les corps abominables

Dans les tribulations industrielles de la production hollywoodienne, les œuvres sortent par pack ou par paires thématiques de nos jours. On a même plus besoin d’attendre le succès d’une œuvre phare pour en avoir les variations. Le thème de « l’anamnèse feministo-new age » du début de l’année (Argylle, Poor Things, Madame Web…j’en parlais ici: https://kinotaksim.wordpress.com/…/linternationale…/), « le cycle des singeries » qui a lieu en ce moment (Monkey Man, Kong x Godzilla, La planète des singes) et puis « House of Psychotic Women » pour citer une critique canadienne qui avait une hype sur les internets il y a une décennie (Immaculée, The First Omen). On peut donc s’amuser à confronter les œuvres en temps réel voire d’une séance à l’autre comme dans un festival qui ne dirait pas son nom. Une partie de mon parcours cinéphile venant de la branche Schroeter-Polanski-Borowczyk-Argento-Zulawski-Bunuel, il va sans dire que je suis beaucoup plus attentif au dernier thème. Meme si j’aurais l’occasion de revenir sur le cycle des singeries car je dois promouvoir mon idée que la collaboration indo-chinoise doit se faire dans une saga Hanuman x Sun Wukong. Bref.

Immaculée n’était pas mal dans l’organisation du méta-discours autour de son actrice, son corps principal, Sydney Sweeney. Meme les spectateurs peu regardant avait très bien compris que l’œuvre produite par l’actrice était à la fois un véhicule de promotion de son spectre de jeu mais aussi une « déclaration » sur son corps et l’aliénation qui en découle depuis son succès dans Euphoria. Il y avait une justesse dans l’esthétique viscérale que mettait en scène Michael Mohan et dans le jusqu’au boutisme de la démarche. On était presque dans ces œuvres des années 70 qui ont fait les grandes heures de l’hystérie sur pellicule. Le presque vient justement du regard beaucoup trop propre sur l’institution religieuse, certes elle est condamnée par le tournant gothique de la situation mais elle est d’abord montrée et filmée comme une suite de jolies tableaux dont la lumière rendrait justice à toute une école de peinture italienne. C’était là, la grande faiblesse de Immaculée, on veut montrer « du sale » mais en faisant du jolie cinéma. Ce n’est pas une contradiction insurmontable, c’est qu’elle n’est pas assez extrême car le regard sur le couvent est beaucoup trop sympa. Je ne sais pas si c’est parce que la société est beaucoup plus séculaire qu’à l’époque des cinéastes que j’ai cité, mais il est évident que les gens derrière Immaculée n’ont pas compris que la dévotion est deja en soi, une folie, une aliénation. Que même la vie des petites nonnes comme des gentilles mamies que l’on croise dans la rue est vertigineuse car leur foi a littéralement tordu leur perception au point qu’elles choisissent une vie de réclusion et de répétitions jusqu’à leur mort. Il me semble que Immaculée oublie justement que personne ne va dans un couvent pour s’émanciper, c’est le contraire. Et ce n’est pas non plus un espace de « sororité » malgré les appellations de « sœur » comme la première partie de l’œuvre voudrait le montrer par une sorte de joliesse superficielle. Je parle de ma connaissance de la chose ayant grandi dans l’un des deux seuls départements français ou l’église et l’état n’étaient pas séparés (https://www.senat.fr/leg/ppl14-329.html). Mais surtout, il suffit de regarder la fièvre religieuse qui a lieu dans toute l’Amérique pour comprendre que l’œuvre faibli dans sa vision propre de ce que sont « les sacrifices » à l’aune d’une vocation. Sydney Sweeney porte le tout par les temps longs que lui accorde le cinéaste mais aussi la production dont je rappelle elle fait partie. Une actrice qui voulait s’émanciper se retrouve prisonnière du cadre symbolique qu’elle avait choisi pour mettre en scène son émancipation, car oui, Sydney Sweeney vient d’une famille du Midwest, elle ne pouvait pas totalement « cracher » sur l’aliénation au cœur de sa culture.

C’est là ou se loge la réussite de The First Omen qui est aussi un portrait d’actrice en filigrane. Cette fois c’est Nell Tiger Free. Mon admiration pour cette dernière est deja acquise puisqu’elle est apparue dans les images des cinéastes qui poursuivent ce cinéma des années 60-70. Chez NWR dans sa série Too Old To Die Young, et bien sur chez Shyamalan dans Servant ou elle jouait deja le rôle d’une « sorcière ». Quand elle incarne finalement cette figure au cinéma, devant la caméra de Arkasha Stevenson (qui a réalisé des épisodes de Channel Zero et de Légion, des séries géniales, justement sur le traitement de la psyché), bien sur que le résultat s’avère beaucoup plus fou que le geste promotionnel de Sydney Sweeney. D’ailleurs les deux œuvres ont plusieurs séquences en commun, mais la plus marquante est celle d’un accouchement en plan-séquence debout. Si celui de Immaculée se joue en gros plan sur le visage de sa star, celui de The First Omen se joue sur le corps et les dislocation des mouvements de son actrice-sorcière qui rappelle Isabelle Adjani dans Possession. C’est dans cette différence que se joue l’appréciation des deux œuvres, car Nell Tiger Free est bien un corps dévoué dans l’œuvre, c’est une actrice. Elle ne contrôle rien, elle n’a rien à défendre, elle incarne seulement le rôle d’une exaltée qui ignore l’étendu de sa propre démence. D’ailleurs le tout est assez malin pour construire sur la persona que l’actrice a construite durant les différentes saisons de la série de Shyamalan. Entre la naïveté dangereuse d’une religieuse du midwest, et la beauté vénéneuse des jeunes femmes conscientes de leur pouvoir de séduction (c’était l’un des grands trucs de The Neon Demon, sauf qu’ici point de néons, juste le démon…). Elle devient justement prisonnière des différents type de regard qui ne sont pas seulement sexuels. Ce que Immaculée oublie, c’est que l’immaculée conception dans la liturgie chrétienne n’est pas la naissance du christ, c’est la naissance de la Vierge Marie qui vient elle-même d’une mère sans père. C’est dans la rectification des origines monstrueuses de cette croyance que peut se déployer la folie de Arkasha Stevenson. Dans des ellipses qui confondent visions et réalité, c’est l’imaginaire chrétien qui est replié sur lui même. Ce n’est pas la petite sororité bien rangée de Immaculée qui cacherait des actes innommables, c’est l’ensemble du couvent qui est montré comme différent degré de la même folie. Dont bien sur la plus souterraine, celle de la catabase, révélerait le plan ignoble de contrôle de l’Église non pas seulement sur le corps des femmes, mais sur les mères comme sur les fils comme un Bene Gesserit. L’œuvre joue bien avec cette idée de niveau par le truc tout con de construire dans les interstices d’un cut. Le saut logique d’une image à l’autre incarne la fièvre au cœur de la dévotion jusqu’à la folie totale. Et puis pour une année avec différents plans de vulves, il faut saluer le plus audacieux car il ouvre l’œuvre. Une vulve sculptée dans le crane d’un prêtre corrompu, et c’est seulement le début. Je dois aussi dire que mon appréciation est décuplée car il y avait un mec au premier rang de la salle 1 de l’UGC des Halles qui était extatique durant la plongée des 30 dernières minutes, on dirait qu’il était affecté physiquement par la musique et les images, il enlevait sa veste, la remettait, enlevait son chapeau, changeait de positions. Il semblait autant possédé par l’œuvre que l’actrice à l’écran. C’est génial.

Il y a aussi toute cette symbolique qui vient tout droit du cinéma que j’aime. Les visions d’araignées, les cheveux de Nell Tiger Free, le chaos politico-social qui existe dedans comme dehors, et évidemment, Rome. Et les longs regards de l’actrice qui monte d’un cran dans l’intensité fanatique dont elle devient la marionnette. Je dois aussi rajouter que j’aime bien la saga de base. Parce que avec l’Exorciste, ce sont probablement les deux « saga » les plus connus car elles ont le plus résonné dans ce territoire dont l’ombre du Vatican assombri toujours les esprits qu’est l’Amérique (du Sud au Nord). Donc les gens regardaient ces œuvres religieusement, et la peur qu’ils éprouvaient quand j’étais plus jeune devant les deux étaient tellement profonde qu’elle me laissait songeur sur les possibilités du cinéma. Pour ma part, je voyais cette arrivée de l’antéchrist comme une sorte de shonen. Et c’était évident car le meme cinéaste qui a fabriqué la figure de Damien, est celui qui a fabriqué au cinéma, celle de Superman. Ce n’était pas deux faces d’une même pièce pour moi, c’était littéralement la même chose dans deux imaginaires différents. Les uns disent Kwisatz Haderach, et les autres disent Abomination.

Laisser un commentaire