribs : il fait littéralement visiter sa maison de super riche à son ami qui sort de prison, comme les jeunes regardaient l’émission de MTV en fantasmant des vies qu’ils n’auront jamais

-Les telenovelas/soap opera : Et j’insiste plus sur les telenovelas car deja, j’adore les telenovelas (j’ai meme fait un top y a quelques années ici) et donc ce n’est pas péjoratif de ma part. Mais surtout que les codes de ses séries marquent beaucoup plus de monde de manière transversale de l’Amérique du Sud à l’Asie en passant par l’Afrique. Il existe tellement une internationale de l’esthétique des télénovela que je me souviens qu’il y en avait une brésilienne qui se déroulait en Inde et en passant devant la télé il m’était impossible de savoir si c’était une production indienne ou brésilienne. D’ailleurs c’est aussi la manière dont les asiatiques (chinois/coréens) ont diffusé leur culture en Afrique, car toutes ces séries ne montrent pas les meme cultures, mais ont exactement les meme structures. Il y a néanmoins un truc que l’on a en Amérique du Sud, notamment dans les grosses productions (si je peux me permettre) Mexicaines, Colombiennes ou Brésiliennes. C’est tout un jeu avec le surnaturel et la magie, les superstitions et les croyances qui rythment la narration par des choses explicites (souvent il y a réellement des choses « surnaturelles »), mais également par des récurrences implicites. L’une d’entre elle est l’idée d’inviter le mal chez soi. Cad que dans beaucoup de syncrétisme de la région, on peut de protéger des attaques ou autres (avec des rites ou des objets), mais le vrai « mal » ne peut se répandre que lorsqu’on l’a laissé entrer. Et le plus souvent celui ou celle qu’on laisse entrer, c’est le hero/héroine de la série qui est soi la bonté incarnée, soit le mal incarné, de manière unilatéral (c’est la meme idée dans Théorème de Pasolini lol). Donc la scène qui consiste à inviter une personne pauvre dans une maison de riche est toujours le symbole que « oh la la c’est deja trop tard ils sont foutus » (car le sel de la télénovélas c’est qu’on est toujours du coté des pauvres meme quand ils sont « mauvais » mais comme tout se déroule dans la maison des riches, on devient aussi sensible à leur sort). Autre chose c’est que selon moi, les telenovela sont les seules formes à traiter des choses comme la mesquinerie, les commérages, et les trucs comme ça comme des moteurs narratifs réels car c’est ce qui rythme le quotidien des gens (alors qu’au cinéma il faut toujours que ce soit un truc exceptionnel ou assez sexiste car souvent attaché à des personnages de jeunes femmes, alors que n’importe qui peut constater que ce genre de nuisances est littéralement au coeur du quotidien des gens au travail ou chez eux…). Bref, Creed joue aussi sur ce mode.

– Le porno : Oui car ce genre de maison et de figures sont aussi attachés à ces images de la San Fernando Valley qui est l’épicentre de la production pornographique mondiale. D’ailleurs deux cinéastes se sont posés la question souterraine de la porosité étrange entre Hollywood et l’industrie pornographique, David Lynch et Paul Schrader. Car en réalité, les acteurs des deux industries habitent exactement dans les meme quartiers, et surtout les deux productions se tournent dans le meme endroit. Et qu’encore une fois pour le public qui pense que Creed est leur héros, il reconnaisse aussi cette imagerie juste par l’accumulation des répliques sur les qualités de la maison. Cela fait partie de l’imaginaire que Creed trimballe.

– Devine qui vient diner…de Stanley Kramer : Si pour le public français ça ne veut rien dire, pour le public US et pour disons les « afro-descendants », c’est assez explicite quand un film nous refait le coup de l’invité qui devient intrus par sa simple présence. Sauf qu’au lieu de le jouer sur le mode de la race, Creed le joue sur le mode la classe.

Si je mélange tout ça, c’est parce que justement l’imaginaire rap en a deja fait la synthèse. Car ce qu’il y a de passionnant dans cette mise en scène plate, c’est que justement elle ne fait que réactiver tout ça. Dans la séquence de repas sur la terrasse entre Creed, Bianca et Damian qui suit celle de la visite ou du moins de la découverte de la maison. Le spectateur qui est sensible à cette imaginaire sait que Damian est un ennemi, mais leur affrontement devient clair à ce moment. Damian comme dans une scène typique de Télénovela ignore Creed pour discuter avec sa femme, alors qu’ils sont tous les trois présents. Bref, Damian veut Bianca. Et c’est ça le noeud de Creed qui fait venir les foules. Mais le truc qui les galvanise est ailleurs.

Damian se fait inviter par Bianca à la fete du label, alors que la conversation échappe à Creed. A la fete du label, encore une fois Damian va discuter à une table avec Bianca. Encore un truc simple mis en scène comme de la télé. Sauf que l’on est du coté de l’intrus. Damian discute avec Bianca de la seule chose que Creed ignore, sa volonté de refaire de la musique, en gros il a accès à son intimité. C’est de ça qui est discuté. Dans le contre-champs, Creed est entouré des deux combattants Chavez et Drago, il est surcadré par leur corps et au centre de l’image. Il ne voit pas ce qui se déroule avec sa femme. En réalité, il travaille. Et là se reproduit par un champ/contre-champ tout con, l’un des grands lieux communs des télenovela et de la pornographie, pendant que le mari travaille, quelqu’un s’occupe de sa femme. Bien sur la séquence se conclut sur une « explosion » de violence (commanditée par Damian). Et Creed ne comprend pas ce qu’il se passe. Mais le spectateur a très bien ressenti que justement si les grandes formes cinématographiques de Rocky ont « enfin » disparu de la saga, c’est parce que les petites formes de la télévision ou des images industrielles sont plus à même d’embrasser la bassesse de ce qui se joue à l’écran. Creed plus tard comprend que le combat est inévitable, si les dialogues nous font croire que c’est une histoire de réputation, les images disent autre chose.

Au début du film Creed qui revient chez lui après le travail, partage un moment avec sa femme et sa mère. On comprend dans la conversation qu’il veut que sa mère vienne vivre avec lui dans sa grosse maison. Elle refuse. Dans les dialogues se jouent en biais l’idée que c’est parce que sa mère devient sénile. En réalité, on comprend avec l’arrivée de Damian que Creed veut protéger non pas sa famille, mais sa propriété. En réalité, il veut acheter la présence de sa mère car il ne veut pas affronter sa mort. Dans le meme mouvement, Creed comprend qu’il doit battre Damian pour les meme raisons. Alors qu’il enterre sa mère, il se livre enfin à Bianca. Sauf que ça n’a jamais été une histoire d’amour ou d’honneur. D’un coté de l’écran le visage de Creed, de l’autre coté celui de Bianca, au milieu, au second plan, flou, le cercueil de sa mère. Une phrase de Damian « je viens tout reprendre ». En réalité, Creed se bat pour sa femme comme une propriété. Et c’est ça l’espèce de noeud bizarre qui je crois bouscule les gens. C’est un blockbuster qui par le fait qu’il mette en scène un personnage noir, rend évident les écueils de son existence et de sa prospérité dans la configuration actuelle de la société. Creed ne sait meme pas s’il ressent ou non de l’amour, d’ailleurs sa femme rend claire que ce n’est pas la question. Par contre il sait reconnaitre quand les lois du marché viennent réclamer qu’il retourne travailler pour prouver sa valeur, dans la performance, pour garder sa femme.

Et bien sur que cette vision de la sauvagerie des rapports, par l’imaginaire rap qui justement revendique, cette barbarie comme une force de vie et de survie est ambiguë. C’est ce qui cause la frustration constante qu’incarne Creed, mais aussi celle de tous les jeunes qui se reconnaissent dans ce personnage très juste sur l’époque. Car leur colère ne s’exprime qu’entre eux. Le combat final s’appelle The Battle for LA. Mais dans la réalité on sait très bien à quoi cela renvoie, la guerre des gangs. C’est cette logique de compétition mortifère qui est à la fois le moteur de la réussite de Damian, et de Creed. Il y a donc une sorte d’exploitation d’un imaginaire souterrain qui serait cette fois celui du Los Angeles des afro-américains. Comme dans les films de Lynch, le retour à une forme de télévision permet de diffuser les enjeux vertigineux de la cérémonie macabre qu’organise Hollywood pour son profit. Bien sur, on est avec le outsider de Damian qui vient bousculer ce système. Mais il faut se rappeler que si les pauvres doivent toujours etre dans la performance, la tricherie, la violence, et le spectacle pour monter les échelons. Le jour ils n’auront plus cette « vitalité » signera la victoire du camp adversaire, c’est la prison mentale des prolo. Les riches, comme Adonis Creed, font exactement la meme chose. A la fin les deux sont assis dans le vestiaire presque honteux, comme des enfants. Ils n’ont absolument rien accompli durant ces 2h. Il n’y a pas de vainqueur.

Et c’est peut-etre l’ultime frustration qui provoque les réactions disproportionnées à ce film. C’est aussi paradoxalement, ce qui rend la saga fascinante.

Sisborg

J’écoutais l’album de Akini Jing (oui le début de l’année est propice aux rattrapages surtout pour les artistes d’Asie, et particulièrement chinois). Et il est fascinant de constater que la figure du cyborg est devenue une sorte de tendance voire de socle sur laquelle se construit l’esthétique des artistes chinoises désormais dans la musique électronique. L’année dernière, je crois, j’avais écrit un truc de rattrapages sur la scène rap-electro chinoise un peu hype. Mais la scène pop-electro voire undergroud est un peu dans la meme zone. Il y a plusieurs raisons, l’une des plus évidentes est bien sur mon éternelle rengaine cybergothic, et celle des anciens philosophes du CCRU (Sadie Plant, Mark Fisher et le désormais banni, Nick Land…) et des gens relatifs à cette pensée. Vous savez, le cyberpunk et le gothique sont deux faces d’une meme pièce, et en Asie, c’est pire car il n’y a même plus de piece pour différencier les faces. Et ça depuis 50 ans. Il est donc plus facile pour les artistes de asiatiques de souscrire à cette esthétique puisqu’elle inonde leur environnement culturel quasiment depuis leur naissance. Il faut superposer à ça l’histoire de la musique électronique internationale qui est marquée par bon nombres de figures féminines et féministes depuis le début. Lizzy Mercier Descloux, Delia Derbyshire, Daphne Oram…et par ce fait de figures trans qui ont toujours porté le mouvement à différentes époques, Wendy Carlos, Genesis P-Orridge ou meme aujourd’hui la regretté SOPHIE ou la géniale Arca.

Comme pour le gothique, il y aurait d’abord une explication assez matérielle à tout ça, le travail dans les « ordinateurs » avant qu’ils ne deviennent « micro » était réservé aux femmes. Elles devaient appuyer sur les boutons et changer les fils d’une console à une autre, comme elles devaient se servir des différents types de machine à écrire, puisque la société les condamnait à n’être que des secrétaires ou simplement des petites mains. Il y aurait donc une continuité dans le fait qu’elles se soient appropriés assez vites les instruments similaires qui pouvaient faire de la musique, c’est probablement l’une des raisons. La familiarité subie ou une continuité dans l’aliénation. Il y aurait donc dans la base de la pratique de cette musique une composante aliénante. Sauf que dans les années 80-90 se développent une imagerie inédite, celle du cyberpunk. Notamment à travers Blade Runner. Les répercussions sont immédiates. La ou en Angleterre émerge Kate Bush qui justement ramène une esthétique gothique par la musique pop-electro, au Japon les deux faces sont une, Jun Togawa fait autant ce que fait Kate Bush avec les figures locales (la femme insecte par laquelle elle se nomme) que celle du cyberpunk. Jun Togawa était impressionnée par le film de Ridley Scott au point d’absorber l’esthétique cyberpunk ambiante (car l’animation japonaise va aussi subir ce traumatisme autant que celui de Metal Hurlant). Bref, la chanteuse fait un shooting avec un bras robot. Elle va ensuite dans le meme élan que Kate Bush refaire surgir des figures « mythiques » dans ses clips, concerts et photoshoot, les lycéennes, les femmes « mutantes », et surtout les femmes cyborg. Bien sur en Occident, dans la vague qu’aura initié Kate Bush, Bjork va pousser le délire à l’extrême. Dans le meme temps sort Ghost in the Shell de Mamoru Oshii (je vais pas revenir sur tout ce qui se joue dans les corps et l’esthétique du film puisqu’on a écrit un livre dessus il y a 2 ans ! ). Et si on rajoute la musique de Faye Wong en Asie. On a un peu le tableau global de l’esthétique qui sera la matrice des artistes electro asiatiques aujourd’hui. Surtout des jeunes femmes. Elles sont toutes plus ou moins Lilly Chou Chou.

Mais là ou ça devient intéressant, c’est que justement cette transformation est une libération. Une émancipation. Les artistes chinoises comme Akini Jing (https://www.youtube.com/watch?v=0M6oKl1AeQ0) , Jasmine Sokko (https://www.youtube.com/watch?v=_siPsYfSp7k), Lexie Liu (https://www.youtube.com/watch?v=4fvUnPl5_BA) ou au Japon, 4s4ki (https://www.youtube.com/watch?v=4G9v1aveNCk) ou en Corée une artiste plus confidentielle comme CIFIKA (https://www.youtube.com/watch?v=ukLTYosyyPw). Voire Yeule (https://www.youtube.com/watch?v=Arfse3z5YzQ) qui vient de Singapour mais qui est en Angleterre. Paradoxalement, ce sont des artistes qui ont une ambition pop, elles ne font pas un son si extreme ou avant-gardiste qu’il les condamnerait aux Musée ou aux salles d’expo (ça se sont les scandinaves lol). Car ça a toujours été le noeud de ce truc depuis Kate Bush et Jun Togawa. C’est de (ré)incarner des figures populaires. D’etre à la fois chamane et princesse, d’etre dans la terre et le ciel en meme temps. C’est aussi ça la cyborg, on ne sait pas ou commence l’humaine et ou se termine la machine voire l’image. Car justement il existe des artistes qui ont un son beaucoup plus « robotiques » ou « fantomatiques » mais qui n’embrassent pas cette esthétique globale, par exemple Phew (Hiromi Mitani) qui est contemporaine de Jun Togawa. Surtout à notre époque, la scène similaire menée par PC Music en Occident ne s’inscrit pas dans cette vision. Caroline Polacheck qui récemment sortie un ablum et qui serait un équivalent occidentale aux artistes citées n’a que faire de cette vision. Au contraire elle retourne à une esthétique de la sensation, elle abandonne l’idée qu’une image se superposerait à son corps. Hyd qui était l’amante de SOPHIE et qui a également commencé une carrière solo il y a 1 an, est dans le même geste. Elle joue sur les textures, les matières et les sens. Probablement car elles n’ont plus besoin d’échapper à quelque chose ou qu’elles veulent aller au bout de la logique « d’empowerement ». La ou les artistes asiatiques ne veulent etre définies par rien ni personne dans leur image comme dans leur son. Elles sont entre les états des corps, et transformables, par leur volonté mais aussi par notre regard.

Et le grand paradoxe final de cette excursion esthétique. C’est que l’autre grande région en dehors de l’Europe qui est sensible à l’esthétique qui a découlé des cultures d’Asie notamment à travers celle du Japon. C’est l’Amérique Latine. Et surtout dans le reggaeton. Le genre qui était connu pour la puissance du paradoxe qu’il represente pour les femmes européennes cad « comment des femmes qui mettent en scène leur propre sexualité et sensualité sous le regard des hommes les ont dépassé dans leur propre « genre » musical qui s’est construit sur l’exploitation de leurs images? », l’une des réponses est justement dans l’explication basique, je crois. Les cultures d’Amérique latines sont sensibles à ces figures archétypales, de prêtresses, sorcières, chamanes…donc de cyborg. Et si on ajoute à cela la place centrale que joue l’érotisme dans les musiques populaires de cette région, ce n’était qu’une question de temps avant l’apparition des chanteuses de reggaeton cyborg. Et c’est ce que sont Cazzu (https://www.youtube.com/watch?v=5lLKZHSyVBs) ou récemment Rosalia (https://www.youtube.com/watch?v=6o7bCAZSxsg). D’ailleurs je crois meme que c’est au coeur de l’esthétique de Motomami. Rien que le nom Motomami. Bref, bien sur il y en a aussi dans les canons plus classiques de diffusion, Grimes ou FKA Twigs. Les deux ont d’ailleurs réinterprétés des figures ou se sont réappropriées des éléments de cultures asiatiques (FKA Twigs a appris chorégraphies d’épée chinoise et Grimes naviguent dans les images d’animation japonaise…). On pourrait meme discuter sur le fait que le groupe allemand Atari Teenage Riot utilise l’image et la voix de la seule membre asiatique (Nic Endo) du groupe pour incarner leur esthétique cyberpunk à tous les niveaux. Il y aurait probablement un truc Gibsonien a tiré de tout ça. Ou un truc beaucoup plus politique. Ou sur la navigation des symboles et des signes par les flux culturo-industriels. Ou juste sur l’hauntologie. Mais je crois que le coeur de tout ça est justement dans l’émancipation sans frontières qu’offre cette vision d’un corps réel et virtuel à la fois, d’un son mi-humain mi-machine. Je crois qu’à la fin de Ghost in the Shell, Makoto Kusanagi, qui abandonne son corps « humain » aurait pu également citer les paroles de Saoko de Rosalia :

« Eh, yo soy muy mía, yo me transformo

Una mariposa, yo me transformo

Makeup de drag queen, yo me transformo

Lluvia de estrellas, yo me transformo

Pasá’ de vuelta’, yo mе transformo

Como Sex Siren, yo me transformo

Me contradigo, yo me transformo

Soy to’a’ las cosa’, yo me transformo »

cyborg aujourd’hui chamane hier. D’ailleurs en passant, j’y pense dans les oeuvres sino-japonaises, la toute-puissance est souvent synonyme d’un corps androgyne (meme dans des trucs aussi évidents que DBZ…), alors qu’en Occident, elle est associée à une voix, un corps, d’homme. Mais bon beaucoup trop de blabla.

Or fièvre

Quelques trucs vite fait sur mon film favoris de ce début de mois (d’abord je dois vous dire de venir voir Combustion Spontanée présenté par Kiyoshi Kurosawa à la cinémathèque, car ici on considère que Tobe Hooper est un grand cinéaste !). Du coup, Goutte d’or de Clement Cogitore. Il y a un truc que j’adore depuis son premier long, c’est son approche ésotérique des tensions sociales voire géopolitiques dans Ni le ciel ni la terre. On pourrait voir un truc presque Rivettien, dans son jeu avec des symboles et des situations banales qui basculent dans un truc magique mais dont personne ne semblent douter. Dans son premier long ça se traduisait par la disparition, et puis une logique de contamination, assez « classique ». Puisque la contamination est le truc qui occupe le cinéma occidental et surtout US depuis 40-50 ans, et surtout depuis Carpenter (les plus audacieux diraient que c’est depuis l’arrivée de la psychologie et donc de la littérature fantastique bref).

Ce qui est plus intéréssant, c’est que dans Goutte d’or ce n’est plus une somme d’évènements dont on doit accepter l’absurdité, mais un système qui existe en parallèle, voire dans les interstices de la vie parisienne (c’est pour ça que l’oeuvre bascule dans un cut, on ne sait jamais ce qu’il y a entre les choses que l’on pensait savoir). C’est d’abord fascinant car dans une logique Rivettienne on nous dépeint qu’il existe un autre Paris dans Paris, celui des immigrés et des « français d’origines », celui dont justement tout le monde parle depuis 20 ans mais ne comprends pas. Celui qui a meme une économie parallèle, une « police » parallèle, bref toute une organisation sociale et toute une hiérarchie. Bien sur ce qui lie ces gens est autant spatial (ils vivent tous dans les meme quartiers du nord de Paris) dont le quartier de la Goutte d’or serait le centre du Royaume que symbolique (ils partagent des croyances communes ou du moins des cultures qui se rejoignent dans la croyance d’un monde « magique »). Car il s’agit bien de ce système, bien sur, on pourrait dire que c’est le cas dans les films de mafieux ou dans les films de yakuza qui rejouent des guerres féodales, donc des histoires de royaumes. Mais là ou Cogitore est plus malin c’est qu’il décale le truc, d’ailleurs NWR au début de l’année a fait exactement la meme opération. Il a fait ressurgir la logique féodale et donc toute l’organisation ésotérique, et les croyances qui vont avec du monde des mafieux de Copenhague. Ce qui met toujours les situations dans un entre-deux, tout se joue toujours sur plusieurs niveaux tout le temps.

Il y a donc des moments qui de manière fugace feraient presque penser à des lieux communs d’heroic fantasy tellement Cogitore (comme NWR) pousse cette idée à l’extrême. Par exemple, l’un des jeunes garçons errants dit au personnage Leklou « tu ne dois pas utiliser ton vrai nom sinon c’est fini » ou le fait que ce meme personnage doive utiliser une formule pour rentrer chez son père (qui est lui meme une sorte d’ermite). Bref, le verbe détient une puissance sur la matière, c’est la base meme de la magie (il faut quand meme noter que le personnage de Leklou s’appelle Ramses). Et c’est d’ailleurs le jeu de la première partie de l’oeuvre, Ramses arnaque les gens par des mystifications technologiques (ils volent les infos par ordi) mais en réalité, il réussit à les avoir grace à la narration et la cérémonie dans laquelle il les entraine, encore une fois, il a le pouvoir du verbe, c’est un mage. Ce qui est explicite chez les jeunes garçons errants qui le reconnaissent tout de suite pour ce qu’il est alors qu’il est lui meme perdu dans l’interstice. Toujours en mouvement, toujours dans deux endroits en meme temps (souvent au téléphone alors qu’il est deja en train de discuter avec quelqu’un), toujours entre le sommeil et l’éveil. Il est meme cadré dans les coins de portes, dans des endroits exiguës, son appartement est d’ailleurs bizarrement toujours traversé par des gens visibles ou invisibles. Dans un premier temps Cogitore nous montre qu’il est coincé dans les flux économiques, en gros ce serait sa condition marginale d’arnaqueur qui l’oblige à mener cette vie, il est toujours entre deux flux d’argents, il en reçoit ou il en donne. Mais on comprends par le basculement que tout ça était plus souterrain. Car en réalité Ramses ne veut pas assumer ce qu’il est, ni meme son pouvoir.

Il y a un an sortait un film étrangement similaire, Nightmare Alley de Guillermo Del Toro. La ou je trouve Goutte d’or plus fort que Nightmare Alley, c’est que Del Toro perd un peu du coeur de ce qu’il met en scène par le fait que ce soit un remake, d’une oeuvre qui est une mise en abyme du spectacle et de l’illusion. C’est à dire que Del Toro est aussi dans cette logique ésotérique mais sa superposition de différentes couches symboliques ne donne l’impression que d’assister à un simulacre de simulacre, aussi juste soit-il. Là ou Cogitore se nourrit de la matière réelle, de la vie elle-meme dans les quartiers les plus vivants de Paris. Car si Del Toro et ses affects chrétiens sont fascinés par la cruauté (oui les meilleurs films de Del Toro sont les plus cruels, Le Labyrinthe de Pan, Crimson Peak en tete…), il a du mal à l’assumer sauf à deux ou trois reprises dans sa filmo ou justement la cruauté lui permet de mettre en scène la matière meme du vivant, celles des corps et de la vie pour la célébrer/la défendre. Et ce n’est donc pas un hasard si c’est aussi les 3 films de Del Toro ou le sang occupe une place centrale (d’ailleurs je crois que le mot cruauté ou cruel a pour origine la vue du sang quelque chose comme ça). Cogitore par justement l’explosion de mouvements, de vies, de gueules différentes, de cultures, n’a pas besoin de ça. Et surtout n’est pas traversé par ces passions chrétiennes, il est dans la logique antérieure. Ce n’est donc pas un hasard non plus si ces deux long-métrages ont une vision ésotérique liée au Moyen-orient. Car c’est le berceau même du langage en occident et donc si ce dernier aurait un pouvoir, si la magie devait venir de quelque part, elle ne pourrait venir que du désert. Le personnage de Leklou, Ramses ne serait donc au final hanté que par la puissance de son propre nom, il devrait accepter d’etre un voyant et un roi. Le film nous montre sa transformation presque alchimique (le titre Goutte d’or, joue lui aussi avec ces significations), il y d’abord l’oubli de sa fausse identité et la transe devant la découverte du garçon mort. Il y a l’abandon de ses possessions, il donne son argent partout et à tout le monde autant que son appart pour fuir. Et il y a une sorte de transformation quand il assume enfin de « continuer » ou de prendre son role quand il met les vetements de son père, puis ceux des jeunes garçons errants. Et enfin la transfiguration quand il décide après avoir récupéré son portable vide (donc qu’il réalise que plus rien ne le retient à sa « fausse » vie), de fuir avec les jeunes hommes dans un lieu qui est symboliquement une forge. Avec du feu partout, c’est autant l’athanor qu’un feu purificateur. Bref, Cogitore met bien en scène un cheminement ésotérique dont les cultures africaines qui justement remplissent les vides de la modernité capitaliste occidentale à tous les niveaux viennent faire émerger des figures mythiques. Mais ces figures ne sont pas là pour sauver, ni pour condamner. Ce n’est pas la logique US. Elles sont là pour faire le passage, pour etre des ponts. Entre le monde visible (Paris) et invisible (Maroc). En devenant « un mage », Ramses accepte les pouvoirs et les responsabilités de son « royaume ». Il devient un passeur entre une culture qu’il utilisait mais rejetait, entre ces deux pays, entre la souffrance matériel que provoque un système avec lequel il fait enfin sécession et le profit qu’il en tirait. Il transforme le plomb de sa vie aliénante en quelques gouttes d’or, qui seraient en fait ces garçons de l’ombre qu’il décide de guider à l’aune de sa propre lumière.

D’ailleurs en parlant de « pouvoir du verbe », la différence entre le titre français et internationale vend deja un peu l’opération que fait le film. Ici, c’est « Goutte d’or », pour le reste du monde c’est « Sons of Ramses ».

Adam Curtis

Ce qui est passionnant avec Adam Curtis, c’est qu’il est dans une sorte de geste Godardien. Il croit que le cinéma pourrait rendre compte de tout ce qui est autant au niveau scientifique du documentaire qu’au niveau émotionnel d’une construction esthétique (peut-etre pas narrative mais thématique). En gros on pourrait plier tous les plans de l’existence à un moment donné, le réel, les émotions et l’ensemble du cosmos, car c’est l’expérience de l’existence que nous vivons à chaque seconde. Et que les décisions politiques, les mouvements historiques ne se font pas en dehors de ces plans. Que le pouvoir du montage au coeur du cinéma nous permettrait de faire l’expérience de l’être et de l’étant, de la totalité, de l’unité du réel, appelez ça comme vous voulez.

Ces images se suivent dans le doc. Il n’y a pas de musique, ni de voix-off.