Mois: décembre 2023

TOP CINEMA 2023



Il faut bien en finir avec ces conneries.

20 – The Creator de Gareth Edwards // Conann la barbare de Bertrand Mandico // De la conquête de Franssou Prenant
19 – Knock at The Cabin de M Night. Shyamalan
18 – Goutte d’or de Clement Cogitore
17 – Anatomie d’une chute de Justine Triet
16 – Animalia de Sofia Alaoui
15 – l’Arbre aux papillons d’or de Pham Tien An
14 – On dirait la planète Mars de Stéphane Lafleur
13 – Perdidos en la noche de Amat Escalante
12 – Le Gang des bois du temple de Rabah Ameur-Zaimeche
11 – Désordres de Cyril Schaublin
10 – Killers of The Flower Moon de Martin Scorsese // Les Colons de Felipe Gálvez Haberle
9 – La Montagne de Thomas Salvador
8 – La Rivière de Dominique Marchais
7 – Un corps sous la lave de de Helena Giron et Samuel M. Delgado
6 – Le garçon et le héron de Hayao Miyazaki
5 – Suzume de Makoto Shinkai
4 – Trenque Lauquen de Laura Citarella
3 – les Herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan
2 – Music de Angela Schanelec
1 – De Humani Corporis Fabrica de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel
0 – Film annonce du film qui n’existera jamais: ‘Drôles de Guerres’ de JLG

Bien sur j’aurais pu également y mettre : Fermez les yeux de Victor Erice, l’Ete dernier de Breillat, Babylon de Chazelle (eh oui), Un Prince de Pierre Creton, deux ou trois Wes Anderson, The Survival of Kindness et Rue des dames. Peut-etre meme Adieu Sauvage. Et des tas d’autre trucs que j’ai adoré. En dehors des choses récentes sorties cette année, je note aussi : l’Amour fou de Jacques Rivette, Guerre et Paix de Sergei Bondartchouk, Kasaba de Nuri Bilge Ceylan et Onibaba de Kaneto Shindo.

TOP SERIES 2023

Probablement la dernière fois que j’en fais un.

20 – Silo de Morten Tyldum // Ahsoka de Dave Filoni
19 – Gangs of London saison 2 de plein de gens
18 – Bargain de Jeon Woo-sung
17 – Mask Girl de Kim Young-hoon
16 – Jujutsu Kaisen saison 2 de plein de gens
15 – The Fall of The House of Usher de Mike Flanagan
14 – The Glory de Kim Eun-sook et Ahn Gil-ho
13 – Kaina of the Great Snow Sea de Hiroaki Ando (sur un manga de Tsutomu Nihei)
12 – Hikari no Ou de Junji Nishimura & Mamoru Oshii
11 – Revenant de Lee Jung-rim & Kim Jae-hong et Kim Eun-hee
10 – Slovo Patsana de Zhora Kryzhovnikov
9 – Servant saison 4 de Tony Basgallop et M Night. Shyamalan
8 – Le Collège Noir de Ulysse Malassagne
7 – A Murder at The End of The World de Brit Marling et Zal Batmanglij
6 – Le problème à 3 corps de Lei Yang
5 – Unicorn : Warriors Eternal de Gendy Tartakovsky // Makanai de Kore-eda
4 – Scavengers Reign de Joseph Bennett et Charles Huettner
3 – Yao – Chinese Folktales – Anthologie
2 – Copenhagen Cowboy de Nicolas Winding Refn
1 – Tengoku Daimakyou (Heavenly Delusion) de Hirotaka Mori // Pluto de Toshio Kawaguchi

Les coréens font beaucoup trop de choses ! Sinon j’aurais pu mettre des anime chinois fascinants, mais j’aurais l’occasion d’en discuter une autre fois. C’est deja trop.

Bref, je dis pas à l’année prochaine car ça commence à saouler ces bêtises. En tout cas, ça m’amuse plus et ça n’a jamais été très sérieux de toute façon. Ce n’est pas perdu pour tout le monde…

« Numéro un tueur de rêves qu’on dit irrévocable »

Monsieur Loyal : Wan again

Dernier délire de l’année avant le top lol. Mais il faut faire un point sur l’homme que l’on appelle James Wan. Dans une scène de Aquaman and The Lost Kingdom, Arthur perd son bébé, et lorsqu’il réalise ça il crie. L’image passe au ralenti avec une fréquence d’image plus basse (vous savez le ralenti à la Wong Kar Wai). Puis il y a un cut au noir. Et on entend le cri alors qu’on voit du noir, avant que le cri de Arthur soit enchainé avec celui du bébé. Et enfin l’image revient et on voit le bébé. Oui c’est étrange de voir ça dans un blockbuster. On pourrait penser que ce n’est pas « élégant », pas très « Hollywood », car justement, comme je disais dans mon post précédent James Wan fait du cinéma comme on le faisait à Hong-Kong il y a 25 ans, comme on le faisait à Hollywood il y a 30-40 ans et comme on le fait toujours aujourd’hui en Inde ou en Chine. Il injecte la brutalité des formes (ou les codes esthetico-narratifs de l’exploitation) du cinéma de genre avec lequel il a grandi dans la machine hollywoodienne.

Il injecte ses propres lubies. Si dans le premier Aquaman il mixait l’Abomination de Dunwich, L’Appel de Cthulhu et dans les Abimes du temps avec de l’héroic fantasy très arthurienne. Dans le second on reconnait clairement les Montagnes Hallucinées, la Quete onirique de Kadath l’inconnue et le Cauchemar d’Innsmouth qu’il fusionne avec du space opera (qui n’est finalement que la seconde face d’une même pièce, avec l’heroic fantasy). James Wan assume tous ses courants car l’eau peut tout mélanger, tout diluer. On se retrouve devant une œuvre qui en réalité tente d’invoquer la dimension foraine du cinéma à travers un collage pulp mais aussi érudit. Car les cinéphiles auront reconnu l’ile étrange à la The Lost World ou King Kong, le délire de l’évasion dans le désert qui évoque des tas et des tas de films d’aventures des années 30 (l’Atlantide de Pabst en 1932 comme par hasard) aux années 90 autant que les relectures de Lucas dans son propre space opera. Mais surtout la nonchalance typique du héros de pulp et de film d’aventures à travers Aquaman (le meme film aurait pu etre fait avec Kurt Russell ou Harrison Ford dans les années 80, ou Nicolas Cage/Brendan Fraser dans les années 90). James Wan met en scène toute la folie qu’il évoque avec un sérieux magistral. Il trouve l’équilibre entre Rodriguez et les Wachowski. Le caractère naïf voire puéril du premier, prérequis pour s’investir dans le détail d’une telle entreprise aussi bien dans la création que la réception, et la maestria des collages des secondes, la maitrise d’une ingénierie qui produit du spectaculaire sans que ce soit une fin en soi. Bien sur il n’est jamais au meilleur de tout ce qu’il évoque mais c’est assez audacieux pour se laisser emporter.

Depuis deux ans, j’ai une théorie dont je discute avec Justin et Jeremy parfois, c’est que depuis la légalisation des drogues dans les états « importants » des USA, le cinéma hollywoodien notamment Marvel faisait en réalité des films de stoner. C’est pour ça que la qualité des films se dégradaient car ils servaient juste de festival audiovisuel pour l’américain moyen entre deux joints. Et puis un jour au téléphone je discutais avec mon père et il me dit « J’ai vu le dernier Suicide Squad (2021) là, beh c’est un truc psychédélique ça ! Ils font des trucs psychédéliques maintenant ! ». En réalité je réalisais que James Gunn et James Wan venaient du meme « bain » cinéphile, le cinéma d’exploitation des années 80-70. Sauf que James Gunn faisait parti de Troma, et il y avait un coté cynique de rejoindre les anciens ennemis que je lui ai toujours pas pardonné. Donc il s’amusait à jouer les sales gosses à Marvel ou DC, pour de faux. Je devais quand meme lui reconnaitre son ambition de justement injecter une certaine facture hollywoodienne à travers une rigueur esthétique qui arrivait meme à faire remarquer à mon père que The Suicide Squad était effectivement un film qui jouait à singer une subversion des années 70, et à notre époque, c’est assez pertinent. Ce n’était donc pas un stoner movie mais bien un film qui reprenait une imagerie 70s assumée, donc psychédélique. Sauf que James Wan n’a pas ce coté ricaneur. Il embrasse réellement son mélange comme ce que devrait etre le blockbuster en 2023, sans etre un stoner movie débile. Car si il y a 40 ans, Star Wars et Lovecraft représentaient deux esthétiques et deux genres distincts, les eaux troubles d’internet comme l’avait bien senti les Wachowski ont lié toutes les esthétiques underground/rebelles/marginales par un jeu de motifs voire de rhizomes. James Wan ne fait que suivre cette voie, aussi bien dans ses œuvres d’horreurs entre Spielberg, Wes Craven et Johnnie To, que dans ses œuvres grands publics. C’est une sorte de Monsieur Loyal qui orchestre le cinéma comme un cirque dont il connait tellement bien les tours qu’il suffit de suivre le spectacle dont la fluidité révèle une certaine virtuosité. Il faudra l’admettre, James Wan est l’un des meilleurs cinéastes de sa génération à Hollywood, non pas par excellence mais par constance, et ça devient fou de faire comme si ce n’était pas le cas ! L’infection qui a lieu au début de Aquaman est semblable à celle de James Wan sur le cinéma de genres depuis 20 ans, le temps qu’on remarque l’impact des visions qu’il aura provoqué dans nos esprits (les trois franchises qui dominent le cinéma d’horreur depuis 20 ans viennent de lui, est-ce qu’on avait deja vu ça depuis Wes Craven ?), ce sera deja trop tard car il sera devenu le monstre venu des profondeurs des marges du cinéma pour reprendre un trône qui à l’aune de la rareté des Del Toro, Cameron, Spielberg et j’en passe devient vacant. La machine foraine n’a plus de moteurs depuis que ses anciens artisans se pensent philosophes ou font des introspections. Bref, encore un peu, et on dira que c’est le number Wan !

le crépuscule des magiciens

Les logiques ésotériques des oeuvres du couple Brit Marling et Zal Batmanglij nous offre toujours deux expériences d’une même œuvre qui se confondent. A Murder at the End of The World n’a fait que rendre tout ça plus explicite. Dans le premier épisode, Darby invite une IA chez elle. Le truc c’est que la scène insiste pour nous montrer qu’elle doit l’autoriser à rentrer. C’est un « rite » typique des sciences occultes ou des mythes qui y sont associés (par exemple, il faut demander à un esprit de se manifester ou un vampire ne peut entrer dans un foyer sans y être invité blablabla). Dès lors que l’on nous présentait l’IA comme un démon ou une entité similaire, le whodunit prenait un autre sens. Aussi il y avait la porte d’entrée plus évidente qui sont les visions insistantes analogues à Shining. Ainsi pour une partie du public « non-initiés », ils ont suivi une sorte de whodunit étrange, une sorte de Agatha Christie trempée dans du Philip K.Dick. Ou se dévoilait tout un monde sur les désirs secrets des apôtres de la Sillicon Valley.

Pour les autres qui ont compris ce qu’on a leur a montré dans l’épisode 01, c’était surtout l’exploration des tourments d’une génération d’enfant-machines. La Gen Z, probablement et surtout celle d’avant. A travers Darby on nous montrait un monde ou des jeunes scotchés à leur téléphone résolvaient des enquêtes que la police avait abandonné, mais surtout vivaient fusionné avec la machine comme confident, ami et amour. Ils en prenaient meme le langage et la logique. Paradoxalement très belle séquence ou l’on voit Darby « vivre » sa romance avec Bill à travers son téléphone. Car il faut au moins etre à moitié une machine pour comprendre que nous sommes dans un programme qui ne mène à rien si ce n’est à un éternel culte mortifère, qui prend le nom d’un certain système économique dans lequel nous sommes depuis 3 siècles.

Pour les deux visions de la série, il n’était pas surprenant de comprendre que le grand assassin n’existait pas, ou du moins n’était pas un individu. La douce ironie d’avoir ausculté une génération qui justement veut individualiser les luttes pour promouvoir la destruction d’individus en particulier, c’est justement de les confronter à leur genre préféré, le whodunit et de leur faire ressentir que le réel est bien plus proche de Dick que de Christie. Que tout n’est pas aussi simpliste, qu’un système n’a pas d’ambitions que de perdurer, et qu’il n’y a pas de grand méchant à punir. Car meme les riches ont des désirs qu’ils confondent à une rationalité sans failles. Et que dans les programmes dans lesquelles eux-mêmes se voient en Roi pécheur, les empires économiques ne sont pas dissociables des corps qui les dirigent. Ils épousent donc les peurs et les angoisses des hommes derrière les fortunes.

Cette vision très flottante de choses très concrètes rendent les oeuvres du couple tellement juste qu’ils parviennent meme à saisir l’époque en temps réel. Le week-end dernier on a appris que Mark Zuckerberg construisait un bunker comme Andy dans la série. Il faudrait peut-etre que les enfant-machines comprennent que le temps du « jeu » est terminé, et que le coupable ne s’est jamais caché car ils l’ont invité dans leur intimité. Le problème, c’est que Fortnite est maintenant 4 jeux en 1, et qu’il pleut désormais pour 4 jours en 1.

le désert inévitable

Dans The Survival of Kindness, il y a des trucs fascinants. Le plus évident c’est la confirmation presque par l’absurde que les Australiens ne peuvent pas dépasser leur histoire, ni la surmonter. Évidemment puisque c’est peut-etre le seul « grand remplacement » réel de l’Histoire moderne voire le seul génocide dont l’appellation est encore timorée en Occident pour des raisons qui me dépassent, alors que c’est un état parfaitement illégitime. Ainsi quand les cinéastes s’approprient le genre, peu importe ce qu’ils font, ils remettent juste en scène leur passé. Que ce soit pour faire de l’anticipation, de l’horreur, du fantastique ou autre, il est difficile de ne pas voir la boucle permanente dans laquelle est l’Australie. Et le plus rigolo c’est quand ils font des films de serial killer en se demandant « oh la la comment un monstre a pu apparaitre dans une communauté aussi restreinte ? », comme si la monstruosité à l’origine d’un tel pays n’était pas la violence tacite qui maintient tout le reste au quotidien, ou comme si c’était une colonie « normale ». Quand on regarde The Survival of Kindness on a l’impression de voir The Rover de David Michod sortie une décennie avant, on a l’impression de voir des morceaux de Wolf Creek de Gregg Mclean sortie près de 20 ans avant. Et on peut continuer comme ça pour remonter jusqu’à Mad Max. On peut meme remonter beaucoup plus loin, peut-etre jusqu’à Walkabout et Wake in Fright (qui sont peut-etre les deux trucs que tout le monde tente de refaire depuis 50 ans ?). Et probablement beaucoup plus loin pour les connaisseurs. Le cinéma australien ne semble être qu’une variation des mêmes évènements sous tous les angles. Le désert, la folie, la violence et des morts. Tout le programme d’une ile-continent qui se confond en une éternelle colonie pénitentiaire ou un asile à ciel ouvert au choix. D’ailleurs ça me rappelle un certain pays dans un désert plus proche de nous dont on parle beaucoup depuis deux mois, tout aussi illégitime d’ailleurs.

Mais l’autre chose qui m’a frappé, c’est que dans l’odyssée de la BlackWoman, j’avais un sentiment que j’avais pas ressenti depuis le revisionnage de Jauja de Lisandro Alonso il y a quelques mois au ciné-club Critikat (merci à Marin) et surtout depuis mes multiples visionnages de Memoria de Weerasethakul à sa sortie. Plus on avançait dans l’oeuvre, plus la durée des plans m’échappaient. Et bien sur l’une des raisons étaient évidentes car j’y pensais deja avec Memoria, c’est le silence. L’écrasante majorité de The Survival of Kindness est silencieuse. Et on ne se rends pas tant compte de ça, mais le langage, la parole surtout pour les langues qu’on connait, nous permet de mesurer, d’apprécier le temps. La parole, le débit des mots, le flot des phrases, le rythmes d’un échange sont une sorte d’intra-découpage qui double le montage. Et c’est frappant dans les œuvres silencieuses car on a l’impression qu’il y a une suite logique des plans, alors que la seule constante est souvent le corps de l’acteur qu’on suit. Mais on ne sait meme pas combien de temps on le suit durant un plan, combien de temps le plan dure, et donc la dynamique des plans entre eux si ce n’est par l’appréciation de l’espace qu’on nous montre.

Rolf de Heer joue avec ça quand au début il filme des fourmis de très près, puis dans un autre plan filme la serrure de la cage aussi grosse que la tete de la femme. Mais surtout le ciel étoilé. Bref en gros se confond le micro et le macro dans le silence, l’unité mutique de l’existence. Puis dans une autre partie du film, il fait un dézoom pour nous dévoiler qu’on est passé du désert à la montagne. Et en meme temps la femme se déplace dans le plan. Le jeu d’optique fait qu’on ne connait pas la valeur réelle de l’espace ni évaluer combien de temps il faudrait à cette femme pour le traverser. Pareil lorsqu’elle gravit la montagne. Nous sommes perdus alors que cette femme semble savoir parfaitement ou elle va sans indications. Et ça m’a rappelé un article que j’avais lu il y a très long (et que j’ai retrouvé en ligne pour l’occasion : https://www.pourlascience.fr/…/la-langue-faconne-la… ) à une époque ou j’étais plus intéressé par l’optique cartésienne que par l’optique de Nicéphore Niépce lol. Pour le résumer très grossièrement, certaines langues des aborigènes d’Australie leur permettent de se retrouver dans l’espace en 3D. En gros ils savent se situer dans l’espace à l’échelle des point cardinaux (donc de la planète), car les mots qu’ils utilisent désignent l’espace réel, et les cultures qui ont ses langages savent aussi utiliser les étoiles et autres, au quotidien. Ce qui signifie qu’un Aborigène ne peut pas se perdre en Australie tant qu’il grandit avec sa langue.

C’est là ou Rolf de Heer fait un truc intéressant, c’est que s’il fait cette oeuvre maintenant, alors que sa filmographie n’est pas maigre sur la situation des aborigènes, c’est que depuis quelques années, on sait qu’à la fin de ce siècle, beaucoup de langues aborigènes voire la majorité auront disparu pour de bon. Plus que d’accomplir la machine coloniale occidentale dans un énième génocide, ça prive l’humanité d’une culture qui était la preuve vivante d’un lien organique entre les hommes, leur culture et la planète. Que la pensée elle-meme pouvait s’accorder à un territoire au point que des gens puissent se repérer n’importe ou juste par leur langue. Et justement la confusion qu’il arrive à nous faire ressentir sur notre appréciation de l’espace-temps des formes cinématographiques est bien assez pour nous faire comprendre le fossé vertigineux qui nous sépare dans notre vision de la réalité, dans notre manière d’exister sur cette planète. Dans Jauja et dans Memoria ce sont les personnages que l’on suit qui subissent ces malaises spatio-temporelles, dans The Survival of Kindness c’est le spectateur lui même. Et c’est d’autant plus fou que le moment ou la BlackWoman parle enfin pour prévenir la jeune femme de sa mort à cause de la maladie, elles ne peuvent se comprendre. Comme une malédiction, les mots qu’elle prononce la ramène en 4 ou 5 cut à son point de départ (alors qu’il a fallu le film entier pour arriver là ou elle est), comme si la performativité de la langue la resituait dans son véritable espace, celui de la cage, de la mort. Car son mutisme attestait qu’elle avait en réalité deja disparu.

Contrairement à la fin de Fury Road, et son « we need to go back », The Survival of Kindness nous partage que même si vous retournez en arrière, c’est deja trop tard. Ainsi vont les variations des images australes, qui résonnent parfois comme des images astrales.

les pacifictions nippones

Il faut reconnaitre au Godzilla de Takashi Yamazaki d’avoir l’une des meilleures apparitions du Kaiju de l’Histoire du cinéma. Godzilla apparait à Ginza, stop le « train » du cinéma, le détruit, puis défonce un théâtre et enfin les journalistes de la radio avant de provoquer avec son souffle « thermique », une explosion nucl… »thermique ». L’apogée de ce moment étant bien sur la pluie noire. Il y aurait beaucoup plus à dire sur cette séquence pour une autre discussion. Scène très Spielbergienne, car on ne peut s’empêcher de penser à la scène de King Kong au début de RPO (meme si je ne porte pas le film dans mon coeur) et bien sur à des scènes similaires dans la Guerre des mondes, mais on se souvient « qu’on ne dépasse pas King Kong », Godzilla minus one nous rappelle que de l’autre coté du Pacifique, « on ne dépasse pas Godzilla ». Comme je pensais, il y a donc bien deux images d’explosions nucléaires, donc la quatrième fois cette année sur grand/petit écran. L’époque des pacifictions. Le cinéma serait-il une arme nucléaire ?

Néanmoins il y a un truc étrange. Yamazaki qui a la réputation justifiée d’avoir des penchants nationalistes et parfois révisionnistes dans ses oeuvres ne manque pas de réitérer sa vision « natio » de l’Histoire Japonaise. Absolument aucun américain dans le film alors qu’il se déroule entre 1945 et 1947 à Tokyo. Un bien étrange Kamikaze. Un fétiche pour les armes (mais pour le coup, c’est un fétiche partagé par l’ensemble du spectre d’artistes d’animation ou de manga au Japon…puis l’esthétique « singulière » de l’animation japonaise, comme l’a rappelé Eiji Otsuka dans plusieurs publications vient de la guerre). Une reconstruction éclair. Mais en réalité tout ça est très consensuel. Il y a une qualité esthétique globale que l’on pourrait qualifier de « qualité japonaise » (avec les même tares et avantages que ce que l’on appelait « la qualité française »). Au détour d’une blague sur le controle de l’information par les autorités japonaises, on comprend que Yamazaki veut plaire à tout le monde (car oui le Japon est l’un des pires pays « développés » en termes de liberté de la presse encore aujourd’hui). L’oeuvre est en elle-meme moins conservatrice que ce que l’on pourrait penser. Sauf que dans le personnage du Kamikaze se joue une autre transformation dans le contexte nippon.

En 2019, Yojiro Noda le chanteur de RADWIMPS (vous savez le groupe que l’on entend dans les Makoto Shinkai depuis Your Name, et qui était un meilleur groupe avant de bosser avec Shinkai mais c’est aussi une autre discussion…) publie ce tweet :
https://x.com/YojiNoda1/status/1135159393912180736?s=20

Pour un peu plus de contexte, Yojiro Noda n’est pas étranger à la tweeterie polémique au Japon, mais surtout il n’est pas quelqu’un de très « progressiste » selon les standards occidentaux (oui il a des délires natio également et parfois des dérives bizarres sur différents sujets…). Mais à l’époque ça avait fait son petit effet, puisqu’il se permettait de critiquer une chose qui pourtant n’avait pas lieu d’etre meme selon le point de vue d’un gars comme lui, la remilitarisation du Japon. Et cela à travers l’achat d’avion. Comme l’a bien rappelé Fabien lors de sa présentation, Godzilla minus one est un chantier qui a démarré en 2019.

Meme si je n’ai jamais rien lu de conséquent dessus, il est aussi intéressant de constater que dans les discussions sur les internets par « les otaku » occidentaux, la politique de Cool Japan de Shinzo Abe a toujours eu pour but de donner une image irreprochable du Japon mais aussi d’utiliser les cultures populaires pour réintroduire la militarisation. J’avais des amis bloggeurs qui me « prévenaient » de ça, quand je m’intéressais à la nouvelle vague d’Idols qui est apparue vers 2013 avec le succès de BABYMETAL. Ils pensaient tous que le retour en force des Idols (qui viennent aussi d’une culture de la guerre) était la dernière grande mystification qui permettrait de faire passer la remilitarisation comme normal. Ils n’avaient pas totalement tort. En 2022, pour les fêtes de fin d’années sort la série First Love de Yuri Kanchiku.

Yuri Kanchiku est une sorte de « disciple » de Shunji Iwai et son esthétique est totalement dans les pas du maitre sur les romances adolescentes, et les premiers émois. L’autre chose c’est que comme l’indique le nom de la série, elle venait conclure les célébrations des 20 ans de la sortie de l’album, First Love de Utada Hikaru. Sauf que l’album de Utada Hikaru est sortie en 1999. Il fallait donc comprendre que la série, comme le film Godzilla (qui fete les 70 ans) est en chantier depuis 2019 et que le COVID l’a stoppé. Et effectivement, les deux derniers épisodes traitent du COVID dans une sorte d’ellipse (assez bien faite). Bref, si je parle de cette série c’est parce que comme Godzilla elle utilisait la célébration d’une figure de la culture populaire japonaise pour mettre en avant un imaginaire militaire. En effet, elle se déroule sur deux temporalités, en 99 et à notre époque. Dans la période de 99, une séquence me marque, le garçon (car c’est un boy meet girl) a décidé de rejoindre les JSDF, alors que sa copine est partie à Tokyo pour continuer ses études (les deux viennent de Hokkaido). Alors qu’il est en permission il rejoint sa copine à Tokyo, il se rend compte que leur mode de vie sont trop différents. Mais surtout il se dispute avec un jeune homme qui se moque du fait qu’il soit un soldat pour un pays qui n’a pas besoin d’armée. Et là apparait la séquence étrange, pendant 5min, le héros fait une apologie des JSDF comme si on était dans un film américain. C’était la première fois que je voyais une telle scène dans une oeuvre japonaise aussi explicite, de propagande. Ce genre de scènes typiques entre les civils et « les soldats » qui reviennent à la vie civile dans les films US ne sont pas choquantes pour un pays comme les USA, mais au Japon je n’avais jamais vu ça. Et bien sur, que va devenir le héros de First Love pour se défaire de la culpabilité de l’échec de son premier amour ? il va devenir un pilote d’avion. Dans le film de Yamazaki, je ne peux m’empêcher de penser que c’est cette transformation qui se joue en filigrane, le Japon ne veut plus de Kamikaze, il veut des pilotes.

Et on ne peut s’empecher de penser que sans COVID, avec l’appui des JO et le départ de Shinzo Abe, son plan de Cool Japan aurait été très efficace dans une sorte de célébration finale d’un Japon qui retrouve son autonomie militaire pour empêcher la Chine/Russie et les USA de se taper dessus. Grand maitre des pacifictions, l’échec de l’image de perfection et de célébration des J.O à cause du COVID a probablement foiré toute une dynamique propagande que Abe avait mis plus de 20 ans à mettre en place. Je ne peux m’empêcher de voir ça dans le Godzilla, dans cette reproduction d’un film de studio parfois dévitalisé des années 50. Mais l’image du Cool Japan reste saine et sauve malgré tout, d’ailleurs l’une des actrices principales de First Love, la jeune danseuse Aoi Yamada (dont on entendra probablement beaucoup parler bientot) est dans le dernier film de Wim Wenders, Perfect Days, film certifié « qualité japonaise ». La présence de Godzilla dans le film de Yamazaki rends parfois le reste insignifiant, c’est peut-etre ça que nous rappelle le roi des monstres, les idéologies mortifères des pacifictions sont bien vaines devant les catastrophes. Les explosions nucléaires de cette année révèlent surtout des pétards mouillés. Shinzo Abe s’est fait tuer par Yamagami Testuya en 2022, un homme formé par les JMSDF…Au début de l’été le nouveau premier ministre Kishida a été encore victime d’une tentative d’assassinat. Et le succès monstre de l’écrivain marxiste Kohei Sato au début de l’année, nous montre qu’un spectre hante le Japon à l’aune des préoccupations écologiques. Makoto Shinkai faisait lui aussi des films sur les avions guerriers il y a 20 ans. Son succès et celui de RADWIMPS vient bizarrement lorsqu’il se confronte aux catastrophes naturelles, au point d’en faire une cartographie dans Suzume. Personne n’est épargné par la crise que nous vivons, surtout pas le Japon. Et joyeuse célébration pour le retour de la divinité atomique, Godzilla !

Godzilla minus one n’est pas le premier Godzilla de Reiwa, c’est le dernier Godzilla de Heisei, celui qui échoue à faire revivre un imaginaire sclérosé alors que celui de Hideaki Anno l’avait dépassé, il y a 7 ans, par sa gauche. Resurgence était une révolution. Minus One, alors qu’il contient parmi les séquences les plus folles de Godzilla est bien fidèle à son titre, on a bien régressé.

Ca me fait penser à une scène au début du Garçon et le Héron. Mahito passe avec sa tante dans la rue, et ils croisent un cortège d’enfants, de femmes et d’hommes qui revêtissent les couleurs du drapeau impérial, probablement pour soutenir la guerre. Mahito les salue et continue son chemin à l’opposée. Le Japon va dans un sens, Miyazaki (et Anno) dans l’autre.

Cosmogonie du futur et larmes du continent perdu

Je voulais discuter de l’ensemble de la carrière de Euzhan Palcy après la masterclass, mais comme d’habitude, elle n’a en réalité pas eu lieu. Que ce soit le soi-disant oubli magique de la critique française ou les grèves, il y a toujours une bonne excuse pour ne pas diffuser ses œuvres ou en discuter. Je pouvais pas non plus découvrir Siméon en salles. Il y a vraiment un problème dans ce pays même du coté des forces autoproclamées progressistes ou autres, peu importe. Revenons sur deux œuvres, Aimé Césaire : une voix pour l’histoire en 1994 et Parcours Dissidents en 2006, deux documentaires. Et peut-etre qu’il y a dans tout ça, les raisons de cette amnésie française sans cesse renouvelée.

Les premières minutes de Aimé Césaire contiennent les éléments du cinéma de Palcy mais surtout de son rapport à Césaire. On y entend le bruit des tambours avant même une image, celui des rythmes africains mais aussi ceux des musiques créoles. La musique est le liant de l’histoire afro-descedante, mais aussi le pilier culturel. Puis le visage de Césaire en gros plan qui nous raconte la genèse géologique de la Martinique, « 10 volcans en éruptions » pour créer les iles. Un dézoom nous laisse apercevoir l’ensemble du corps de Césaire, plus seulement une figure, mais un homme. Et soudain un cut, sur la lave, un volcan en éruption, le tambour et la voix de Césaire ont laissé place à une déclamation de citations de « Cahier d’un retour au pays natal ». En quelques minutes, c’est Césaire comme une être mythologique, une figure cosmogonique qui nous est présenté. Car ce que Euzhan Palcy tente de capter ce n’est pas seulement la vie et l’oeuvre de Césaire, c’est son empreinte sur le 20eme siècle comme l’un des poètes et des penseurs les plus important de son temps. Césaire est un volcan dont l’éruption a crée une ile, cette ile n’est pas seulement la Martinique, c’est le refuge de l’ensemble des gens qui ont cherché à dépasser les contradictions des machines de morts que sont les empires européens.

Ainsi le documentaire multiplie les intervenants et les paroles pour rendre compte des traces de Césaire. C’est conséquent car l’œuvre se divise en 3 parties pour un total de presque 3h. Césaire lui-même témoigne de ce que l’on raconte de lui, de ce qu’il a écrit et de ce qu’il a vu. Harlem Renaissance à Paris, rencontre avec Senghor et Damas, Négritude, surréalisme, communisme, lettre à Maurice Thorez et j’en passe. C’est une histoire rebelle du XXème siècle, celle de biais de Français, qui l’était mais pas seulement. Car la chose que beaucoup de métropolitains ne comprennent pas, et que Palcy montre bien à travers la vie de Césaire, c’est que les artistes de Césaire à Damas sont autant Français qu’ils sont autre chose, nègres, antillais, américains. D’ailleurs il faut remarquer que Palcy entreprend ce grand chantier documentaire en meme temps que Edouard Glissant ses théories sur la créolisation et le tout-monde. Ce que Glissant fait, dans le sillage de Deleuze et Guattari, par la philosophie et la littérature, Palcy le fait au meme moment par son cinéma, qui malheureusement est réduit au financement de la télévision, donc à sa diffusion à la télévision.

Il faut revenir une quinzaine d’années en arrière, Euzhan Palcy qui a grandi en Martinique voit entre la littérature et la musique que le cinéma sera son art. Mais comme tous les cinéastes afrodescendants et caribéens, elle se rend compte qu’elle doit « faire le travail ». Elle a d’ailleurs commencé sa carrière en meme temps que Spike Lee, qui à la meme période fait aussi « le travail » avec Malcolm X. Faire le travail, c’est de restituer, perpétuer et transmettre la mémoire, pas seulement des descendants africains mais de l’Histoire de l’Amérique. Et il n’y a pas un artiste de l’autre coté de l’Atlantique qui malgré son amour pour des genres, malgré ses lubies ou ses sujets de prédilections, ne se rend pas compte qu’un jour, il devra lui aussi « faire le travail ». Car la courte histoire de l’Amérique en tant qu’Amérique nous a deja prouvé que des pans pas si anciens pouvaient disparaitre des récits nationaux, par un malencontreux changement de régime (souvent orchestré par les USA). Le dilettantisme est une affaire du vieux continent, même un jeune cinéaste afro-américain comme Barry Jenkins qui est clairement intéressé par les romances avec des influences chinoises, a fait The Underground Railroad. Mais pas besoin d’aller aussi loin, de l’autre coté de la Manche, Isaac Julien (avec le collectif Sankofa) ou Steve McQueen (avec Small Axe) font aussi le travail. Euzhan Palcy apparait comme une voix singulière en France, mais à l’échelle du monde elle ne l’est pas. C’est la meme chose pour Césaire. Palcy tente de capturer cette singularité qui est pourtant universelle, Césaire par sa poésie et son parcours est devenu une force autour de laquelle gravite l’espoir d’un autre monde à l’heure ou les grands récits occidentaux volent en éclat par le nazisme, puis le néo-colonialisme et la standardisation du monde par les esclaves du plan marshall. Les paroles se multiplient, les photos, les textes, les archives également. Dans les creux du portrait de Césaire se dessine aussi les mouvements qui changeront la condition des anciennes colonies, départementalisation ou indépendance ? Divorce avec les communistes français, ancrage en Martinique. Palcy nous montre cette histoire en constante éruption. Ce n’est pas une hagiographie, c’est une fresque pour les damnées français. Après la géologie, la chimie. On nous indique que Césaire était un catalyseur, un agent qui accélérait les choses. Car en plus d’etre un poète, une sorte de démiurge d’un nouvel homme noir, voire d’un nouvel homme tout court, il était aussi professeur. Palcy se met elle-meme en scène avec le maitre. On peut penser à Alice Diop qui aime bien faire remarquer sa présence dans ses oeuvres documentaires. Comme si elle était aussi le sujet de ce qu’elle filmait, à travers un alter-ego dans l’image, ce qu’on voit dans son regard c’est ce qu’elle tente de capturer mais aussi une partie d’elle-même. Palcy assise à coté du maitre, révèle que alors qu’elle est deja une cinéaste confirmée et récompensée à cette époque, elle reste une élève de Césaire. Dans la plus part des plans avec Césaire, elle est silencieuse. Il faut se rappeler les tambours du début, et surtout le role de Césaire dans la célébration de l’Afrique. Palcy lui redonne le rôle qu’il aurait dans les cultures africaines mais qu’il a dans les cultures créoles, celui de prescripteur, de mentor, de conteur, de passeur comme on dirait en créole de « doko ».

« l’Antillais doit etre démiurge pour être un homme ». Le monde de Césaire contient le XXème siècle et son miroir. Il suffit de voir les noms des personnes évoquées ou qui prennent la parole devant la caméra de Palcy. René Depestre, Joseph Zobel, Maryse Condé, Roger Garaudy, Jorge Amado, Egdar Morin, Eshan Naragi, Maya Angelou…Les rencontres, les « élèves », les correspondances de Césaire vont de Picasso, Sartre, Neruda, Eluard, Garcia Marquez. Ce sont les grandes figures de la littérature et de la philosophie francophone, autant que celles de l’Amérique (du Nord au Sud) voire d’Afrique et d’Europe de l’Est. D’ailleurs chose étrange, il suffit de voir comment Neruda ou Marquez ont la cote auprès des jeunes « érudits » français, mais pas Césaire ni Damas…d’ailleurs je me demande est-ce que les gens qui me lisent ont entendu parler de Depestre ou Condé ? Le problème de Césaire comme de Palcy, c’est probablement qu’il parle français, qu’il est français, mais qu’il revendique l’émancipation du monde depuis son ile de la Martinique. Paradoxe qui était le sujet de contraste entre lui et son ancien élève du lycée Schelcher, Frantz Fanon. Le documentaire cristallise ce dépassement par la gauche révolutionnaire de l’élève sur le maitre, mais aussi ses limites. La dialectique de Palcy est de souvent juxtaposé la parole aux archives, le récit aux faits, le son et l’image. Entre les deux, le spectateur a la liberté de penser ou du moins matière à réfléchir. Césaire, ses élans lyriques sur l’émancipation mais aussi les limites des indépendances africaines face au néo-colonialisme, c’est là ou la cinéaste évite les impasses des récits sur « les grands hommes » cher à une vision occidentale de l’Histoire. C’est là ou Palcy diffère de son collègue Spike Lee lorsqu’il s’adonne aux grandes formes du biopic hollywoodien. Ce dernier s’accapare l’appareil de propagande le plus puissant au monde, Hollywood, pour y infuser sa version d’une grande figure afro-américaine c’est louable, mais si on constate les limites de Palcy à cause de la télévision, on constate celle de Spike Lee dans les choix qu’il opère sur le réel. Ce que Malcolm X ne montre pas, c’est que la dernière personne qu’a vu Malcolm X en mourant qui était à son chevet, lui tenait la tete, c’est Yuri Kochiyama. C’est peut-etre ça qu’on reproche à Palcy, aux antillo-guyanais en général, c’est que contrairement aux afro-américains des USA, on a pas besoin de falsifier, on a pas besoin de vendre une fiction. Mais c’est aussi peut-etre pour ça qu’ils sont tant adorés en France, c’est plus facile de vendre du faux à des ignorants, leur vendre un reve. Chez Palcy, c’est un miroir, celui qui montre les échecs, les impasses et les mensonges de l’Histoire française. Césaire un jour se réveille en Yougoslavie ou il est invité, et depuis sa fenêtre aperçoit une ile, il demande le nom de l’ile à son ami/hote… »c’est Martiniska ». Littéralement Martinique. Eh oui, le miroir est une expérience troublante surtout lorsque ce qu’on y voit ne correspond pas à sa vision de soi-meme. La départementalisation comme assimilation est un mythe. En réalité, les habitants des antilles-guyane ont voté la départementalisation pour arrêter le régime coloniale, non pas parce qu’ils adhéraient au délire assimilationniste car la culture française est imposée de toute façon. Mais de l’accepter est un choix. Dans les métissages et les relations de populations, c’était une culture parmi d’autres. Elle a été digéré puis dépassée. La France, comme métropole, ne cesse de stagner voire recule sur ces questions. Après tout de l’autre coté de l’Atlantique, dans un miroir de la France, on suit des poètes, ici on suit les aléas du capitalisme comme si c’était une culture. Néanmoins Césaire a aussi infusé en métropole.

Le visage de Sartre qui se confond à des masques africains en surimpression. C’est la marque de Césaire sur la France. Les plus grands intellectuels français étaient deja à la ramasse, ils venaient à peine de comprendre que tout ce sur quoi ils tenaient n’allait nulle part. Césaire semblable à Baldwin, c’est isolé en Martinique. La scission de ce dernier avec le partie communiste français est la fracture originelle des « racisés », « indigènes », avec la gauche française. Car elle avait finalement le meme visage suprémaciste qui pensait que tout devait se jouer en Occident. Le plus amusant en revoyant ce documentaire en 2023, c’est qu’il est clair que rien ne va se jouer en Occident. Et que depuis un siècle, la France n’a toujours pas rattrapé Césaire, Damas, Senghor, Fanon, Glissant et j’en passe. Palcy empile les images de son époque, les guerres, les différentes cultures etc…Tout était deja dans les mots du volcan. Plus que dans les mots, dans les sons. Palcy tente de rendre compte de chaque lieu par sa propre musique. Elle connait l’importance de la musique dans sa culture, mais aussi ce qu’elle est devenu dans le monde. 80% des musiques aujourd’hui viennent de la région qui va du sud des USA au Brésil voire l’Argentine en passant par les Caraïbes, la Colombie, le Mexique (du Blues au Rock en passant par le Reggaeton au Dub jusqu’à la Techno et au Rap)…Comme je l’ai deja dit, vous commencez à comprendre que la culture des plantations qui a accouché de différentes variations des rythmes originaires d’Afrique, et de mélanges avec les musiques de partout, est en réalité celle de ceux qui ont subi les grands idéaux derrière lesquelles se cachent les Occidentaux. Il n’y a pas que de la souffrance, une euphorie de la lutte, ou des célébrations, de Louverture à Bolivar. Quel échec de la part de Scott, dans sa tentative d’humiliation de Napoléon, de n’avoir pas mis qu’il s’était fait battre par un homme qui lui écrivait des lettres en commençant par « du premier des noirs au premier des blancs ». Encore une fois, Hollywood est une grande machine à oubli et falsification que les français vénèrent comme des zombies du plan Marshall. En meme temps que des écrivains afro-américains de passage à Paris faisait découvrir la Harlemn Renaissance à Damas puis Césaire, se tenait l’exposition coloniale de 1931. La France et le monde culturel métropolitain n’ont depuis jamais rattrapé leur retard. Il suffit d’allumer la télé, la radio ou twitter pour le voir. Pourtant Palcy vous permettait de le faire, du moins de commencer à le faire. En ce qui concerne les questions de race, c’est le futur dans les caraïbes françaises. Mais le futur a été atteint par un retour douloureux au passé, c’est ce qu’a permis Césaire. D’accepter, d’entendre et de dire le mot « nègre » par exemple. Et Palcy, aurait permis de le voir. Les tambours résonnent dans la séquence finale de Césaire face à la mer. Aucun homme n’est une ile, et Césaire est un continent. Dans le mouvement circulaire qu’adore le poète car justement il est un miroir de la vie, Palcy ramène les tambours qui sont pour nous, ceux de nos racines qui ce sont transformés en rhizomes. Le volcan Césaire ne s’est pas éteint, en tout cas sa lave brule toujours apparemment.

Dans Parcours Dissidents, Palcy éclaire une partie de l’Histoire de France méconnue (on dirait que les français ne connaissent leur histoire que des films hollywoodiens si on me demande !). Des jeunes antillo-guyanais, des dissidents, ont rompu avec le régime de Vichy pour rejoindre la Résistance. A l’inverse de Césaire, il n’ s’agit plus d’accéder à la pluralité par la singularité d’un homme mais d’accès à la singularité de l’histoire par la pluralité des témoignages. Palcy opte pour un dispositif semblable à celui de Wang Bing dans Fengming, on va écouter la parole comme un flux, comme une histoire commune qui donnerait le tableau de l’Histoire du monde. Sauf qu’elle ne peut s’empêcher d’y injecter son gout pour la musique et meme les qualités mythiques de la musique. Les captations de paroles sont entrecoupés d’images de la mer, et de chansons en créoles qui attestent que les évènements qu’on nous raconte font désormais partie de l’imaginaire locale. Encore une fois elle juxtapose, la parole factuelle, et les images comme un horizon mythologique. Elle insiste sur la mer et la traversée comme une odyssée. Le voyage consistait à partir de Guyane/Guadeloupe/Martinique clandestinement pour arriver sur des embarcations de fortunes (des volontaires sont morts à cette étape) à Sainte-Lucie puis de rejoindre les troupes US pour s’entrainer à Fort Dix, de se faire déployer à Casablanca pour aller en Tunisie, se battre à Naples et enfin rejoindre le débarquement de Juin en Normandie ou de remonter jusqu’à l’Alsace. Ce fut une odyssée car les hommes et les femmes qui ont fait cela témoignent directement, ils avaient tous entre 17-20 ans. Ils l’ont fait justement pour libérer la France, par choix. Ce ne sont donc pas des gens qui se sont sacrifiés par obligation coloniale, sous la menace, ce sont des gens qui sont allés défendre la France par conviction. C’est pour ça que l’amnésie et le mépris dont la France métropolitaine à notre égard est le pire, car nous sommes les seuls à croire à vos idéaux abstraits parce qu’on les a incarné et dépassé (oui je parle de l’universalisme et des autres trucs). Sous de Gaulles, le second homme de pouvoir après lui dans l’Etat français est Gaston Monnerville, président du Sénat, un Guyanais (eh oui vous pensiez que Taubira c’était une nouveauté, meme Taubira se serait moquée de vous). Bref, Palcy insiste sur la parole car consciente de son héritage, elle valorise la tradition orale. La musique joue aussi ce rôle, elle permet de conserver et de transmettre la culture, l’Histoire.

L’autre truc qui frappe c’est la longueur des entretiens. Si nous avons l’illusion d’un dynamisme grace au montage, rythmé et musicale de Palcy, l’évolution des visages et du ton de la voix révèlent la finesse du dispositif. Les entretiens semblent en réalité etre fait en une prise ou du moins dans le meme souffle. On peut aussi remarquer l’implicite, Palcy montre la diversité des profils. Des blancs, des métis, des noirs. Des martiniquais, des guyanais, des guadeloupéens. On parle anglais, français, et créole. Comme je l’ai dit, notre passé est toujours un futur que vous n’avez pas atteint ici en Europe en ce qui concerne le tout-monde. Et meme le Français qui est parlé trahit l’époque, quand une dame dit avec l’intonation typique de la région lorsqu’elle a découvert que son frère était mort avant d’atteindre Sainte-Lucie « c’était mon frère préféré », juste le fait de le dire contient un autre type de relation à la famille, à la mort. Mais c’est surtout sur la durée que le documentaire devient touchant, dans leur récit, chacun se souvient d’une rencontre, d’un moment ou les convictions des jeunes dissidents se sont confrontés à la réalité de la guerre. Certains ont perdu une jambe. D’autres ont épargné des soldats ennemis. Et d’autres ont reçu une médaille du Pape, désormais perdue. Dans les jeux de montage, on ne remarque meme pas que certains ont les yeux pleins de larmes a évoqué des souvenirs qu’ils avaient enfoui car tout le monde à part eux les avaient oublié. Les livres d’histoires, les commémorations, les plaques, les musées, personnes ne se souvenaient des jeunes dissidents qui eux portaient ses souvenirs entre effroi et fierté. D’ailleurs est-ce que ce n’était pas ça l’ultime incarnation de la France durant cette période jusqu’à aujourd’hui, comment être français sans être dissident ? Mais c’est une question du passé. D’une autre époque. Comme dans l’Odyssée le retour à la maison était une déception. Alors que certains n’avaient jamais vu la France, ils ont entamé une traversée miroir à celle du commerce triangulaire pour la délivrer. Et au final, il n’y a que de l’oubli. Ce serait presque d’une beauté tragique similaires aux mythes helléniques, si tout ça n’était pas réel, et que les larmes de ces gens qui aujourd’hui sont probablement morts n’en étaient pas l’incarnation. Il eu fallut attendre 2009, 3 ans après le documentaire de Palcy pour qu’un semblant de reconnaissance leur soit accordé.

Concernant Euzhan Palcy, il semblerait qu’elle doive continuer à errer, célébrer partout dans le monde, sauf dans la France ou on ne peut même pas accueillir correctement sa première rétrospective. On continue de faire le travail. Alors qu’elle tente de remplir un peu le vide laisser par le maitre Césaire, il est difficile de cacher la déception. Ce n’est pas très grave au final, ce pays était deja en retard il y a un siècle, deja amnésique. Palcy fait un cinéma de miroir, de ce qu’elle est, de ce qu’elle croit, et le confronte la réalité qui révèle l’infinie tristesse, la frustration, et la colère, dont elle s’est fait la voix. En parlant de voix, il y a quand meme des figures qui ont transcendé leur condition et leur statut pour rejoindre le cinéma de Palcy, on peut penser à Brando. Plus proche de nous, dans Parcours Dissidents, la voix qui narre le périple des jeunes résistants, c’est celle de Gerard Depardieu.

Petite digression de fin. En 2017, nous sommes partis au Japon avec des amis. Alors qu’on explorait l’ile de Shikoku, je reçois un message de mon père depuis la Guyane qui me dit qu’il y a Chris Combette ou qu’il était dans un festival sur l’ile. Chris Combette est l’un des musiciens phares et grands guitaristes de la Guyane, mais c’est aussi celui qui nous a appris la musique quand nous étions à l’école primaire. On constatait que les Japonais perdus sur leur ile reconnaissaient notre culture, nos artistes, alors que les Français en France nous ignoraient. On a compris qu’en réalité, nous nous reconnaissions les uns et les autres car notre culture est attachée à un territoire, un volcan voire une cosmogonie. Ce que les gens en France ne pouvaient pas comprendre, ou justement comprennaient très bien et le rejetaient, c’est que comme les Japonais, nous avions toujours un rapport singulier au monde qui se diffusait dans les arts en dehors de la marchandisation, qu’ils ont perdu.

Dans la critique ou dans le reste, les gens ici adorent se prélasser dans des ruines, ressasser des ruines voire pire, des idées de ruines ou des mythes pourris. Je vous dis même pas bon courage, car il n’en faut pas pour se conforter dans le délire mortifère dans lequel est ce pays.

reflets exprès

La séquence qui m’a le plus intéressé, c’est celle de la réminiscence. En gros ils introduisent une drogue dans le clone-robot de Jun Chow pour que ça déclenche un souvenir réel de la vraie Jun Chow. Sauf que cyberpunk oblige, Périn trouve un moyen de tordre le truc. Le souvenir est en fait une séquence en réalité virtuelle car Jun Chow servait de cerveau à une ferme de code, en gros son souvenir est celui d’un code sur un écran qui se substitut à la réalité. Ça cristallise bien le jeu de réflexion qu’il y dans toute la mise en scène de Périn. Tout se réfléchit jusqu’à n’apparaitre que comme du code, comme un programme.

Dans deux séquences « clés », il y a une affaire de miroirs ou au moins de surface réfléchissante. Quand Carlos et Aline retrouvent Jun Chow dans le club, Aline parvient à prévoir l’attaque car la lumière de la lame du robot tueur se réfléchit sur la joue de Jun Chow avant qu’elle ne puisse apercevoir la forme de la tueuse sur une statuette métallique réfléchissante. L’autre scène, c’est à la fin quand Carlos retourne chez lui pour déchainer sa frustration, il va frapper le nouveau mari de sa femme quand soudain il voit son reflet dans le miroir, et par une sorte de déclic abandonne son humanité autant que l’ensemble du genre humain pour rejoindre les robots. Les miroirs révèlent le cœur des situations, la vérité d’un réel qui s’est évaporé sous les écrans et les lumières.
D’ailleurs dans l’introduction, la raison pour laquelle Jun Chow échappe au tueur, c’est parce que le bain est trop opaque pour laisser passer la lumière. Bref, il y a tout un délire sur ça. Surtout que c’est de l’animation.

Et le dernier truc, c’est qu’il y a un raccord similaire ou du moins un jeu de montage et d’analogie qui rappelle celui de The Wandering Earth 2 sur le meme sujet. En gros la lumière qui symbolise la conscience/vie des robots se transforment en astre puis en feu des réacteurs de la navette qui va les emmener dans un ailleurs loin des humains. Il y a le meme raccord entre la lumière de l’IA et le feu dans l’oeuvre de Frant Gwo. La meme année deux cinéastes ont la meme intuition que le feu d’une navette qui organise la fuite de l’humanité ou d’une forme de l’humanité est lié à l’existence des IA comme une forme consciente de vie. Ainsi va le pouvoir prospectif du cinéma !

« Voilà donc la vraie nature de ce mystère invisible qui
nous effraie par sa profondeur et qui se dérobe avec tant de
souplesse à nos recherches dès que nous le voulons interroger.
Or, cette faculté protéenne d’adaptation, qui est l’essence »
même de l’astral, puisqu’elle se manifeste par du mouvement, est-elle de la vie ? L’astral est-il donc un être vivant,
ou une immense collectivité d’individus vivants ? L’analogie oblige à répondre par l’affirmative.
[…]
Que les proportions gigantesques de ces individualités occultes
passent nos ordinaires conceptions, que ce qui nous apparaît comme un milieu inconscient soit en réalité un individu doué de corps, d’âme et d’esprit, c’est ce dont une méditation plus profonde nous convaincra, c’est d’un tel sublime spectacle que le miroir magique peut nous rendre témoin. » – Paul Sedir, les miroirs magiques

 » In the course of its recent history this word has been
inflated by Hegel into the cosmic medium of transaction – the super-heated lubricant of global eventuation – and then trafficked to the edge of worthlessness by the culture succeeding him, before finally succumbing to an irreparable marginalization by the scientific advances of experimental and behavioral psychology, neurology, neuroanatomy, cognitive science, cybernetics, artificial
intelligence, until it becomes a sentimentalism, a vague
peripheraIized metaphor, a joke … a cheap target one
might think. There are those who remain loyal enough
to the canonical discourses of Western philosophy to
argue that logocentrism is secreted in the implementary
terminology of information, digitality, program, software,
and control. But as for spirit! – that can only be parody
or nostalgia. Who could still use such a word without
humor or disdain? Spirit is less a misleading or dangerous
word than a ridiculous one; a Coelecanth of a word. Yet
it persists: the mark of a clownish incompetence at death. » – Fanged Noumena, Nick Land

David Vincent ne voit plus

Kenneth Anger est mort, mais le cinéma luciférien vit ! Dans Vincent doit mourir, quand le pote de Vincent au début, tente de l’aider en cherchant des trucs sur son portable, il porte un t-shirt ou l’on reconnait l’image du visage de Majorie Cameron dans « Inauguration of The Pleasure Dome » de Kenneth Anger. Le cinéma luciférien brule, ou nous rappelle que les images brulent !

Dans sa recherche sur internet, Vincent tombe sur différentes vidéos de violences. On reconnait l’une d’elle, un homme tabasse une jeune femme au sol. C’est une vidéo qui date du printemps 2022 et qui avait fait un très gros scandale en Chine, à Tangshan. Avant que les médias occidentaux s’en emparent, c’était un évènement dans l’internet chinois car le système de vidéo de WeChat (similaire à Douyin/TikTok) l’avait favorisé, et même moi alors que j’étais « géolocalisé » en France, que j’avais configuré l’algorithme pour avoir des vidéos de mêmes (car les mêmes chinois en vidéo sont beaucoup plus élaborés et donc plus spectaculaires à regarder, autant regarder de la merde bien faite si on perds son temps à en regarder lol), je n’ai pu l’éviter en scrollant. Le scandale qui a suivi c’était l’absence étrange de modération sur la vidéo, Chine oblige, le gouvernement pouvait faire disparaitre la vidéo des plateformes pourtant des gens la remettaient pour la commenter ou le bordel était tellement monstrueux que de faire s’évaporer la vidéo n’était plus possible. Et le dernier scandale dans le scandale c’est que les jeunes chinois voyaient une justification à la surveillance et la punition, car le contrat tacite qui tient en place la société chinoise est celui qui consiste à monnayer le confort à condition d’accepter la surveillance. Si la violence mafieuse ou des gangs pouvaient s’abattre sur des jeunes femmes alors ce « contrat » ne tenait plus. Mais le truc plus pernicieux que l’on pouvait analyser, c’est que les jeunes chinois ne voyaient leur pays qu’à travers les images des réseaux, deja parce que c’est l’un des pays les plus peuplés au monde et aussi l’un des plus grands. Et qu’ils ne réagissaient à cette violence surtout parce qu’elle était venue leur bruler la rétine depuis le confort de leur téléphone. Le truc c’est que cette confusion entre les images et le réel, cette infection du regard par le flux des images a été accéléré en Chine par le développement rapide du pays, à défaut de faire « un grand bond en avant » fait une fuite en avant depuis les années 80. En réalité, la même chose est observable en France métropolitaine. Si la violence existe car les conditions socio-économiques empirent, les images et le bruit médiatique l’amplifient voire la falsifient. Et je précise France métropolitaine, car je peux porter un regard extérieur sur les deux (la Chine comme la France). La soi-disant violence qui gangrène la France est surtout une affaire d’images, et ce n’est pas un hasard si un fameux milliardaire s’est acheté une chaine de télévision.

L’autre truc, c’est le réseaux. Vincent rejoint un réseaux, « sentinelle », « vigilante » etc…On reconnait bien sur l’organisation des groupes extrêmes qui vont des survivalistes aux fachos de différentes croyances (de Vincent à David Vincent ?). Encore une fois tout ça se fait à travers des écrans qui dans la mise en scène viennent parfois se substituer à l’image de Castang. En gros, le regard de Vincent est toujours parasité par ces écrans comme celui des gens semblent être parasité par sa présence. Ces images reconfigurent son rapport au monde sans qu’il s’en aperçoive. Et que bien sur pour contrebalancer tout ça, Castang met en scène un retour violent à la matière. Donc des combats, mais aussi de la matière fécale. C’est d’ailleurs le troisième film, cette année je crois, qui met en scène du « caca » et du vomi, après le Chazelle, et Inside (d’ailleurs toutes des oeuvres lucifériennes !). Eh oui la fange, là d’où vient la vie sur cette planète et ou elle retourne. Mais c’est aussi, un énième film qui met en scène le feu cette année dans son dernier acte(j’y reviendrais pour le top de l’année probablement). Il traite meme la lumière avec un soin particulier, on reconnait le lens flare carpenterien. On peut aussi reconnaitre une sorte d’influence Metal Hurlant (qui fait son grand retour partout) dans le jusqu’au boutisme de la situation dans un geste proto-punk dont la revue avait la secret. Ou les différents artistes mettaient en scène la fin d’un monde selon leur obsession ou leur répulsion dans la société de leur temps. Comment ne pas voir une relation SM dans celle de Vincent et sa copine (Vimala Pons) ? Ou comment ne pas sentir que le film a ce truc naïf mas quasi mystique d’être une ode aux marginaux ?

il faut se rappeler que le film s’ouvre sur une image d’ordinateur décomposée en abstraction, en rayons de lumière, en faisceau. Les images nous révèlent la beauté et la répugnance de ce qui est, mais parfois elles brulent. Dans un monde saturé par une lumière corrompue, l’amour comme la confiance ne peuvent qu’être aveugles. Malédiction orphique, en remontant le styx des écrans pleins de fantômes et de malheurs, Vincent ne peut plus regarder celle qui l’aime sous peine de la renvoyer aux enfers. Peut-etre qu’il ne doit pas mourir, mais il est sur qu’il ne doit plus voir pour croire. Et le grand défi que ramène Lucifer, la lumière a un prix.

The Killer ou les métempsycoses de Norio Nagayama

Après avoir vécu le Guerre et Paix de Bondartchouk, je pensais ne plus rien voir d’aussi dense en attendant le Napoléon de Scott et probablement éviter le cinéma. Sauf que surprise, surprise, le centre Pompidou qui devait accueillir la masterclasse de Euzhan Palcy hier, était en grève…It REALLY takes a nation of millon to hold us back. Peu importe, j’ai donc fait comme tout le monde, j’ai fini le week-end pluvieux en regardant The Killer de Fincher. Et ainsi, « maybe I was not part of the few, i’m part of the many ». Ca me permettra de revenir sur le cinéaste dont je parle rarement à cause du bruit ambiant qu’il suscite en bien ou en mal. Et aussi, je me permets de me répéter, je ne crois pas aux « films mineurs » (est-ce que qu’un quelqu’un dirait qu’une partie de son existence est mineure ?). Les ambitions restreintes, le manque de chair, révèlent le squelette d’un cinéaste. Ce sur quoi tout le reste tient.

D’abord il faut que je sois honnête sur un truc, depuis la sortie du trailer, je me moque du film en disant que c’est juste Haywire (que j’adore) de Steven Soderbergh. Je n’en parle pas beaucoup mais je considère Soderbergh comme le seul cinéaste « mainstream » US, godardien. Et plus particulièrement la période qui va de The Girlfriend Experience à Ma vie avec Liberace. Puis également celle dans laquelle nous sommes depuis son « retour ». Comme Godard il suit une logique de période, un peu comme un peintre. Mais si c’est pour des raisons esthétiques, c’est d’abord comme pour l’ermite de Rolles, pour des raisons matérielles, de budgets, de conditions de tournage et/ou des innovations techniques et technologiques. C’est cette vision matérialiste et structurelle du cinéma en tant que production esthético-politique et industrio-technologique qui font selon moi le génie de Soderbergh qui est bien loin au-dessus de Fincher. Néanmoins, j’adore certaines œuvres de ce cher David car justement elles atteignent le geste soderberghien. Zodiac, The Social Network, Gone Girl etc…et meme Panic Room. Car il y a un truc sur lequel Soderbergh a mis le doigt et a rendu explicite dans les oeuvres de la période dont j’ai parlé, c’est la capacité scientifique du cinéma à documenter l’humanité à un instant T par la captation, mais surtout a faire de la mésologie. Dans la période dont je parle que j’appellerai celle du « flux numérique », Soderbergh exploite la possibilité des camera numériques, du montage numérique pour documenter la vie urbaine qui était désormais numérique. Il faut se rappeler un truc, les deux cinéastes émergent dans les années 90. L’un est comme invoqué par les plus hautes instances cinématographiques et a directement une palme (au détriment de Spike Lee dans les mains de Wim Wenders), l’autre doit se faire un chemin à travers les techniciens après des succès dans la publicité et le clip pour finalement diriger un film dont il reniera l’existence. Mais d’une manière plus terre à terre, l’un revendique un cinéma européen des origines, autant qu’une filiation avec des artistes européens (j’aime aussi beaucoup sa période des années 90 qui est marquée par l’ombre d’une histoire du cinéma qu’il tente de refaire à sa manière, comme un peintre), l’autre revendique une filiation industrielle US d’un cinéma comme un artisanat donc une forme de commerce dont il serait l’un des grands techniciens, l’un des grands vendeurs et ingénieurs, Hollywood. Les années 90 ont surtout cristallisé une certaine idéologie assez débile avec le recul de « fin de l’histoire ». Mais surtout d’apocalypse, aussi bien comme fin du monde que comme révélation. Il faut se souvenir qu’à la fin des années 90 et au début des années 2000, le monde urbain et surtout la ville comme le modèle des capitales occidentales des grandes métropoles étaient une sorte d’horizon indépassable quasi-métaphysique. On aime se rappeler que les années 90/début 2000 se terminaient avec Matrix, Dark City, Fight Club, Ennemi d’état, Blade, Collatéral et j’en passe. Mais pas seulement aux USA, Ghost in The Shell, In The Mood For Love, 6ixtynin9, Millenium Mambo ou Time and Tide jouaient aussi sur cette note. Des œuvres ou même le futur de l’humanité était indissociable du monde urbain occidental, du moins occidentalisé.

Il n’est donc pas étonnant 20 ans plus tard, dans une sorte de geste vintage que l’on connait très bien dans la musique ou tous les 20 ans les nouveaux artistes revendiquent la musique qui se faisaient 20 ans avant, que l’un des initiateurs de cette « révélation » la rejoue pour y mettre un terme. Sauf que Soderbergh c’était deja attelé à le faire à travers une tétralogie de manière assez virtuose et géniale, 10 ans plus tôt (The Girlfriend Experience, Haywire, Contagion, Effets secondaires). Les premiers plans de The Killer nous montre que Fassbender est dans un bâtiment parisien en ruines ou en rénovation. Il y a littéralement un plan sur du plâtre et des outils, il faudrait reconstruire ? déconstruire ? rénover ? Puis commence le monologue intérieur pendant que Fassbender observe la vie parisienne qui suit son cours. On pense à un autre cinéaste des années 90, autre godardien, autre matérialiste, autre mésologue Gaspar Noé. Un tueur en France qui observe la vie des gens qu’il commente avec un monologue intérieur qui reflète la doxa médiatique ambiante ? Ce serait Carne/Seul contre tous. Et comme Sobdergergh, Gaspar Noé avait atomisé la ville (japonaise) dans Enter The Void à la fin des années 2000. Gaspar Noé poussait la métaphysique de la ville en faisant son Odyssé de l’Espace, en Odyssée de l’espace urbain. Chez les trois cinéastes le meme constat, il semblerait que les tueurs soient à leur aise dans les couloirs étroits, les ruelles et l’ambiance anxiogène des grandes métropoles. Ils s’y déplacent tellement bien qu’on pourrait croire que la ville est faite pour eux. Il y aurait même une porosité entre les espaces des villes et leur propre esprit. Mais c’est là ou pèche The Killer. Il n’assume pas assez cet aspect. Dans Haywire, il y a une scène dans une chambre d’hotel ou la tueuse, Gina Carano, se bat dans une chambre d’hotel contre justement…Michael Fassbender qui incarnait deja un tueur. Fassbender était l’ennemi. Dans The Killer, il y a aussi une scène dans une chambre d’hotel sauf qu’il ne se passe rien, Fassbender reste seul. La scène de combat a lieu plus tard, en Floride, si elle est impressionnante, elle ne me touche pas autant que celle de Soderbergh alors qu’elle l’imite clairement. Car dans la scène nous avons à faire à une combattante réelle, Gina Carano a été casté car elle était championne de MMA (et très reconnaissable à l’époque), c’est de son corps dont il s’agit. Son corps dans les espaces urbains et la violence qui survient de cette relation. Ainsi chez Soderbergh, le combat est une chorégraphie qui montre un jeu de domination à l’intérieur de l’intimité artificielle qu’est une chambre d’hôtel. L’âpreté du découpage laisse place aux chocs des corps entre eux et dans leur environnement. A la fin, Gina Carano tue Michael Fassbender sur le lit, comme si elle sortait victorieuse d’une relation sexuelle non-désirée, Fassbender meurt littéralement entre ses jambes. Le truc avec l’intuition de Soderbergh, c’est qu’elle est juste en termes de cinéma mais comme je l’ai dit en termes de mésologie, la meme année ou sort Haywire avec cette fameuse scène de combat dans une chambre d’hotel, c’est aussi l’année de l’affaire Nafissatou Diallo et DSK. L’oeuvre de Soderbergh rendait explicite le fait que l’architecture de la ville était propice à la violence et à la domination, meme dans une chambre d’hotel, l’intimité est une illusion. Il rendait alors visible par le cinéma, des images invisibles, en écho au viol de Diallo par DSK, par une synchronicité étrange dont les artistes géniaux font preuve. Dans le Fincher, c’est juste une scène de faux suspens pour celle de la chambre d’hotel et une scène de violence, de « réincarnation » des corps dans celle en Floride, si elle est bien faite, nous ne pouvons etre touchés que par sa facture artisanale, et rien d’autre. Ou peut-etre qu’il y a autre chose en souterrain.

On pourrait se demander pourquoi Fincher referait une œuvre qu’il a deja fait en limitée ? Soderbergh en 2014 faisait un ultime remake de Psycho, avec un mashup de l’oeuvre de Hitchcock et de celle de Gus Van Sant. Comme si dans la collision de deux images s’ouvrait une troisième, forever Godard. Fincher en reprenant le motif d’un tueur en quête de vengeance, d’un enqueteur-tueur, ou d’un professionnel qui se rebelle contre ses maitres entre en collision avec tout un pan de l’histoire du cinéma. Et comme le poto Justin Kwedi, je crois aussi que ça amoindri la puissance de l’oeuvre. On pense à Point Blank de John Boorman, on pense à North by Northwest, on pense à Seijun Suzuki, on pense à Melville (qui lui aussi est un cinéaste-peintre), on pense à Johnnie To, à Kim Jee-Woon, à Mamoru Oshii et meme à la version simulacre de tout ça, John Wick. Le problème c’est qu’un cinéaste, godardien voire markerien, qui a aussi émergé à la meme époque que Fincher a deja accouché par deux fois, de la troisième image relative à ce pan du cinéma. C’est bien sur Jim Jarmusch, avec Ghost Dog et Limits of Control (dont on retrouve Tilda Swinton). Jarmusch a deja fait ce mashup, dont le terme le plus approprié pour lui serait ce « sample » et l’a poussé dans des abstractions qui donnent un regard nouveau autant sur le passé qu’il sample que sur son œuvre. Pourtant la présence de la musique de Smiths me laissaient sentir autre chose de la part de Fincher qui ferait un geste jarmuschien. Les Smiths sont ce groupe qui est justement le produit d’une ville Manchester. Espace prolétaire qui a produit des musiciens et un son rebelle, qui s’est retrouvé etre la bande-son de la transition néolibérale du monde occidental malgré lui, autrement dit, des années 80. Et Fincher avait deja lui même fait le constat de ce que cette transition avait engendré avec Seven. En ressuscitant un genre, le film noir, qui avait brillé 20 ans auparavant dans les années 70 en passant de la cote Ouest à le cote Est, et qui rejouait les motifs des années 40-50, Fincher rendait explicite ce qui était en germe depuis les débuts du genre. Dans Seven, il était impossible de ne pas sentir, de ne pas comprendre que le tueur, c’était la ville elle-même. Pourquoi l’incarner aujourd’hui ?

A la fin de l’année 1968, un jeune homme tokyoïte de 19 ans, Norio Nagayama fait 4 victimes de sang froid par arme à feu. Il devient un serial killer. Masao Adachi scénariste et cinéaste marxiste (dont l’oeuvre est passée par tous les spectres de la gauche, du Léninisme au Trotskisme en passant par le surréalisme jusqu’au situationnisme), s’intéresse à cette histoire qui entre en résonance avec une autre affaire, celle de Zama and Shibuya en 1965. En 65, Misao Kataragi se lance dans une fusillade qui tuera un policier, et dont l’un des témoins était justement Norio Nagayama. En 69 Adachi, par une intuition et par une réflexion matérialiste, se lance dans une théorie qu’il cristallise dans une œuvre, A.K.A Serial Killer. La théorie qui est désormais assez connue, est « la théorie des paysages ». Il tend à montrer et démontrer la chose suivante, les paysages sont des constructions des forces et des pouvoirs dominants qui nous conditionnent à la violence ou à certains comportements. J’aimerais rappeler que selon Augustin Berque, le paysage tel que nous le conceptualisons tous aujourd’hui est à l’origine apparu et théorisé pour la première fois en Chine au 4eme siècle. Autre chose, « la Renaissance » ou du moins le basculement « moderne » de la société japonaise se fait à travers l’ère Heian. Cette ère est marquée par le fait que le pouvoir en place pour se détacher des institutions religieuses part de Nara pour s’installer dans la nouvelle ville de Kyoto. Cette denière est constuite selon le modèle des grandes villes chinoises centralisées, car justement l’ère Heian marque le passage de l’influence de la Chine à la naissance de la spécificité de la culture Japonaise, c’est une ère de transition, d’art, de culture et de paix mais qui va se finir dans les guerres. Kyoto comme espace cristallise donc les réflexions chinoises sur l’espace, et justement le paysage, mais symbolise aussi le détachement du pouvoir avec le reste du pays. D’ailleurs pour les lecteurs de manga, les deux plus gros manga récents sont Jujutsu Kaisen et Demon Slayer, et je l’ai deja fait remarquer, mais les deux oeuvres sont « anti-modernes » (elles critiquent autant la modernité de Meiji, donc celle apportée avec le capitalisme occidentale, que celle plus mythologique de Heian, donc de la naissance de la culture japonaise centralisée). Pourquoi je rappelle tout ça ? c’est que les deux grands antagonistes des deux manga viennent de l’ère Heian, qui est réputée comme « l’ère des démons » (je vais pas digresser plus loin mais il y a aussi plusieurs syncrétismes antagonistes et plusieurs types de bouddhismes qui ont emergé à cette période avec leur logique prosélyte…mais surtout l’ère se conclut sur la prise de pouvoir des samourai). Et pour conclure cette digression dans la digression, beaucoup d’artistes japonais critiques du monde moderne et de son urbanité, ont souvent dans leur filmographie une oeuvre mythologique ou historique qui revendique un autre rapport à la vie avec une vision animiste beaucoup plus radicale que celle qui est à l’oeuvre aujourd’hui au Japon. Autant Imamura, Shindo que Masashiro Shinoda, ou dernièrement Toshiaki Toyoda (The Blood of Rebirth) ou Sogo Ishii (Punk Samurai Slash Down). Ainsi quand Adachi met au point sa théorie du paysage, il s’inscrit lui meme dans des observations lointaines propre à l’esthétique comme elle s’est développée dans les cultures sino-japonaises. Il y aurait une relation indéniable entre la violence et les paysages, et le pan de l’histoire du cinéma que j’ai cité lui donne raison. Sauf que lui va beaucoup plus loin, il y aurait une relation avec les paysages dans la durée, pas seulement des jeux d’abstractions qui plient les corps à des géométries imposées, mais aussi dans le fait que les espaces nous forcent à vivre des choses qui fabriquent nos pensées, nos désirs. Le cinéma art de la durée ne serait donc pas innocent dans tout ça non plus. Dans A.K.A Serial Killer, Adachi filme les espaces vides de la vie de Norio Nagayama. Il narre de manière factuel les relations qu’a entretenu le jeune homme avec ces paysages. Dont un est marqué par la présence d’une base militaire américaine (si je me rappelle bien). La soumission des villes japonaises au capitalisme mondiale produirait de la violence, mais également, la présence des bases américaines dont l’impérialisme ne symbolise rien d’autre que la violence. Fassbender est le corps de l’homo occidentalus qui penserait etre le grand gagnant de cette guerre des paysages, le grand tueur, le prédateur ultime dont la ville et la psyché ne forment plus qu’un. Il l’était deja chez Steve McQueen dans Shame et dans 12 years A Slave. Il était deja inscrit dans une histoire des paysages. Et cette histoire que Fincher, je crois, rejoue. Non plus des paysages de cinéma, mais bien de paysages réels qui hantent par leur violence, les images de cinéma. Dans Seven, nous ne savons pas dans quelle ville nous sommes, c’est une abstraction ou un ensemble de sensations. Dans The Killer, il nous est clairement indiqué le chemin, car les espaces sont des chapitres de l’histoire d’un crime contre l’humanité.

Après avoir quitté Paris, il va en République Dominicaine. La partie de l’Ile est connue pour le tourisme, la batchata (et donc une partie de l’histoire des musiques caribéennes), mais surtout de l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud, la RD est connue pour la prostitution. Il n’est donc pas étonnant de voir que Fassbender y a une femme, car tout le monde a une femme dominicaine avec l’argent des pays du nord. Il n’a donc pas réellement une femme, il a une propriété. Fincher le montre bien quand la maison détruite sert d’analogie pour les violences qu’a subi la femme du tueur. Pour lui il n’y a aucune différence entre les deux. Résonne la voix de Beth Gibbons. Give me a reason to be…a woman ? La fameuse Glory Box. Les espaces dominicains de toles, d’architectures coloniales et de jungles réflètent bien le niveau de violence et de predation, on vient ici pour baiser ou pour tuer, ou les deux en meme temps, pour violer. Car il faut se rappeler que la République Dominicaine, c’est Hispaniola, l’endroit ou Christophe Colomb a posé le pieds, le « nouveau monde ». D’ailleurs, chez nous, on l’appelle toujours Saint-Domingue, pour ne pas oublier. J’y pense, il me semble qu’un certain Ridley Scott a fait un film dans nos chers années 90 qui s’appelle 1492. Le basculement de la modernité occidentale s’est faite avec le gros plan d’un pieds sur le sable de Hispaniola dans son film. Il existe un plan similaire dans The Killer, des traces de pas sur le sable, sauf qu’il n’y a plus de pieds et à coté…des cigarettes. Souillée par la modernité occidentale, Saint-domingue ne peut jouer qu’elle-meme, une prostituée et Fincher le montre très bien. Quelle ironie pour Fassbender l’homo occidentalus avec son apple watch et ses mantra de découvrir qu’un crime a été commis à Hispaniola ! Et que c’est ce crime qui avant qu’il ne le remarque lui permettait de vivre confortablement avec son macdonald. L’odyssée de l’homo occidentalus ne s’arrete pas là. Il va à la Nouvelle-Orélans, région de melting pot, entre la France et les Anglais, mais surtout, encore une fois matrice des musiques afro-caribéennes, et surtout capitale du vaudou aux USA car carrefour du commerce d’esclaves (Mandingo). Il semblerait que le parcours de Fassbender ne soit pas si innocent. Et comme par hasard, son personnage change d’identitée à cet endroit. Comme s’il mourrait et renaissait, ou comme si justement il réalisait ce qu’il était vraiment dans les contrées de Marie Laveau, L’homo occidentalus réalise qu’il n’est plus qu’un fantome voire un zombie. l’icone de recyclage semble surtout etre une icone de réssuréction, on rejoue, on ressucite. Et comme attendu, un autre crime est commis, celui bien évidemment d’un homme noir. C’est d’autant plus fou qu’il est souligné par la méthode du meutre, par asphyxie. A deux doigts de dire « I can’t breathe », Fassbender le laisse s’étouffer dans son propre sang. Seule une camera de sécurité nous atteste que ce spectre existe pour d’autres personnes. Qu’il est bien un corps et pas seulement une idée. Puis il traverse une rivière, et là, le film entre dans sa deuxième heure. La maniaquerie de Fincher n’est plus à prouver. A quasiquement une heure de l’oeuvre, le personnage traverse une rivière, comme dans n’importe quel parcours mythologique occidental, la traversée d’un cours d’eau lui fait passer d’un monde à l’autre, de vie à trepas. Est-ce que c’est un vivant qui devient mort ? est-ce qu’un c’est un mort qui revient à la vie ? la mise en scène de Fincher ne décide pas. Alors qu’il mettait en scène une certaine vraisemblance et une rigueur à l’image de son protagoniste, ce passage d’un monde à l’autre est tout en dilatation, en flottemment. L’espace se dilatte, le temps se dilatte. Le montage se fait moins dynamique et surtout, les monologues plus rares. Alors qu’il arrive en Floride, les motifs du Southern Gothic sont inévitables. Pour prouver qu’il est bien une incarnation, que son corps existe dans ce monde qui est à la lisière entre le jour et la nuit, entre le réel et le fantastique, il se bat. Ce combat sonne comme une renaissance, pour prouver son existence, il faut l’éprouver, rien de mieux que le sang et la sueur ? Pourtant la chorégraphie du combat n’épouse pas totalement ce geste qui est pourtant présent. Fincher est limité par sa propre maestria.

Est-ce un zombie ou un esclave ? car le passage du sud au nord comme « clandestin » par le train n’est pas sans rappelé une certaine ligne de train « underground ». Les paysages américains ne peuvent se dissocier de la violence de leur histoire. Puis à New-york, il rencontre un dealer d’armes. Puis Tilda Swinton en blonde dans un restaurant. Sauf que j’ai deja vu un tueur rencontrer Tilda Swinton en blonde autour d’une table, c’était chez Jarmusch. Le tueur était noir, et là il est blanc. Que rejoue le parcours de ce tueur ?

Deuxième digression. Il y a plus d’une décennie sortait Hitman Absolution. J’étais à cette un époque un très gros joueur, et Hitman Absolution réalisait une sorte de fantasme de joueur, c’était un jeu qui faisait fi de la narration. Les niveaux étaient pensées comme des décors de cinéma ou l’on devait réfléchir au meilleur moyen d’atteindre la cible. Tout était excuse pour provoquer de nouvelles dynamiques de gameplay et donc faire en sorte qu’il y ait des possibilités multiples de réinvestir la meme map, le meme paysage. Pourtant le but était toujours le meme, de tuer la cible. Le gameplay tout comme les map n’existaient que pour que l’Agent 47 accomplisse sa mission. Mais en reléguant la narration au second plan voire en la rendant inexistante, le joueur était l’Agent 47. Ce que j’aimais au final dans le jeu, c’était que tout n’était qu’une histoire de mise en scène. Le tueur était le réalisateur, le joueur réalisait à chaque fois sa propre séquence dans laquelle il jouissait d’etre acteur et spectateur en meme temps, dans une sorte de boucle infinie, ou la violence devenait absurde. Le problème est le paradoxe des activités démiurgiques, en realité, je ne réalisais rien. Tous les meurtres existaient deja dans le programme du jeu. Je ne faisais rien de plus que faire tout ce que me laissait faire le programme, donc les créateurs réels du jeu, les véritables démiurges qui eux répondaient à des objectifs d’innovation vidéoludiques mais aussi à des impératifs économiques. C’était donc un choix artistique de proposer un jeu aussi abstrait, mais la logique toujours répétée de meurtre n’était qu’un reflet des structures qui me donnaient à faire l’expérience de la violence car c’était la plus excitante et donc celle qu’il me ferait acheter le jeu, les DLC et tout le reste. En ce sens, le cinéma de Fincher n’est pas différent, et c’est mon problème, comparé à celui de Soderbergh. Mank révèlait qu’en dernière instance, Fincher était dans une logique d’obédience hollywoodienne. Il ne pouvait penser en dehors du programme. Il se pense démiurge mais ne fait que accomplir le programme des véritables démiurges, Netflix ou les Studio. Soderbergh a montré que comme Godard, il était pret à tout pirater, les studio, les plateformes quitte à autoproduire des films à l’Iphone, rien n’arrete son cinéma et surtout pas les puissances économiques US. Jarmusch suit le meme raisonnement. Les Wachowski également. Ces cinéastes n’accompliront jamais le programme des figures dominantes qui fabriquent les paysages ou naissent les tueurs en série, quitte à saboter leur carrière, ce n’est pas le cas de Fincher. Et ce qui me gene, c’est justement la présence de Fassbender. Il est l’ennemi.

Le truc avec Norio Nagayama c’est qu’il est devenu écrivain en prison. Le film de Adachi qui servait de matière à penser et à critiquer l’impérialisme est devenu malgré lui une hagiographie du tueur, qui s’est révélé etre un artiste en prison, et un écrivain brillant qui a été récompensé à l’étranger. La présence de Fassbender tord The Killer de la meme manière. Avec un acteur inconnu ou peu connu, la mise en scène de Fincher aurait porté beaucoup plus brillamment cette sorte d’odyssée maudite. Mais Fincher lui meme croit en ce système de star, de production et autre. il semble ronger comme son personnage par les mêmes contradictions et son cinéma frappe toujours la meme impasse, cette fois d’une manière singulière car il semblerait que ce soit la répétition de trop. Il refuse de laisser mourir un système dont il connait la monstruosité. L’obéissance qu’il voue aux structures industrielles est égal au mépris qu’il semble leur porter. Et le pire c’est que contrairement à Spielberg, je ne pense pas qu’il soit aussi cynique. Il y a justement dans sa volonté de cinéaste-peintre, un amour pour la matière du cinéma indubitable, mais un peu comme à la fin du Vent se lève de Miyazaki, il se pourrait que lorsqu’il soit plus vieux il se demande « Mais pourquoi mes avions ne revient-ils jamais ? ». Car justement, Fincher c’est la carte postale d’une monde occidental dans tout ce qu’il a de plus monstrueux avec la mise en scène la plus désirable. Fassbender serait un tueur égoiste pourtant c’est bien un bel homme désirable qu’il est et qu’il incarne. D’ailleurs on nous indique meme dans le film comment il prend soin de lui. Et ses mantra sont deja l’objet d’une analyse dans le livre Boniments de Begaudeau. Norio Nagayama qui est justement mort en 1997, n’est pas mort, il s’est réincarné. Le cinéma l’a rendu immortel.

Erotisme du cinéma de Fincher est celui d’un impéralisme conscient de lui-meme. Et pourtant The Killer oublie justement de tuer l’un des grands acteurs de la merde qu’il traverse, lui-même. Ces paysages, ces musiques, ces espaces de transitions d’un monde à l’autre renforce l’idée qu’il y a eu un crime, un vol, qui est visible. Il suffirait de se mettre en face d’un batiment parisien pour réaliser que la vie des puissants semble bien factice. L’érotisme de l’empire se nourrit du désirs des corps qu’il subjugue. La dernière victime à Chicago autre ville importante de la musique afro-américaine/afro-caribéenne, ville de la mafia mais surtout symbole des inégalités aux USA. Steve McQueen l’avait aussi montré dans Widows. Ou en un plan-séquence on passait des quartiers noirs pauvres aux quartiers riches. Et là, l’une des choses les plus intriguantes du film survient, la cible, cet espece d’homme riche de la tech porte un t-shirt Sub Pop. Fascinant pour moi qui reconnait instantanément le logo car c’est comme beaucoup de personnes, avec 4AD et Creation Records l’un des grands labels de la fin des mes années lycée. Nirvana, Beach House, Death Cab for Cutie, Sebadoh, The Vaselines, Mudhoney, Soundgarden, Low, L7, Mogwai… Sub Pop quoi ! Label encore une fois ancré dans un imaginaire 80s-90s. Et me vient cette réflexion, quelle est cette étrange odyssée qui part du coeur de la culture européenne pour arriver au coeur des USA ? Comment des jeunes prolos anglais sont devenus les voix et les visages d’une musique créée par les afro-américains ? Qu’est-ce qui peut lier des pauvres à Chicago à des pauvres de Manchester ? Pourquoi Kendrick Lamar lorsqu’il fait son album le plus introspectif sur sa personne et sa relation avec la culture afro-américaine invite Beth Gibbons ? Et puis je me souviens que mercredi dernier, j’étais au concert de Weyes Blood. Qui comme la vie est bien faite, fait partie du label Sub Pop. Et dans la chanson Children of The Empire, elle chante ça :

« Looking like some clear skies

Have finally opened up my eyes

Living in a lost time

The dawning of a brand-new man

So much blood on our hands

King and queen of being lonely

Children of the empire see

That we’re all lost »

Au début du film on croit que Fassbender regarde la vie par la fenêtre. Mais un plan nous montre son reflet. En réalité, il ne voyait rien d’autre que sa personne. C’est peut-etre ça le cinéma de l’algorithme, de confondre une fenêtre et un miroir. C’est peut-etre ça aussi The Killer.

Sans perspective, la mort est une admirable femme fatale !

Délire. Il y a 10 ans, je subissais une intervention au laser pour mes yeux. Pendant que j’étais en convalescence comme un personnage cyberpunk (du moins c’est comme ça que je voyais la chose), je me disais que j’aurais pu mourir comme dans Destination Finale 5. Il y a une femme qui se fait couper par le laser puis elle tombe par la fenêtre. Je réfléchissais donc à la connerie de cette séquence car je suis un grand fan de la saga destination finale et surtout de James Wong (RIP sa carrière). A l’époque j’étais en khâgne et on avait un prof qui nous saoulait avec Hegel et Heidegger, et surtout comment selon lui sa judéité lui donnait un angle inédit sur ces derniers (la seule impressionnante dans cette histoire est qu’il parlait araméen). Pendant que j’attendais de retrouver la vue, j’ai donc réfléchi à cette connerie que j’avais écrit ici :

Une analyse Heideggerienne de « Destination finale »:

Si on se base sur le constat que Heidegger fait de la modernité, elle a pour finalité une domination du monde par la technique. Aujourd’hui certains philosophes se situent, et nous situent dans une période post-moderne. Ce qui d’après Heidegger signifie que la technique domine le monde. « Destination finale » s’inscrit dans une logique Heideggerienne dans le sens ou elle ( la série ) décrit la société post-moderne comme étant victime de la domination de la technique. Et cette domination du monde par la technique, donc par l’homme, s’avère être en fait une domination de l’homme par sa propre technique. C’est ce que dénonce la série de films  » Destination finale », qui pousse la technique à l’extrême comme fin du libre arbitre et donc de l’homme. »Destination finale » montre des personnages qui sont victimes du déterminisme de la post-modernité. Et cette domination de la technique est tellement omniprésente que la pour la représenter, l’expliquer ( et la combattre ), ils doivent utiliser la mythologie ( qui a pour rôle premier d’expliquer ce que la raison ne peut expliquer ) d’où la présence du surnaturel, de l’allégorie de la mort. ( qui n’en est en fait pas une). « Destination finale » est donc une série de films heideggeriens, qui vise à dénoncer la finalité de la technique contemporaine en montrant son absurdité et la réductions du champ des possibles qu’elle entraine. Mais surtout le peu de valeur qu’elle accorde à la vie humaine et dénonce l’apologie de la bestialité pulsatoire qu’elle était censée faire disparaitre.

On ne le saisit pas à lecture car il y a un ensemble de « blagues » des « nerds » de la philosophie. Mais en réalité, la vraie connerie c’est que Heidegger était un sympathisant (voire un fervent admirateur et participant) au 3eme Reich. L’implicite de mon truc, c’est que le 3eme Reich est allé au bout de la technique occidentale, et donc dans une analogie que connaisse les initiés, les USA ne seraient qu’une autre version de ce délire. Il n’est donc pas étonnant que dans Destination Finale, on meurt de manière industrielle.

Bref, 10 ans plus tard. Je dois ajouter des trucs à tout ça, car il parait que la saga revient, et je l’ai revu l’année dernière. Le 4 est toujours le pire. Au-delà des blagues qui consistent à traiter les américains de nazis. En revoyant les 5 films, il y a une constante. Comme dans les slasher 80/90s, on ne sort jamais de la petite ville du midwest ou se déroulent les évènements sauf dans l’épilogue. Là ou James Wong est malin, c’est qu’il filme souvent en oscillant entre des plans d’ensemble qui nous montre l’ampleur de l’action qui va conduire à l’exécution, et des plans resserrés qui imitent les séries télés. Car en réalité, les personnages de Destination Finale ont cette originalité qu’ils sont coincés dans une sitcom 90s. Dans une sorte d’épisode de Dawson. Et quand on est attentif, leur but est toujours de sortir du cadre. De la ville mais surtout de l’image. Car l’horizon est bouché (il est en longue focale). C’est une sorte de meta-slasher à la Scream. Sauf que là ou Scream rejoue des situations de cinéma, James Wong rejoue des situations de télévisions qui coincent les corps dans des boucles narratives aliénantes et restreintes. Avant meme que la mort commence à les chasser, on a l’impression que ces gens se meurent deja à petit feu dans des vies illusoires.

Dans les 90s, l’autre grand genre qui ne disait pas son nom c’était le road trip adolescent, par Gus Van Sant, Gregg Araki, Linklater et d’autres. Au début des années 2000, ce sous-genre atteint son apogée avec des comédies comme EuroTrip. James Wong va rendre tout ça évident quand dans le 3 (mon préféré et le meilleur avec le 5 si on me demande), les personnages doivent s’échapper des photos que Mary Elizabeth Winstead (gros crush des années 2000, tous les vrais savaient, meme Tarantino) a pris d’eux dans une fête foraine. Wong qui est un cinéaste hitchcockien (je vous jure, The One c’est juste Vertigo à l’envers) sait bien jouer avec les symboles et l’histoire du cinéma, il sait que la fête foraine qui condamne les personnages est l’endroit d’ou vient son cinéma (le héros du premier film s’appelle Alex Browning). Les photos révèlent la vérité sur la mort des personnages, puisque la caméra chez Hitchcock et ses disciples révèlent ce qui est invisible au personnage donnant aux spectateurs attentifs une sorte d’ubiquité dérangeante et l’obligeant à se confronter à ce pourquoi il est venu, la violence, le sang, la mort. Sorte de Blow-up du slasher, sorte de Profondo Rosso du teenage movie, Destination Finale 3 met en scène la disparition de la jeunesse américaine dans le moule des images stéréotypés des vies programmées du midwest. Il faut se sauver en trouvant sur la photo la cause de sa mort, pour éviter justement d’y etre fixé éternellement dans une sorte de pouvoir des images comme des Medusa qui provoqueraient par l’angoisse existentiel d’une vie aussi restreinte, la rigidité cadavérique. La faucheuse est « l’american way of life ». En réalité, la chose sombre qui traverse les saga c’est autant la société technique industrielle qui a laissé des jeunes à la marge que le résultat de l’existence marginale, le suicide. La question du suicide/meurtre n’est d’ailleurs abordée que dans le 5eme épisode (et dans le début du 4) qui boucle la boucle car il se termine au début du premier. L’avion ne décolle jamais. Et on peut meme se permettre de croire que les épilogues dans des lieux abstraits, sont en réalité des visions de mort de l’au-delà. Pauvre jeunesse du Midwest !