Oui, après la saison 4 de Stranger things, je suis de retour un an plus tard pour parler de JdR et de cinéma. Mais pourquoi Donjons et Dragons est revenu au coeur des préoccupations US ? je sais pas trop, je m’en fous (en vrai j’ai une idée mais ce n’est qu’un post facebook qui est deja beaucoup trop long). Par contre l’œuvre actuellement au cinéma est fascinante car elle réussit là ou des tas de trucs se cassent la gueule de l’autre coté de l’Atlantique depuis 20 ans, et surtout depuis la dernière décennie. Bref. L’ingéniosité de la démarche réside dans le fait de ne pas adapter une campagne de D&D au premier degré, mais un peu comme dans Stranger Things de mettre en scène les gens qui y jouent autant que ce à quoi ils jouent au même niveau. Les deux constructions deviennent indissociables à l’écran car c’est justement ça qui est au coeur du JdR depuis plus de 40 ans. C’est de jouer réellement une histoire pour la vivre et de s’amuser à vivre une fiction pour mieux jouer. Et donc le JdR contient deja en son sein, une part meta, une part de mise en abyme, une part de porosité entre fiction et réalité, et une part de polymorphisme narratif voire de modulation tonale (pour prendre un jargon musical qui sera apte à rendre compte des deux choses). C’est le principe qu’applique à cette adaptation les deux jeunes cinéastes. Et c’est là ou contrairement à toutes les grosses prod US qu’on se bouffe depuis une décennie, le recul des personnages sur le situations et les blagues au coeur de l’action sont pas seulement justifiées, mais justes. En prenant soin de rendre compte des mécaniques esthetico-narratives au coeur du JdR, la transmutation de ces principes dans le langage du cinéma sonnent justes et sont parfois assez touchants sans forcer sur les effets. Par exemple, le personnage de Chris Pine, porte en lui tout le comique du film et tout le tragique, tout le temps, en meme temps. Mais c’est parce qu’il joue au ménestrel autant qu’il est un ménestrel.
La ou le truc m’a impressionné, c’est qu’ils rendent tout ça clair dès le début. Le personnage se présente à un conseil, comme dans un passage obligé de JdR en racontant sa propre histoire qui n’est en réalité pas ce qu’il a vécu. Mais deja on nous présente le principe qui va régir le reste de l’oeuvre, car c’est ce qui régit le JdR, ce ne sont que des histoires dans des histoires dans des histoires…Et c’est pour ça qu’on s’en amuse mais c’est aussi pour ça qu’elles procurent autant d’émotions, car ces fictions, sont nos fictions. Et que dans ton personnage lors d’une campagne, il y a une partie d’affabulation pour correspondre à l’archétype du jeu, mais il y a aussi une partie de toi. C’est dans cet espace poreux entre une sorte d’intimité rendu explicite par les paravents des archétypes et une théâtralité assumée que grandissent les émotions des parties de JdR et donc de l’oeuvre. Mais les deux cinéastes ne s’arretent pas là. Ils vont incarner cette logique dans les scènes d’actions qui ont leur spécificité esthétique selon les personnages. La plus évidente est la jeune femme Wild Shape. Son pouvoir est de se transformer en toutes les formes animales possibles. C’est à dire que c’est un personnage totalement fluide. D’ailleurs l’actrice elle-meme a un coté androgyne (qui me fait penser à Link). Quand elle doit s’affirmer dans l’action, ça se fait par des plan-séquences ou justement la caméra s’affranchit des limites physiques et des coupures puisque c’est ce qu’incarne le personnage. Elle n’est pas limitée par une forme, donc la caméra épouse l’ensemble de ses transformations dans la durée, sans limites. Pareil pour le jeune sorcier dont les pouvoirs reposent aussi sur des spécificités esthétiques basiques du cinéma, pour lui, c’est l’espace. Puis la magie est affaire virtuelle, donc contient tous les possibles puisque c’est le pouvoir meme du langage, il peut s’affranchir de l’espace et du temps. Ce qui fait qu’il crée des brèches dans le plan/image pour se déplacer. Il refait lui meme du montage entre deux espace-temps. Et tout le truc se construit comme ça sur plusieurs niveaux qui s’emboitent avec une fluidité et une porosité réjouissante pour un blockbuster US. Dans ce meme mouvement, les acteurs eux-meme ressemblent plus à des joueurs de DnD réel (surtout en 2023, une fille androgyne qui ne se reconnait pas dans l’humanité, un jeune homme « racisé » qui subit le poids de sa famille, une femme virile tiraillée entre ses désirs, et un monsieur blanc barbu plein de culpabilité qui veut juste une famille…) qu’à des personnages de l’univers de DnD. Il y a meme une séquence que je trouve génial, dans le cimetière, ils doivent ressusciter des cadavres pour les faire parler et retrouver un objet. Deja c’est une quete basique et banale de n’importe quelle campagne de DnD, et il y a un certain plaisir à voir justement ce truc banal montrer comme une blague par l’absurdité des règles arbitraires du jeu (on peut poser que 5 questions au cadavre avant qu’il ne remeurt pour de bon). Mais la séquence va plus loin, alors qu’un des cadavres de soldat se lance dans son récit, une des plaines du cimetière se transforme en terrain de bataille qui va incarner les mots de ce dernier. Cette transformation à l’écran se joue dans une sorte de mutation de l’espace en temps réel, nous sommes littéralement transportés par la parole autant nous que les personnages qui écoutent le récit. Soudain le nouvel espace qui se dévoile est une sorte de champs de bataille digne du Seigneur des anneaux ou d’autres oeuvres d’heroic fantasy. Ce n’est meme plus qu’on a changé de temps, il semblerait meme qu’on ait changé de ton, voire d’oeuvre. La violence du champs de bataille dénote avec la rigolade du cimetière, tout ça en quelques secondes. Et puis soudain le personnage que l’on suit se fait écraser. Et l’on comprend qu’il nous racontait autant son truc épique, que sa propre mort. Puis ils vont ouvrir un autre cercueil et rebelote. Et soudain on se rend compte qu’en réalité le récit des cadavres fabriquent une carte imaginaire sous nos yeux, car le but de ces interrogatoires est de retrouver le casque de disjonction. Un objet mythique. En réalité, nous vivons une mise en abyme du jeu lui meme. Plus fascinant encore, nous retournons aux origines meme non pas du jeu, mais du courant littéraire médiévale dont il est l’une des itérations. Car la logique de récits fragmentaires, incomplets qu’il faudrait suivre pour retrouver un objet sacré, c’est la logique au coeur du conte du Graal. Et cette réminiscence cinématographique de la forme du palimpseste qui est à l’origine matérielle de l’esthétique et de la mythologie de cette littérature depuis un millénaire, entre deux blagues sur des cadavres est assez impressionnante. Et c’est dans ce genre d’ambitions que le film souffre d’avoir à sortir après 3000 ans à t’attendre qui avait fait de tout ça une oeuvre assez immense. Néanmoins, ce Donjons et Dragons s’inscrit dans le sillage d’un Miller, et pour de jeunes cinéaste, c’est assez fou.
L’autre truc c’est que justement la logique de palimpseste permet différents tons d’une scène à l’autre, ce qui signifie différentes esthétiques. Par exemple, le film assume pleinement les plans larges qu’il emprunte à Peter Jackson, et qui est devenu l’une des bases de la grammaire de l’heroic fantasy au cinéma. On inscrit des corps dans des décors qui les dépassent, la présence des corps renforcent l’incarnation du décors meme quand celui-ci est faux. La traversée et l’errance sont des structures récurrentes de toutes ces formes depuis leur origine littéraire. Mais le film assume aussi par exemple, une grammaire propre au jeu video, quand la mage Thay veut faire son grand sacrifice, l’apparition des particules rouges fait penser à des effets de chez Blizzard, et elle est filmée comme un boss de JV, dans une arène. Bref, je crois que l’année dernière, Paul Schrader avait fait un post facebook pour dire qu’il était clair maintenant que le cinéma avait aussi repris des choses du jeu vidéo (et il parlait de Park Chan Wook lol). Mais ce qui se joue dans ce DnD, c’est justement le fait que le cinéma peut encore s’approprier et transformer les différents langages esthetico-narratifs qui justement sont pertinents à une époque de métissage des images et des imaginaires. C’est pour ça que meme si je suis assez impréssioné, je suis pas étonné que deux jeunes cinéastes puissent le faire, car j’ai comme eux grandi dans tout ça, avec le cinéma comme base. Encore faut-il etre attentif à la matière au coeur des arts, des oeuvres, des jeux que l’on prétend adapter. Et contrairement à un film horrible sur un certain jeu sortie récemment, il ne s’agit pas de faire de jolies images fidèles. Il s’agit d’épouser meme dans les paradoxes absurdes les sensations bien réelles d’une oeuvre pour insuffler la vie à la sienne. D’ailleurs, pour mon idée sur le retour de DnD. C’est que souvent les artistes qui aiment les formes épiques, ont l’ambition de saisir une époque par le prisme d’une mythologie qu’ils inventeraient ou dont ils revendiqueraient l’héritage. DnD (entre autres) est le Conte du Graal US, DnD est le Seigneur des Anneaux US, DnD est le Mahabharata US, DnD est La Pérégrination vers l’Ouest US ou meme les Trois Royaumes. C’est un des marqueurs mythologiques et une matrice d’un imaginaire qui permet de suivre au grée des auteurs, comment l’Empire se voit selon ses exégètes et ses scribes. Ce n’est donc pas un hasard si les exégètes et les scribes font leur grand retour pour narrer les hauts faits et la chute imminente de l’Empire US. A ce niveau, c’est presque un cliché, presque un simulacre de mythologie, ce qu’est un peu DnD car c’est aussi ce que sont les USA.
Bref, incroyable oeuvre quand meme. J’ai aussi vu une oeuvre moins incroyable. Les Trois Mousquetaires de Bourboulon. Et justement le grand écart avec DnD est étrange. D’ailleurs l’un des problèmes du film est cristallisé par la meme figure de style qui signe la réussite de DnD, le plan-séquence. Les combats de Bourboulon sont en plan-séquence, il y a deux ou trois problèmes à ça. Le basique est celui de l’escrime, ce n’est pas un art martial dont la cinégénie impressionne surtout lorsque l’on ne met pas en évidence les passes. Le second bien sur, les acteurs, aussi entrainés soient-ils, ils ne peuvent rendre justice à des chorégraphies plates sur une durée réelle, la captation longue ne fait que rendre explicite l’artificialité de la chose et donc nous empeche de ressentir la brutalité ou le caractère organique des affrontements. Et puis le rythme, tout semble arriver comme dans une cinématique de jeu vidéo, mais cette fois dans les défauts que ces dernières peuvent avoir, elles sont mécaniques. Elles sont une démonstration technique des capacités d’une machine. Et c’est ça le truc avec le film, c’est qu’il fait des choix qui joue contre son origine littéraire sans les assumer pleinement. Il ne veut trahir qu’à moitié Dumas. Cette volonté de réalisme ne rend pas compte de la fougue feuilletonesque dont est fait la matière d’origine, du moins pas totalement.
Coincidence de la vie, j’ai rattrapé les deux films de la saga Kenshin la semaine dernière (car je rattrape les 4 ou 5 dernières années de blockbuster des gros pays d’Asie…). Et le cinéaste Keishi Ohtomo est dans la meme situation que Bourboulon, il adapte un manga qui raconte des évènements historiques mais d’une manière fantasmée voire romancée. Ce qu’il fait c’est qu’il va assumer non pas la matière historique, mais la matière impressionniste du manga. Il ne fait donc pas un film Kenshin, il fait d’abord un chanbara qui se trouve etre l’adaptation d’un manga ce qui l’autorise à pousser le caractère fantastique des combats. Et donc il met en scène des chorégraphies nouvelles avec le génial Kenji Tanigaki. La saga réinvente presque les combats de chanbara en y ajoutant des jeux de câbles qui viennent du cinéma chinois. Il joue aussi en meme temps sur les transformations du Japon qu’il dépeint celui du début de l’ère Meiji donc de l’occidentalisation du pays. Tout ça dans les scènes de combats. Et pour le spectateur, ces mouvements et ces ballets sont nouveaux au cinéma de la meme manière qu’ils le sont pour les personnages qui découvrent les armes occidentales. C’est là ou échoue Bourboulon, c’est qu’en faisant le choix de tenter d’etre fidèle à la réalité historique, et non pas à la vision de Dumas, il se retrouve coincé dans les méandres du brouillon. On voit parfois les intentions, on ne ressent pas grand chose. Mais ce n’est pas un naufrage. Car alors qu’il trahit Dumas à moitié, c’est justement la puissance de ses intrigues entre complot et passion, qui font que l’on suit le film sans déplaisir. Paradoxe de tout ça, je dois meme dire que l’esthétique télévisuelle (et c’est là deuxième fois de l’année que je le dis, ça devient grave) de Bourboulon dans la majorité des scènes, laisse la place à la langue de Dumas qui surpasse le projet cinématographique voire le porte sur son dos. J’aime aussi que les acteurs jouent leur role. C’est deja un truc que j’aime bien dans les blockbo internationales parce que je suis un iencli, genre j’aime bien que Duris joue Duris, que Garrel joue Garrel etc… Parce que j’aime bien quand Gosling joue Gosling ou quand Shota Sometani joue Shota Sometani. C’est bien qu’on le fasse en France lol. Y a aussi deux ou trois séquences pas mal, la poursuite des chevaux en nuit américaine. Ou la réapparition de Cassel dans la foret comme un spectre (mais je dois quand meme dire que les indonésiens ont deja fait le coup dans The Night Come For Us, et pour bien montrer qu’ils sont plus forts, ils l’ont fait en plein jour, avec de la vraie baston…). En gros on dirait un truc de Annaud un peu des fois. Reste Eva Green qui joue Eva Green, mais elle m’a deja fait voir Sin City 2. Donc bien sur, Dumas et Green vont me faire revenir pour la partie 2. Il semblerait que la France échappe au destin de l’Empire US car quelques artistes depuis 2 ou 3 siècles parviennent meme à travers l’hubris de Seydoux à nous faire croire que tout n’est pas encore foutu dans ce pays. Le problème c’est que le roi est toujours présent, dans la fiction de Dumas et peut-etre dans notre réalité. Dans les deux cas, il est une garantie de mort pour tout le monde sauf pour lui et ses intérets. Mais pourquoi la monarchie est-elle revenue au cœur des préoccupations françaises ?