Mois: Mai 2023

2 au carré pour boucler la boucle

Étonnant d’entendre que le film ne « fait rien » du jeu vidéo, alors que c’est sa structure. Au début du film, le personnage de Bugs, annonce chez un serrurier (elle donne donc bien les clés…) ou se situe la chambre de Neo, qu’ils sont dans un mod. Le film est un mod. « why use old code to make something new ? ». C’est ça un mod. S’il y a bien un truc qui a changé le JV depuis 15 ans c’est bien ça. Et surtout les gens dans la matrice sont des bots (ça c’est pour répondre à Josué qui dit que le film ne dit rien sur « la société », alors qu’au contraire elle radicalise son discours en mode maintenant c’est nous vs tout le monde. Et non plus nous vs le système ou il y aurait des innocents/ignorants au milieu).

Pour revenir sur l’idée de mod, il y a 15 ans dans les cybercafés et autres, on jouait tous à DotA, qui était le grand jeu de stratégie avec des compets au quatre coin du monde blablabla. Avant le boom de l’e-sport au début des années 2010. DotA, est en réalité un mod de Warcraft 3. C’est-a-dire que ce sont des gens qui ont crée une autre manière de jouer au jeu à partir du programme du jeu. Certains des mecs à l’origine de DotA, sont partis faire leur propre jeu, un truc de merde, de rien du tout, un machin qui s’appelle League of Legends. Le mois dernier est sortie la série Arcane qui adaptait l’univers du jeu en série sur Netflix, après que ce dernier soit à l’origine du « boom » de l’e-sport. Aujourd’hui il existe donc une oeuvre à part entière qui vient d’un mod. Dans Matrix Resu, il y a une coupe après que Bugs et Morpheus tombent de l’autre coté du miroir du mod, sur l’écran de Thomas Anderson qui bosse sur son jeu. Sur ce meme écran est affiché quelques minutes plus tard, une image de la ville, qui est en réalité la dernière image du film. Neo à travers un mod, donc une autre manière de jouer au sein d’un programme qu’il ne contrôle pas à trouver un moyen de sortir de la matrice, du moins de la modifier pour permettre son réveil. Et comme Lana a aussi compris que les gens savent plus regarder les images de cinéma, Bugs le dit à Neo dans un dialogue « il n’y a rien de plus banal que de cacher la vérité dans un jeu vidéo ». Car Matrix Resu est aussi un mod à la trilogie, une autre manière de jouer selon les règles du programme, pour s’échapper autant de l’héritage de l’œuvre que de la nouvelle matrice (ce qui explique le fait qu’ils soient dans des espaces liminales ou des zones en ruines/constructions, parce qu’ils sont dans les ramifications du programme inachevé, dans les « backdoor »). Il y a littéralement une scène ou les mecs sortent d’un train en marche (donc du film puisque chacun sait que train = cinema, pour aller checker le « code source »/le film original dans une salle de cinéma en ruine pour savoir comment refaire cette partie; le réveil, mais de manière différente…On peut pas etre plus clair sur le fait qu’ils hackent le cinéma, du moins modifie le programme de base, donc font un mod[et en passant, c’est une idée qu’aurait pu avoir Satoshi Kon, Mamoru Oshii ou Hideaki Anno, bref c’est une idée d’anime lol, d’ailleurs dans Paprika il y a…BREF. En vrai je délire, car les cinéastes cités ont tous deja fait une scène équivalente, la scène du manoir dans Innocence, la scène du cinéma dans Paprika, et tous les films Evangelion…. ]). Un Matrix qui serait fait pour et par les gens qui ont assez « joué au jeu original », d’ou le fait que le film commence par une vision de « joueurs » dans un jeu à travers Bugs, Morpheus et Sequoia (qui sont quand meme caractérisés comme des putains de gros nerds)… Tout ça est exprimé par la mise en scène, le montage et les dialogues. C’est ça la proposition, « another chance », de laisser Matrix etre « modé ». Et c’est seulement une des pistes que propose le film, entre celles qu’évoque Marin, la piste psyché, la piste sense8. Et c’est tout ce que je dirais parce que je laisse les gros pavés sur Matrix en 2021. Bref… Josué c’est l’analyste lol.

Rise and Rise and Rise…

5 films sur 40 ans. Pas un seul de raté ou de mauvais. Ce que veut le peuple. Evil Dead Rise and rise and rise again ! Sinon j’aime bien l’équilibre de Lee Cronin entre le truc viscéral très réaliste de Fede Alvarez, et le retour du burlesque de Raimi. Et l’apport de Cronin est intéréssant, car jusque là c’était une saga masculine, voire virile. Meme si Alvarez avait tenté de trouver un équilibre. Sauf que là ou Alvarez avait pour argumenter au massacre, la drogue et le sevrage (car en réalité le remake de 2013 s’inscrivait bien dans les révélations sur le fait que les USA étaient depuis 20 ans empêtrés dans les opioïdes et les opiacés qui déciment toujours les populations les plus pauvres, et pas que). Cronin inscrit une logique féminine, par quelque chose d’assez explicite, une infusion d’un imaginaire gothique (c’est évident dès la première séquence). Ce qui en plus de la cérémonie macabre habituelle rondement mené, rajoute une autre couche symbolique à son esthétique. On est dans Lovecraft mais on est aussi dans Emily Bronte. Et ça se traduit par un jeu de métaphore, et de micro/macro (le plan sur une sorte de système solaire miniature dans la chambre des enfants) mutation propre à la littérature gothique canonique. Par exemple il ne traite pas la scène de viol frontalement comme Raimi ou Alvarez, elle est suggérée par deux images métaphoriques, une en forme de litote, la mère se fait arracher sa boucle d’oreille. Et une autre en forme d’analogie, une fois possédée, elle casse des œufs qui une fois ouvert ont autant de blanc que de sang.

Et comme le veut la saga, le grand ennemi est le grand absent. Autant la drogue que la mère chez Alvarez (car pour les retardataires l’entité que la jeune femme tue devant la maison en feu et sous la pluie de sang est le monstre du deuil impossible de sa propre mère). Autant l’harmonie (oui ça attaque la famille et pas n’importe quel type de famille…) que le père ici. Dans ses visions les plus extrêmes Evil Dead Rise parvient meme à nous faire ressentir qu’en réalité ce jeu de massacre est autant celui d’une mère ogresse dont le refoulé familiale resurgirait dans la folie, que les effets sourds d’un mari violent, voire d’un viol, encore une fois absent. Mais bon, en réalité le plaisir renouvelé à voir les deadite sortir des punchline comme Freddy ou de savoir jusqu’à quel point les corps peuvent se déformer (ou se reformer, c’est la grande surprise de ce Rise !) est suffisant pour affirmer que c’est probablement la meilleure saga d’horreur des 40 dernières années. D’ailleurs j’y pense, Rise est un bon pied de nez à l’horreur qui s’est cru « elevated ».

Autre truc notable dans tout ça, la récurrence des plans avec la demi-bonnette, moins comme un truc narratif que comme un truc plastique, faudrait revoir. On dirait que c’est surtout pour rajouter du malaise sensible dans notre regard plus que pour signifier quelque chose.

La dernière reine

quelques trucs fascinant dans la dernière reine de Adila Bendimerad et Damien Ounouri. Deja l’oeuvre se pose à la juxtaposition de deux trucs que j’apprécie qui sont l’esthétique du cinéma chinois et une certaine obsession pour l’eau. Les deux sont bien sur liés. Le personnage central, le corps central autour duquel celui gravite toute l’oeuvre, celui de la reine Zaphira est associée à l’eau. Au début du film on l’a voit se baigner dans une zone du palais, sorte de hammam, qui semble lui etre réservée. Dans un autre plan on découvre que le corsaire qui a perdu un membre, se retrouve seul devant la mer qu’il ne peut reprendre. Il est lui meme habité par le feu, celui qui ronge son corps, et son ame puisque dans un autre plan assez beau on découvre les reflets d’une flamme dans ses yeux après qu’il ait discuté avec Zaphira. Et dans une troisième séquence (d’ailleurs je crois que c’est dans l’acte 3 puisque y a un peu une logique « alchimique » à tout ça, on est quand meme au 16 siècle à Alger), les deux se mélangent et vont lier leur destin au sein de l’image meme. Zaphira fait un reve ou elle voit la mort de son mari le roi, dans un hamam la nuit, en gros il n’y a plus que l’eau du hamam et le feu des bougies. Cette esthétique va glisser dans le « réel » quand soudain elle va vouloir sauver son mari pendant la nuit et que les rues sont pleines de flaques, donc la seule chose qui nous permet de la voir, c’est justement le feu des torches et le reflet de ce dernier dans l’eau des flaques. Les deux personnages se retrouvent lier dans cette séquence, leur deux éléments se retrouvent meme mélangés l’un dans l’autre, c’est deja trop tard. Et c’est assez fascinant que la tragédie ce scelle deja par la plasticité de cette séquence.

Mais ça ne s’arrete pas là, plus tard, quand Zaphira va s’enfoncer dans la tristesse, Alger est recouverte d’eau, il pleut. Et dans la scène elle se retrouve sur les toits à dicter des choses. Comme si elle devenait une sorte de déesse. Tout comme le froid qui la caractérise et qui est parfois présent dans la bouche des personnages, elle mord la glace, elle ne craint pas la neige. Zaphira peut etre autant liquide que solide. Il y a une sorte de glissement dans ce qu’est vraiment le personnage, et meme de transfert, car petit à petit elle aussi se sent habiter par le feu du corsaire qui va jusqu’à la diviser entre ces désirs (scène des miroirs ou dans chaque miroir se reflète une bougie avec le visage de Zaphira dédoublé…). Zaphira est insaisissable, ou elle épouse les propriétés de ceux qui déteignent sur elle, comme de l’eau. Pour célébrer le mariage, la première chose que font les corsaires pendant la fete, c’est de plonger dans la piscine, d’occuper l’espace symbolique de cette dernière. Et comme par un effet de ricochet, elle-meme semble se sentir « occuper » de l’intérieur sur le destin de son fils. D’ailleurs l’une des personnes qui saute dans la piscine/hamam est le tueur de son fils. Et dans un dernier temps, l’eau a bien sur les propriétés magiques liées aux reves. Sauf que l’esthétique « chinoise » de Ounouri dont on connait le gout pour Jia Zhangke ou HHH, rends tout ça beaucoup moins explicite que dans une vision occidentale. Il y a d’ailleurs 2 ou 3 plans qui sont des citations de The Assassin de Hou Hsiao-Hsien. Ce jeu de transfert et de symboles se fait de manière voilé, autant à l’image des jeux de pouvoirs au sein des cours qui se font par euphémisme, non-dits, et par masques que parce qu’il existe aussi une dimension invisible voire magique dans le rapport qu’entretiennent ces gens entre eux. Par exemple après la mort du roi est une image manquante, elle se fait hors-champs, elle est l’objet d’un reve. Pourtant le film commence sur des batailles. On aurait pu la voir. Mais elle infuse le film par un autre moyen, après le plan sur son cadavre, il y a un cut, puis l’image suivante est celle de Zaphira derrière un voile rouge qui recouvre l’espace de sa chambre. Le contraste soudain entre le clair-obscur, le feu-eau de l’image précédente, et celui de l’image que l’on voit, ce voile rouge soudain dans cet espace tout blanc. Nous signale que c’est bien de sang dont il s’agit, c’est le sang qui vient salir la blancheur éthérée des quartiers de la reine, c’est le sang qui appelle le sang au coeur de toutes les tragédies dont Zaphira n’est qu’une des incarnations entre Antigone et Lady Macbeth. Et comme l’eau le sang définit le corps meme des individus, il s’agit d’incarner Zaphira. De donner chair à une image fantasmée.

Et puis il y a aussi une autre scène que j’aime bien, qui à cause de mes récents visionnages de cinéma indien, m’a tout de suite interpeller car c’est un truc qu’ils adorent faire. Le corsaire à cheval attrape soudain Zaphira par la taille pour la mettre sur son cheval. Cette action est rythmée par un gros plan sur le bras métallique du corsaire sur la taille de Zaphira. On nous rappelle donc la dimension charnelle et symbolique de leur rapport, car un membre manquant est dans un registre tragique/mythologique pour un homme souvent une métaphore phallique ou une incarnation de sa virilité perdue (la métaphore est en plus doublée du fait qu’au début il y a u dialogue qui encore une fois fait une sorte de transfert entre le fait de monter des chevaux et des femmes, et qu’il la fasse monter un cheval avec son bras mécanique ne fait que souligner ça). Il veut posséder Zaphira. Sauf que la séquence de déploie dans une autre forme d’ébats. Ils s’échangent des mots comme un substitut du sexe. Ces mots eux-meme rappellent le caractère « prosaique » de l’un, et la nature presque divine de l’autre. Zaphira est une sorte de divinité meme pour le corsaire. D’ailleurs et c’est là ou ça me rappelle le cinéma indien, se dialogue fait fi d’une certain « réalisme », on a l’impression que justement grace au cadre restreint de Ounouri sur les visages durant cette séquence à cheval, les deux corps sont en lévitation. On ne les voit pas pleinement en plan large sur le cheval durant ce dialogue, on ne voit qu’un échange mots après mots, visages après visages, comme une scène de sexe, ils sont en lévitation. Soudain ils se retrouvent dans une sorte de parenthèse onirique, ou tout est explicité, le feu, l’eau, les corps et meme le projet de Ounouri et Bendiramad. D’ailleurs le plus souvent dans ce genre de scène dans les cinéma d’Asie, Chine ou Inde, l’horizon métaphysique du film est explicitée. Et c’est le cas aussi ici. le corsaire qui n’est qu’un homme de la matière, un fils de paysan, veut posséder une déesse, il veut conquérir une divinité. Sauf que par effet de glissement ou de transfert, Zaphira va devenir cette divinité à ces yeux car elle est l’eau, elle est la mer elle-meme. Et on repense à cette scène de reve, ou Zaphira prononce à son mari « Je t’aime comme la mer », sauf que la mise en scène nous dit autre chose. Quand elle dit ces mots, elle est seule dans le cadre. Elle se le dit à elle-meme. Elle se voit comme la mer/mère. Le corsaire veut Zaphira car il veut dominer la mer. Le feu en lui, sa « virilité » bancale lui empeche de retourner sur les eaux, il doit d’abord reprendre Zaphira. D’ailleurs quand il se dispute avec sa compagne, la Scandinave, c’est toujours devant la mer. Comme si sa présence était l’origine meme de leur discorde. Elle infiltre tout, elle reprend tout, comme dans Kindil, le film précédent de Ounouri. Et cette scène à cheval ne fait que rimer avec l’ultime climax. Après s’etre laissée submerger par le feu de la vengeance (littéralement à l’écran sa tete est dans les flammes) en tuant la Scandinave, dans une scène qui pour le coup est très chinoise dans cette mise en scène de la violence. Elle se donne au corsaire. Et encore une fois leur affrontement n’est qu’un substitut d’un ébat sexuel impossible. Elle ne veut pas se laisser pénétrer, elle veut se pénétrer elle-meme. Et quand l’ébat arrive à sa fin, elle s’autorise enfin à jouir de son propre sang, de sa grande mort. Sauf que lorsqu’elle se vide de son sang et que la vie la quitte, le bruit de l’eau de la fontaine vient se mélanger à l’écoulement de son sang. Encore une fois, par une sorte de transfert sonore, c’est l’eau qui vient emporter Zaphira jusqu’à nous au-delà de son corps. Car un carton à la fin du film nous signale que le personnage n’a peut-etre jamais existé. Que c’est un reve de ses deux créateurs. En essayant de la saisir, elle nous a échappé comme de l’eau, comme un reve, comme le destin de de Alger. Et que le cinéma malgré ses étranges pouvoirs ne pouvait lui aussi nous montrer qu’une évaporation.

ALIENOID/KINGDOM HEARTS/GUNZ

Je continue mon rattrapage des blockbuster des grosses industries d’Asie. J’ai enfin vu Alienoïd. Et j’étais enfin content de voir un truc qui explore ce dont je discute ici comme un fou qui répéterait la même chose depuis quelques années maintenant. La fantaisie et la SF, c’est la même chose. Mais l’œuvre fait quelque chose de beaucoup plus intéressant en terme esthétique, même pour le blockbuster coréen. Elle se situe sur deux périodes. Le futur (notre présent) et le présent (notre passé). Sauf que le passage entre les deux époques est souvent fait par un simple cut. Au début je me disais que ça avait un charme rétro car le film joue clairement avec les codes du wuxia de la grande époque de HK (dont le réalisateur Choi Dong-hoon n’a jamais caché son admiration dans Woochi ou dans l’excellent Assassination) même et les films de SF US comme on en faisait y a deux décennies. Donc le fait que tout ne soit pas fluide d’un passage d’une époque à l’autre est intéressant, surtout à notre époque où on peut faire des tas de transitions artificielles. D’ailleurs les grands blockbuster coréens brillent par le fait qu’ils aient autant digéré les apports esthétiques du Japon ou de Hong-Kong que des bases du langage du cinéma Hollywoodien. La Corée du Sud elle-même, comme pays libéral, est née dans le grand bordel des années 80. Ou tout devenait n’importe quoi tant que ça pouvait correspondre à des standards reproductibles. Et puis tout ça m’a rappelé un jeu. Gunz. Il y a une quinzaine d’années, il y avait déjà un jeu qui avait fait la synthèse de ce que j’appelle « l’esthétique syncretique » typique du début des années 2000.

Déjà je dois dire que l’on a découvert Gunz car on était des rats de cybercafés et de toute la culture internet qui en découlait dont nous étions partie intégrante (c’est pour ça que je mettrai jamais mon vrai prénom et nom ni ici ni ailleurs, les réseaux c’est pas la vie, mais vous voulez entretenir cette porosité pour des raisons absurdes lol) . Culture qui était autant virtuelle que réelle puisque le cyber était un véritable endroit où les collégiens que nous étions passions beaucoup trop de temps. Mais c’était déjà une sorte de forum (qui ne serait que le retour du forum réel) . Puisque des gens de tout âge venaient débattre des sujets relatifs à ce qui ne s’appelait pas encore « la culture geek » et qu’on a toujours refusé d’appeler comme ça parce que c’est juste de la culture, et surtout jouer. Donc on jouait (War3, Counter-strike, FAR Cry, Starcraft, WoW, Dofus etc etc…) mais aussi on discutait beaucoup de manga (puisque parfois des gens venaient au cyber juste pour lire les scan et en discuter publiquement) , de films (nous n’avions qu’un cinéma avec deux salles dont la plus grande diffusait toujours le nouveau blockbuster imposé par l’Empire US lol. Je me rappelle une fois on était allé voir Kung-fu Panda et Speed Racer à la suite avant de retourner au Cyber pour la fête du cinéma et de conclure que l’un des deux était vraiment nul, surprise surprise ce n’est pas celui qu’on croit ! ), des débuts de ce que l’on voyait sur youtube ou autre (les premieres vidéo virales et aussi des même qui étaient pas encore appelés des même à l’époque, mais aussi des pionniers de la création sur youtube comme Monty Oum avec Haloid et Dead Fantasy. RIP Monty Oum. On a probablement vu les deux vidéos beaucoup trop de fois pour ce que c’était lol), aussi des débats des forums qui du coup venaient dans la réalité et des rivalités du forum qui aussi devenaient des rivalités réelles. Il y avait aussi les discussions sur les séries interminables, que ce soit les anime ou les séries US (rétrospectivement c’est le seul intérêt de Bleach…). Et bien sûr dans tout ce télescopage (qui a duré le temps de mes années de collège), il y avait au centre le jeu vidéo. Si les japonais occupaient une place centrale dans notre vision du JV, nous ne le savions pas les Coréens aussi ont fait leur part. Car Gunz est un jeu coréen. Et ça je ne l’ai appris qu’il y 2 ou 3 ans en discutant de tout ça avec les fous qui ont vécu cette période avec moi, lors des grands bilans de confinement. Le truc qui est devenu évident c’est que maintenant que l’origine du jeu m’est connu, je comprends tout de la démarche. Gunz en réalité est un jeu de tir à la 3eme personne qui fonctionne comme un Hack’n’Slash ou un MMO mais en même temps comme un FPS en ligne. Bref étrange métissage de game design. Sauf qu’en plus de ça le jeu était la synthèse entre Matrix et le Seigneur des anneaux. On incarnait des personnages qui semblaient sortir de Matrix et qui avaient les aptitudes des personnages de Matrix. Marcher sur les murs en tirant, « gun-Fu », utiliser des armes blanches comme des katana ou autres. Tout ça dans le style des personnages de Matrix. Sauf que toutes ces actions s’effectuaient dans des niveaux d’heroic fantasy qui suivaient la logique de donjon avec des vagues de monstres par salles. Et les monstres eux-même étaient des trolls, des gobelins, et tout le bestiaire des êtres antagonistes de l’heroic fantasy. Il faut donc s’imaginer le truc car tout ça était assez bien fait pour l’époque aux alentours de 2006-2007. Et bien sûr le jeu nous avait été introduit par le patron du cyber, un jeune monsieur chinois (car les gros diffuseurs des œuvres ou de la culture coréenne avant les coréens eux-même à cette époque étaient les chinois, c’est eux qui ont fait péter la K-pop et tout ça. D’ailleurs les chinois faisaient la jonction entre les deux puissances culturelles industrielles que sont le Japon et la Corée du Sud car ils sont de toute façon à la base des deux culture, donc les plus à même de comprendre ce qui se jouait au niveau esthétique dans tous ces mélanges. Bref). Donc dans un endroit qui était déjà à la croisée de tout ça, on jouait à un jeu qui était à la croisée des univers fictifs dominants de l’époque. Et tout ça était asses abrupte, on passait d’une chose à l’autre, d’un art à l’autre, d’une œuvre à l’autre. Comme si tout pouvait être coupé à n’importe quel moment et repris autre part. C’est un peu la synthèse qu’effectue la Corée du Sud dans la musique ou dans le cinéma depuis 20 ans, car c’est un pays né de l’explosion libérale culturelle des 80s (donc la victoire de l’individu, mais surtout de l’individu comme mesure de l’imaginaire possible). Certains diront que c’est ça la « post-modernité », je ne crois pas du tout. Je crois que c’est bien le projet aussi extreme soit-il de la modernité elle-meme. La dernière fois en parlant de cinéma indien, je ramenais Don Quichotte. Tout ce que l’on appelle « meta » aujourd’hui est deja dans Don Quichotte. Le commentaire sur l’époque, les intertextualités, les citations, les références, la porosité entre le lecteur et le personnage, la constante polysémie des situations, des répliques, de la structure de l’oeuvre. Tout ça est encore une fois liée par une seule chose et meme chose qui est au coeur de la « révolution moderne » occidentale, de la pensée cartésienne. Meme la logique du « manuscrit trouvé » qui est si cher à la création internet est deja dans Don Quichotte. Donc il n’y a rien de « Post », quand tout ceci est contenu au sein même de l’œuvre matricielle de la modernité esthetico-narrative occidentale.

L’autre chose, c’est qu’un autre jeu était aussi à cette jonction. C’est bien sur Kingdom Hearts. J’ai déjà trop dérivé dessus durant l’un des confinements. Mais dans le dernier KH 3 (2019), il y a une map, un niveau, qui s’appelle Final World. C’est une sorte de niveau abstrait à la conclusion du jeu ou Sora le héros se retrouve piéger contre lui-même entre la vie et la mort, ou il n’ y a que des escaliers qui n’ont pas de sens. Et en regardant Alienoïd, j’ai eu ce flash que ce niveau existe aussi dans Gunz. Mais pas dans n’importe quelle version. Dans Eurogunz, une version de Gunz qui était restreinte à des serveurs européens ou l’on avait accès à toutes les options du jeu des le début et où le plaisir se retrouvait dans la difficulté à jouer contre tout le monde qui aurait accès à toutes les meilleures armes et tous les meilleurs trucs des le début. Le truc c’est que j’avais oublié Eurogunz jusqu’à voir Alienoïd. L’appropriation européenne d’un jeu coréen qui faisait le syncrétisme du cyberpunk et de l’heroic fantasy des années 2000. Ça va beaucoup plus loin car dans Eurogunz, il y a une map sur laquelle on arrivait souvent par défaut dans le PvP, c’est Stairway. Un niveau qui ressemble étrangement à Final World de Kingdom Hearts 3, 10 ans plus tôt. Les deux jeux aux esthétiques et aux gameplay totalement mutants se retrouvaient dans ce mêle niveau dans ce mêle choix de level design. Si je peux comprendre l’attrait que ça a au niveau du gameplay, c’est dynamique, ça favori que les sauts, ça crée de la tension car il y a du vide. Ça force les joueurs à être agressif car les plateformes sont petites. Je dois quand même avouer que je suis surpris de constater ces deux occurrences pour des jeux aussi singuliers et pourtant ancré dans leur époque. Et puis Alienoïd me plonge dans cette vision d’un monde connecté entre deux époques par un cut. En regardant les deux niveau, j’ai réalisé que j’étais con car je venais de saisir la référence commune aux deux jeux, la culture de base qui fait la jonction entre ces deux niveaux. C’est Escher. Ce sont les tableaux de Escher. Les deux niveaux sont créés ainsi pour donner une illusion d’infinie. Pour KH 3 car c’est symbolique car c’est la fin et pour Eurogunz, c’est pratique car c’est un petit jeu. Comme dans les œuvres de Escher.

Le truc avec Alienoïd, c’est que justement ces deux périodes sont entrelacés comme dans un noeud de Moebius. Mais le cut qui paradoxalement lie et sépare ces deux périodes n’en est pas vraiment un. La fantaisie et la SF ne sont deux faces d’une même pièce non pas parce que l’un est dans le futur ou l’autre dans le passé. Mais plus parce que l’un se veut l’extrême rationalité et l’autre l’extrême sensibilité. Les deux sont en réalités indissociables. Car l’espace dans lequel existe cet infini, l’espace qui lie par une coupe abrupte ces deux choses. C’est le même qui lie l’héroïne à elle même dans les deux périodes. C’est également ce qui divise le robot qui lui fait office de chaperon en deux entités. C’est la conscience elle-même. C’est ce qui existe vient se loger dans l’interstice des deux images paradoxales. C’est ce dont Escher tendre de rendre compte par la figuration d’une réalité qui suivrait les règles des abstractions mathématiques. Hors par définition, elle n’existe que dans un endroit abstrait donc absent de matière. C’est cette matière que doit retrouver l’héroïne de Alienoïd en faisant l’expérience de la vie puis presque de la mort. Mais le spectateur lui n’assiste qu’à un jeu de formes entre blocs d’espace-temps par des images mouvantes dont il est au final le dernier monteur. C’est ce qui ce joue dans cette œuvre bizarre, une quête de la conscience elle-même pour apprécier et sauver la matière du monde. Qui ne peut être dissociée ni par des concepts comme le passé ou le futur, ni par des approches du réel par les sensations ou la raison, ni par l’existence d’autre forme de vie qu’elles soient organiques et aliens ou robotiques et familières. Les individus seraient de toute façon, des astronautes perdus dans l’infini de leur « je », qui ne pourrait etre défini de toute façon. C’est une sorte de fable sur la solitude étrange du cri de la conscience dans l’infini de l’existence. Bref, hâte de voir la partie 2.

« I’d follow you will through time

Til it’s not worth living

And if somewhere there’s a sign

That I just dont know

Then I just wont show you »

Oshii/Nihei/Oshii

Fire Hunter et Kaina of The Great Snow Sea. Mamoru Oshii et Tsutomu Nihei. Deux anime de 2023 avec l’impulsion pour chacun d’eux de grands noms de la SF des 40 dernières années. Beaucoup plus intéréssant, les deux mettent en scène une guerre pour Fire Hunter/Oshii une guerre du feu et pour Nihei/Kaina une guerre de l’eau. Les deux dans des futurs qui ressemblent à des périodes du passé nippon, les transformations et la centralisation de l’ère Meiji pour Fire Hunter et les guerres féodales de ressources qui font penser à la période Sengoku dans Kaina. Les deux mettent en scène des périodes de troubles ou la redécouverte d’un savoir voire d’un lien avec le vivant oublié est au coeur de la résolution. Dans les deux, notre époque est considéré comme le passé de l’humanité. Car oui, la capacité « prospective » de deux grands noms de la SF sur la chute certaine de notre époque ne révèle meme plus de la fiction.

Oshii continue son exploration d’une mystique de la vie elle-meme, il y aurait dans notre rapport au monde, des choses qui nous dépassent et dont il faudrait non pas combattre par la technologie mais s’y accorder. Et qu’une sorte de fusion entre la science et la mythologie est nécessaire. Car dans Fire Hunter, les hommes ont perdu le controle du feu, du moins les hommes des villes. Et le périple d’une petite fille pour ramener un chien à la famille de son propriétaire nous permet de comprendre les nouveaux enjeux de cette reconfiguration socio-culturelle. Bref, comme d’hab chez Oshii, le feu c’est autant celui de la connaissance que celui des armes, au milieu la réel qui s’incarne dans des figures divines pour rappeler l’homme à sa condition. Dans Kaina c’est un peu la meme chose (c’est vraiment troublant surtout que Fire Hunter est une adaptation d’un bouquin, là ou Kaina est une création de Nihei), une jeune princesse qui tente de sauver son royaume de la guerre pour l’eau rencontre un jeune homme d’un groupe indigène qui était censé avoir disparu. Les deux vont partir dans un périple pour empecher la guerre en trouvant un arbre qui serait la source de l’eau. Comme d’hab chez Nihei, il y a un jeu d’échelle impressionnant. Le monde se divise en trois parties, la mer de neige (en gros le niveau normal), la canopée (une sorte de membrane qui recouvre la terre à cause d’arbre géant et qui n’a pour horizon que l’espace), et le monde sous-marin (sous la mer de neige qui est en réalité notre « monde » mais englouti). Et puis il y a aussi l’influence de Bilal comme d’hab, ou ça condamne le pouvoir qui ne mène de toute façon qu’à la misère du peuple et à la guerre. Sauf qu’il rejoint Oshii dans la mesure ou Kaina le dernier de son clan, est le seul personnage qui a le savoir ancien, la lecture. Et donc la meme chose se déroule, des forces mystiques légendaires réapparaissent et les hommes sont ramenés à leur condition. Que ce soit pour l’eau ou le feu, il est clair que ces deux noms de la SF viennent souligner le fait que meme dans un monde futuriste, le problème serait la culture de toute façon. Car la modernité n’a pas un problème avec les systèmes politiques ou avec la technologie, ce que la guerre pour les éléments les plus basiques de nos existences, et meme de tout ce qui existe sur la planète ne fait que mettre en lumière, c’est que la modernité a un problème avec la réalité.

Après j’aime bien l’utilisation des CGI dans Kaina ou on a l’impression que tout flotte. Et que comme on est toujours dans des décors qui sont l’eau sous ses différents états, c’est fascinant. Pour Fire Hunter, le coté Godardien du duo Oshii/Nishimura est pertinent pour exprimer le monde par les yeux d’une enfant qui le découvre. Autant pour les dessins parfois très simples, que comme des compositions plus complexes ou juste la présence d’une palette assez large de couleurs. Les deux oeuvres font ce truc propre à la SF, de nous donner une sorte d’émerveillement enfantin alors qu’ils nous mettent face au vertige de la condition humaine. Et j’oubliais de dire, les deux utilisent aussi des éléments de fantasy, les chevaliers et l’esthétique médiévale cher à Nihei, et des dragons chinois comme trace de la mythologie chinoise cher à Oshii. Bref, des variations d’auteur mais une certaine qualité d’oracle, comme d’hab.

Villeneuve

Avec le trailer, on entre dans le blabla-médiatique sur Dune. Ou la période Dunemania après le succès du premier. Le truc intéressant dans tout ça, c’est bien sur Denis Villeneuve. Je dois avouer qu’avant son tournant SF/fantastique (qui a commencé avec Enemy), c’était pas un cinéaste que j’attendais particulièrement. Je pensais au pire que ce serait un bon artisan hollywoodien un peu comme Sam Mendes, ou dans le meilleur des cas une sorte de Benet Miller qui ferait des oeuvres denses sur des sujets complexes mais en gardant une certaine rigueur esthétique voire une maitrise « académique » du cinéma tel qu’on peut le faire à son meilleur dans les conditions hollywoodiennes. Et puis il y a eu Arrival. C’était surtout notre premier contact avec ce que Villeneuve était vraiment venu faire dans ce machin que l’on appelle le cinéma.

Pendant un moment de la période la plus trouble de la pandémie il y a 2 ou 3 ans, quelqu’un a commencé à upload des vidéo de l’émission québécoise « Course destination monde ». J’en ai regardé une car on reconnait sur la miniature la gueule de Denis Villeneuve jeune. Et j’ai découvert que pendant 10 ans, 10 saison, les québécois avaient une émission ou ils envoyaient des jeunes gens à travers le monde, et que ces gens devaient revenir avec un court-métrage de 4-5min sur le pays ou la région en question. Puis ces courts étaient jugés par des professionnels en direct à la télévision. Denis Villeneuve a participé à la 3eme saison en 1991 (puis est revenu comme juré des années plus tard). Sauf que ce que l’on découvre dans le peu d’émissions disponibles sur youtube ce sont les origines esthétiques du cinéaste qui sont deja là. Surtout qu’en 1991, Villeneuve a 24 ans. Et c’est d’autant plus particulier car durant cette saison, l’émission est La Course Europe-Asie.

Le truc qui est frappant, ce que contrairement aux autres candidats, Villeneuve joue le role d’un cinéaste dans ses propres courts. Mais il le joue à travers une mise en abyme qu’il structure comme une exploration extraterrestre. En gros, il se fait passer pour un alien, et donc ces courts-métrages sont les captations de ce dit alien sur les sociétés et cultures humaines. Ca lui permet de lier l’ensemble de ses courts dans l’émission, et surtout de créer des expérimentations formelles dont il n’a pas besoin de justifier l’existence car, ce serait l’image d’une technologie futuriste ou alien. Bien sur, il va gagner l’émission à chaque « prime time » et remporter au final la course. Sauf lorsqu’on regarde les petits courts de Villeneuve, les références esthétiques qu’ils convoquent sont assez évidentes Chris Marker, Resnais et Godard. D’ailleurs le concept du cinéaste comme d’un étranger à l’humanité est celui qu’utilise Chris Marker de manière implicite dans Sans Soleil, Level Five et d’autres. Et c’est ce que fait Villeneuve à cette époque, en rajoutant de l’humour car il avoue lui meme qu’il aime bien Spirou au début d’une des émissions. Et que ses idées lui viennent aussi de la BD car sinon il ne pourrait pas supporter de rester dans une salle de montage.

L’héritage esthétique de Villeneuve est donc assez évident mais ça ne s’arrete pas à ça. Dans le film omnibus Cosmos en 1996. La jeune garde du cinéma québécois se retrouve autour d’un film mutant ou différents cinéastes construisent des segments autour du personnage de Cosmos, un taximan, sauf qu’il n’y aurait pas de cut entre les segments. En gros l’oeuvre existe comme une seule entité avec des mini-blocs narratifs. On pourrait voir ça comme la version québécoise de la série « Tous les garçons et les filles de leur age » sur Arte en 1994. Bien sur Villeneuve est de la partie et d’autres gens qui étaient deja à Course destination monde (d’ailleurs à noter que l’un des jeunes cinéastes présent est André Turpin qui deviendra chef op pour Villeneuve mais surtout le chef favoris d’un autre enfant de la balle, Xavier Dolan…). Le segment ou du moins la partie de Villeneuve est intéréssante dans ce quelle révèle du cinéma selon lui. Le Technétium, qui est le nom de la partie, met en scène un jeune cinéaste qui est contrait de devoir aller faire la promotion de son nouveau film dans une émission « hype ». le truc remarquable c’est que Villeneuve tient à cette idée Markerienne/Godardienne de se mettre en scène lui meme par des alter ego ou par des procédés scéniques. Et le second truc c’est que l’interview a lieu dans un salon de coiffure, qui semble etre autant un club, qu’une gallérie. Et l’émission elle-meme est en live sur internet (je rappelle qu’en 96, ce n’est pas très possible donc par ce simple détails, on se rend compte qu’il y a une dimension subtil de SF). Villeneuve prends son temps pour explorer le lieu pendant que le cinéma se fait coiffer pour passer en direct. Il y a des écrans partout, des miroirs partout, tout est diffracté, doublé. Bien sur on pense à Blade Runner. Mais on pense aussi à ce qu’est MTV dans les années 90. Au final le cinéaste va « péter un cable » (presque littéralement), et court-circuiter sa numérisation en fuyant l’interview. Le truc c’est que Villeneuve semble autant se moquer de cette nouvelle esthétique que rétrospectivement on va appeler Y2K, qu’il en est fasciné car c’est l’accomplissement de visions et d’un imaginaires que son cinéma naissant semble vouloir incarner. Et tout comme son cinéaste dans l’oeuvre, il est pris entre la volonté de vouloir capter l’aventure et les remous du monde réel (il y a une discussion avec Cosmos le taxi sur la guerre, et sur la volonté du cinéaste de vouloir faire un film qui s’inspirait de la vie réelle du taximan…) et ce miroir déformant, aliénant qu’est la science-fiction. Mais surtout entre l’indépendance qui permet d’etre attentif au réel, et l’industrie qui oblige tout un chacun à se dédoubler. Bref, c’est la tension esthétique dont il a hérité mais que d’autres avant lui ont aussi affronté. Et justement il révèle cette voie dans le Technétium, entre « poésie », « technologie » et « politique », des cinéastes ont deja défriché le chemin. Ridley Scott et Terry Gilliam, ce sont eux qui sont parvenus parfois, à accorder Marker et David Lean, Kubrick et Resnais, Tarkovski et Godard. Mais surtout il y avait deja un mouvement qui 20 ans que Villeneuve fasse Cosmos était au coeur de cet imaginaire paradoxal.

Je pourrais finalement résumer avec ces éléments. Il y a 2 ans, nous avons eu droit à un reboot de Metal Hurlant, dans la première page du premier numéro du reboot, il y a la citation suivante en blanc sur fond noir : « Je doit tout à Métal Hurlant » – Denis Villeneuve. Et ce serait assez. Mais continuons un peu. A la sortie de Dune de Villeneuve, l’une des voix positives dans la réception de l’oeuvre ici, est Dionnet en personne. Dans le numéro 4 du reboot, on demande à Druillet ce qu’il pense de Villeneuve, et il dit qu’il apprécie beaucoup la personne et ce qu’il fait (on parle de la meme personne qui pense que le Nosferatu de Herzog est de la merde). Et pour couronner le tout, on pourrait dire que la seule personne qui a réalisé une oeuvre dans une des deux saga (Alien et Blade Runner) de Ridley Scott dans les années 2010 voire dans ce siècle pour l’instant, donc de celui qui était le pionnier de la transcription de ce mouvement au cinéma, c’est encore Denis Villeneuve. Mais on s’en fiche un peu de l’autorité, c’est ça l’esprit Metal, donc on pourrait vérifier si l’esthétique de Villeneuve est au niveau de cet héritage. Et ce pourquoi il a autant d’admiration depuis son passage à la SF. Car on parle d’un mec qui est en réalité plus vieux que Christopher Nolan lol. Il se trouve que justement il parvient à infuser cet imaginaire dans les grosses productions hollywoodiennes. Parfois de manière subtile, parfois moins. Car pour les vieux de la vieille qui ont oublié, Metal c’est pas que du cul et de la violence. Si Villeneuve n’est pas comme un Ridley Scott ou un Gilliam dans un imaginaire chaotique à la Moebius ou à la Bilal. Il est plus dans la sophistication, d’un François Schuiten, dans l’épure d’un Philippe Gauckler, dans le réalisme et la froideur d’un Didier Eberoni, ou dans la monstruosité familière d’un Beb-deum. Bref, et meme si on voulait retourner à cette matrice qu’était la nouvelle vague autant que Metal, Villeneuve dit à qui veut l’entendre que ces cinéastes préférés sont Michel Brault et Pierre Perault l’équivalent québécois des cinéastes français que j’ai deja cité. Mais dans la matière meme des oeuvres, c’est évident. Qu’est-ce que Arrival si ce n’est une variation d’un procédé deja expérimenté par 3 fois chez Alain Resnais (Je t’aime Je t’aime, Hiroshima mon amour, l’année dernière à Marienbad), celui qui jouerait avec les images comme des souvenirs. L’oeuvre n’aurait ni début ni fin, elle ne serait qu’un moment dans le flot des souvenirs d’une subjectivité sur elle-meme, et ce serait l’ultime horizon d’un cinéaste-alien, de faire vivre l’expérience de l’altérité en rappelant une personne à elle-meme par le miroir du cinéma. Il y a un plan dans Arrival sur un objectif de camera (rond noir) ou l’on discerne l’endroit ou apparaisse les aliens (un rectangle blanc). L’oeil et l’écran. L’écran dans l’oeil. Dans Blade Runner 2049, Joi (Ana de Armas) nom d’une catégorie porno, joue une femme au foyer idéale, mais elle n’est pas vraiment une, c’est peut-etre infâme. Comme chez Godard, elle joue un role de femme et au final ce n’est qu’une image pour tout ceux qui la regarde autant pour nous que pour K (Gosling). Villeneuve fait dans la meme séquence un truc Godardien, il donne l’un des coeurs de l’oeuvre en montrant un livre. Impératif hollywoodien oblige on ne lit pas de passage. Mais il y a plan fugace sur le seul livre qui trone chez Gosling et que Joi (ou lui je ne sais plus) ne peut pas attraper car il est réel/virtuel. Le titre du livre, Feu Pale de Nabokov. Tout Blade Runner 2049 est là. Pour la faire courte, Feu Pale est un livre qui ne joue que sur les intertextualités ou comme on le dit aujourd’hui c’est un livre « meta ». Mais comme j’en parlais je sais plus dans quel post facebook, le meta est l’horizon meme de la modernité depuis le début, c’est ça Blade Runner. Et puis Gosling croit qu’il est une sorte de personnage spécial comme dans les films, jusqu’à partir en cavale avec sa femme-idée, il me semble que c’est la deuxième fois que Denis Villeneuve fait un remake de Pierrot le fou, la première fois c’était en 1998 avec un 32 aout sur terre. Dans Dune, Dame Jessica (Rebecca Ferguson) est prise entre le destin que doit incarner son fils Paul Atreides (Timothee Chalamet) pour l’organisation du Bene Gesserit dont elle fait partie et le fait qu’elle est une mère qui veut le protéger. Elle est prise dans des mécanismes qui la dépasse. Une fois l’examen de la douleur de son fils passé, elle est noyée dans le doute du grand changement qu’elle va connaitre et celui de l’univers. Dans Le Désert Rouge de Antioni, Monica Vitti est prise dans l’industrialisation inéluctable de son pays. Le changement aussi est inévitable. En sortant de sa réunion du Bene Gesserit, une brume envahie le port spatial ou elle doit prendre son vaisseau, elle et son fils sont désormais dans la brume. Dans le désert rouge, Monica Vitti et son fils sont aussi dans la brume dans un port face à leur destin incertain. La longe focale tant analysée chez Anotnioni trouve en substitut les effets de lumière numérique qui rendent les corps presque indiscernable dans cette brume. Dans les deux cas, le monde est désormais trouble pour ces mères et leur fils. Dans l’oeuvre que nous regardons Dune, cette scène existe dans un des plus gros blockbuster de notre époque. C’est un peu ça Villeneuve, c’est ça je crois qui cristallise une certaine attention depuis qu’il incarne la science-fiction (car il est annoncé qu’il adaptera Rendez-vous avec Rama de Arthur C. Clarke). C’est d’ailleurs ce qui était au coeur de la révolution Metal Hurlant, il y a pres de 50 ans. De redonner vie à des formes dont la puissance serait mise au service de l’imaginaire le plus débridé, et des expressions d’émotions les plus extrêmes, dans des gestes aussi politiques et poétiques que philosophiques.

D’ailleurs j’ai commencé à avoir cette réflexion sur Villeneuve quand un mec lui a fait remarquer que l’une des séquences de vol de vaisseau-libéllules dans Dune était similaire à Black Hawk Down de Ridley Scott. Villeneuve impressionné avouait que c’est vrai, et qu’il trouvait ça réaliste car justement la séquence existait deja avec des hélicoptères dans le film de Scott, et donc ça donnerait aux gens la sensation de quelque chose de plausible. Le mec qui a fait remarquer ça à Denis Villeneuve, c’est James Cameron.