Scream Queens – Episodes 7 & 8 : Beware of Young Girls / Mommie Dearest

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Kephren : Il faut faire attention, les jeunes femmes amènent les faux semblants et les tromperies. C’est bien le sujet de Norwegian Wood des Beatles dont le mari de Munsch chante les paroles. Trouble romantique. Il y a le voyageur contemplant une mer de nuages de Friedrich dans la chambre de Chad. Puis il y a Silver in the Moonlight de Atkinson Grimshaw dans le bureau de Munsch. Puis dans l’hôpital psychiatrique, c’est une patiente qui peint Grâce et son copain avant de leur donner le tableau. La vitesse de l’exécution totalement irrationnel est intrigante, il faut faire attention à la présence de tableaux, qui sont ici et là depuis le premier épisode de la série comme aux jeunes femmes romantiques.Le  tableau de chasse au renard dans la chambre de Munsch qui fait penser à Carle Vernet ou Heywood Hardy. Les évocations picturales romantiques donnent l’impression que ces jeunes femmes se projettent justement dans des imaginaires semblables. Elles se voient comme des héroïnes, des figures singulières au cœur des tourments du monde. La psychiatrie qui apparaît à la même période du 19eme siècle romantique contraste leur délire, Munsch se fait arrêter comme Hannibal Lecter. Et une partie du secret serait un tableau dans l’asile. 

Pourtant une autre chose me frappe. Dans l’épisode 07, Chanel utilise toutes les insultes possibles pour désigner ses camarades. Whores, hookers, sluts, bitches et j’en passe. Si c’est son vocabulaire depuis le début de la série, cette épisode met particulièrement en valeur cette langue car elle regrette au fond d’elle de traiter les autres femmes comme elle se voit en réalité. Comme on le sait, le Ouija n’a pas grand chose de surnaturel, c’est une activité suggestive plus proche de l’hypnose de groupe ou de l’égrégore. En gros sur la table il y a toujours quelqu’un qui fait bouger le truc selon ce qu’il voudrait entendre ou voir. Comme la langue de Chanel, c’est un miroir d’elle-même, d’ailleurs le Ouija fonctionne aussi avec un alphabet qui troque l’image de la table, le tableau à la parole. Et ça me fait penser à une œuvre qui est l’une de mes films favorites, Opening Night de John Cassavetes. Ces situations de miroirs, de performances, de « second woman ». Cet aparté médiumnique. Ces femmes en perdition. On parle souvent de l’axe Hitchcock-Argento-De Palma-Craven depuis le début de notre discussion (d’ailleurs le tableau avec les deux bébés rappelle Sisters de De Palma). En passant ce caractère gémellaire caché se retrouve aussi dans la structure de la série, les épisodes 07 et 08 sont liés comme mère et fille. Mais Murphy et Falchuk ont prouvé dans les œuvres qui suivront que leur véritable culture n’est pas seulement pop. Elle est aussi celle des singularités, des œuvres désaxées et des cinéastes des marges. C’est aussi ces œuvres qui ont fait l’imaginaire camp voire queer contemporain. On parle de Cassavetes, mais aussi des Lèvres rouges de Harry Kumel autant que de Showgirls de Verhoeven. Mais aussi de Rivette ou des premières œuvres de David Lean . Quand Chanel voit le fantôme de Ariana Grande qui lui apprend à pardonner, je pense à Blithe Spirit pour l’humour autant que je pense à Opening Night pour ce moment de confusion d’une femme sur ses propres actes. Elle est hantée par ses actions et sa vie comme un artifice qu’elle ne pourrait plus jamais incarner comme vrai. Pourtant la performance doit continuer. Car c’est de ça dont il serait question dans cette société qui cache ses fondations romantiques, tout le monde doit jouer son rôle, ou mourir. Mais certaines personnes combattent pour le même rôle. Et dans ces combats, les figures les plus convoitées autant que détestées sont celles des femmes comme des filles ou comme des mères. 

Rivalité des femmes. L’Œuvre devient beaucoup plus camp, beaucoup plus « ballroom ». Puisqu’on en a pas encore discuté mais les maisons font aussi partie de la culture queer US, notamment celle des drag… queens. Car l’affrontement de figures féminines stéréotypées ou interprétées à la lisière de la caricature est le cœur de la culture Ballroom. Dont Murphy a même fait une série avec Pose en 2018. C’est d’ailleurs pour ça que nous qui sommes familiers avec ces cultures, nous ne voyons pas de soucis à ce que les personnages soient toujours en performance de leur propre existence autant qu’en rivalité de leur féminité ou masculinité, c’est le Bal. C’est pour ça qu’elles sont toujours belles, toujours stylées, toujours en train de poser même durant la mort de leur camarade et que la mise en scène accompagne cela. Le terme « mère » prend aussi ce sens, ce sont celles qui sont chargées des maisons dans la culture des Ballroom. Culture underground qui, comme un miroir du mainstream, produit une micro-société à l’autorité matriarcale, elle n’est pas plus égalitaire pour autant puisque américaine. C’est aussi pour ça que les personnages ne cachent pas les marques et qu’ils baignent dans l’opulence (D’ailleurs Mandico et Yann Gonzalez ont un peu ramené des éléments de ces cultures dans le cinéma français). Je crois que c’est aussi de la que vient le mépris envers la série que Thibaut a évoqué au tout début de notre discussion. Elle pousse frontalement des cultures antagonistes aux codes dominants avant la dilution de ces derniers pour les « swifties »(donc les jeunes femmes blanches qui prétendent être une alternative à la culture actuelle mais sont en réalité juste la version aromatisée « femme » de cette dernière) à travers des émissions comme Rupaul Dragrace et surtout sa version française. Ces émissions autant que la récupération des codes underground par les stars de manière explicite ont comme pour d’autres cultures marginales avant elles, neutralisées le cœur subversif. Ils (le public mainstream) adorent le camp quand il pousse une idée normative du romantisme ou est une emphase des codes de genres (aussi bien sexuels que cinématographiques), mais ils l’apprécient moins quand ce dernier met en évidence l’absurdité de la performance de la binarité, et des codes en tout genre. Les situations parfois arbitraires dans lesquelles se retrouvent les personnages rappellent tout ce que nous voyons à l’écran est de toute façon arbitraire. Il n’y a rien de spontané ni de naturel dans tout ça, l’effroi serait ce que suggère la série, il n’y a rien de spontané dans la société en tant que fiction de toute façon. Pour le dire avec un petit élan foucaldien, la société serait déjà l’asile, la fiction n’est qu’un miroir qui nous permet de le constater (Murphy va continuer cette idée dans Ratched en 2020 sa propre adaptation de vol au-dessus d’un nid de coucou). C’est de ça qu’on rit, c’est de ça que le public qui méprise la série a peur. Scream Queens et les œuvres de Murphy/Falchuk réussissaient à garder cette subversion. Vos parents ne regardaient pas AHS ou Scream Queens, pourtant ils regardent Daphné Burki qui imite Rupaul…Ryan Murphy n’a pas poussé la marge vers le centre, c’est la fascination de son œuvre qui a fait dériver les générations du centre vers les marges sans compromettre ce qui faisait que ces œuvres étaient marginales. C’est aussi peut-être ça qui nous fait revenir à Scream Queens. Comme le dit Munsch à Grâce, de vouloir en connaître trop sur soi c’est comme explorer un champ de mines, on peut trouver des trésors mais on ressort toujours sale. Ce sont ces impuretés inhérentes aux codes des genres et aux explorations qu’ils provoquent que parvient à garder l’œuvre de Murphy tout en pénétrant l’imaginaire mainstream par la télévision. Héritier de David Lynch. C’est bien pour ça que l’une des clés du mystère est dans l’hôpital psychiatrique, l’asile, qui est d’ailleurs le lieu de la saison 2 d’ American Horror Story. La meilleure saison de la série, et donc l’une des grandes œuvres télévisuelles de ce siècle. Au passage, je pense aussi à Le Jour des idiots de Werner Schroeter. Pour cette maison de folles qui au final révèle qu’il n’y avait rien d’autre que de l’artificiel dans de l’artifice. Et bien sûr, encore une fois, le secret réside dans les tableaux et les photos. Dans le reflet,  dans l’image. 

Après les filles, ce sont les mères. L’épisode 8, mommie dearest après une discussion entre Grâce et Munsch commence sur la fameuse scène de douche de Psycho. Bien sûr, Jamie Lee Curtis rejoue le rôle de sa mère, plus important, elle déjoue le meurtre, son propre meurtre dont sa mère fut victime chez Hitchcock. Rejouer pour déjouer, c’est peut-être ce qui se déroule dans la série depuis le début. Et comme nous l’avons analysé depuis le début, le tueur est double voire triple. Ce qui est déjoué ce sont aussi les attentes du spectateur qui justement n’est jamais récompensé par son petit rituel de slasher, c’est dans ça que Murphy reste subversif. Mais aussi de garder une imagerie qui par touche garde le souffre pas seulement dans une tradition de cinéma, mais dans l’image liée aux femmes depuis un temps mythologique. Quand Grâce et Gigi se confrontent aux révélations dans la cuisine, entre elles il y a une corbeille de pommes. En cherchant le serpent qui aurait commis le péché originel, celui de la connaissance, la pomme est ce qui provoque la chute du paradis des certitudes . Comme ils diraient en anglais, « Fall from grace ». La généalogie est une histoire d’arbres, de pommes, et donc de savoir d’où vient le péché qui justifie l’existence. Cette dernière est bien sur absurde, arbitraire et performative. Qui a bien pu commettre cette ignominie que de nous engendrer ? C’est la question disgracieuse de Grâce. Enfin il faut déjouer cette question, elle ne cherche pas un créateur, elle cherche un tueur, un destructeur. Comme Chanel le dit quelques scènes plus tard en regardant le registre criminel de la mère de sa rivale, « looks like the bitch apple doesn’t fall far from the bitch tree ». 

Grâce apprend en réalité qu’elle n’est pas spéciale, elle n’est pas la figure romantique ou singulière qu’elle fantasmait. Ce n’est pas la Emily Dickinson de son temps comme laissaient penser les tableaux, elle est juste la Taylor Swift. Elle est la norme, la blonde normale, la country girl, la moyenne voire pire le produit de la médiocrité des USA. Dans la discussion dans l’appartement de son père, le jeu des ombres et des contrastes marqués me fait penser à Lost Highway. Ou les gens sont pris entre la terrible impasse de leur médiocrité voire de leur monstruosité du quotidien et le fantasme échappatoire d’un monde de cinéma dans lequel ils se projettent amoureux de leur aliénation. L’épisode 08 est un basculement car si on pouvait penser que Grâce et Chanel s’affrontaient sur un pieds d’égalité l’une dans une tradition de classe, l’autre dans une tradition romantique, on se rend compte que non. Une blonde domine l’autre. La séquence de discussion dans le café rappelle celle du premier épisode sauf que les positions ont changé. Mais encore une fois la scène est déjouée, Chanel admet qu’elle et Grâce sont en réalité des produits de leurs parents, de leur milieu. Elles sont des monstres d’ego. Si elles font la paix, c’est parce qu’elles voient leur reflet l’une dans l’autre. Et ce ne serait pas Scream Queens, si ce qui venait de se dérouler au premier degré comme une tragédie ne se réjouait pas quelques minutes plus tard comme une farce. Le personnage de Nick Jonas reparaît dans une salle de gym (avec un t-shirt « everyday i’m mustling » comme une blague aux paroles de la chanson « Party Rock Anthem » de LMFAO) et les sportifs présents le confondent avec Joaquin Phoenix car il a une fausse barbe (c’est aussi une blague en référence au film de Casey Affleck sortie à la même époque que la chanson de LMFAO, I’m still here ou l’acteur se faisait passer pour un inconnu). Le truc avec cette séquence c’est que quand on lui demande un autographe, il signe “Joaquin Phoenix ». On reconnaît bien là, la mégalomanie de ces figures qui confondent leur image et ce qu’ils sont. Tout n’est qu’un reflet de leur personne, même quand la personne qu’ils incarnent n’est pas eux-même. Plus besoin de mère quand on peut accoucher de soi-même. La grande tragédie de l’époque !

Marie : Tout d’abord, je me permets de noter par rapport à ton commentaire sur les pommes et la connaissance, ainsi que sur le lien entre Chanel et Grace qu’il est intéressant de constater que Chanel porte une robe à motif de serpent durant une bonne partie de l’épisode 7 ! Ensuite, je voulais revenir sur le personnage de Dean Munsch, bien mis à l’honneur dans ce couplé d’épisodes. L’épisode 7 se joue quasiment en autarcie, on introduit de nouveaux personnages et une nouvelle storyline qui se déploie jusqu’à une conclusion à la fin de l’épisode, conclusion qui d’ailleurs ne reviendra pas vraiment modifier le cours du reste de la série. Comme bien souvent dans ce genre d’entreprises, à priori “en décalage” avec le reste de ce qui nous est présenté, on dissémine des clés de lecture sur tout ce qu’on a pu voir jusqu’alors et on précise les propos présents dans l’oeuvre. Ici, je trouve qu’on assiste à un épisode qui appuie sur le thème de la filiation, surtout par ses références, pour préparer le terrain à l’explosion de révélations en lien avec la maternité de l’épisode suivant. 

On introduit donc le personnage de Feather Mccarthy, personnage de lolita homewrecker, ayant dépossédé Dean Munsch d’un mari dont nous découvrons l’existence. Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que le look de Feather, ainsi que son style vestimentaire, rappelle celui de Mia Farrow dans Rosemary’s Baby, film emblématique de ce que la maternité peut avoir de terrifiant, soit dit en passant. Néanmoins, Feather ici, dans sa jeunesse et sa naïveté, évoque davantage l’enfant que la mère et renvoie Dean Munsch à sa “décrépitude” de femme ménopausée. Murphy sous-entend même une sorte de lien de filiation entre les deux (faisant donc de Dean Munsch la mère “symbolique”, dans le sens lacanien, de Feather) à travers une référence dans la présentation des enjeux. Munsch se voyant remplacée par Feather décide de copier celle-ci en s’habillant comme elle. Sur un principe de double et de miroir déformant, Murphy y va fort ! Mais le fait de placer Munsch interprétée par Jamie Lee Curtis dans cette position et ce costume en décalage avec son âge évoque forcément Freaky Friday (et surtout un public adolescent ciblé par la série). Or, cette fois, pas de réconciliation intergénérationnelle à la clé : pour que l’une triomphe, l’autre doit disparaître. Munsch se fait donc d’abord écarter du “tableau familial” par Feather et son mari, puis elle achève de le détruire, avec la mort de son ex-mari et l’incarcération de Feather. Dans cette logique référentielle, on peut même construire une filiation méta au sein même de l’oeuvre de Murphy. La mise en scène de la relation entre le mari de Dean Munsch et de Feather est extrêmement similaire à celle d’un épisode de Glee dans lequel Rachel, la personnage principale, s’énamoure de son prof de chant, Will Schuester. Les deux duos sont filmés dans une séquence chantée avec un champ/contrechamp en grand angle qui mène à la révélation d’un désir, réciproque dans Scream Queens, non-réciproque dans Glee. Néanmoins, l’issue est la même dans les deux séries puisque dans Glee, cet épisode mène Rachel sur la piste d’une ancienne élève ayant eu le même intérêt romantique pour Will Schuester mais dont l’amour fou a mené à une tentative de suicide puis une incarcération en psychiatrie. Là où dans Glee, cette issue tragique n’est le fruit que de la relation entre les deux personnages de l’élève et du professeur, dans Scream Queens, c’est l’action extérieure de Munsch qui déclenche la tragédie finale. Murphy replace d’ailleurs dans l’épisode d’après Munsch dans une posture “active” dans la relecture de l’oeuvre Psycho, comme tu l’as bien signifié. Un personnage présenté depuis le début comme le plus attaché à l’inaction quant aux meurtres qui sévissent sur le campus (pour ne pas saper sa réputation de directrice) révèle toute l’ampleur de son pouvoir d’action (jusqu’au meurtre !) dans un contexte marqué par la filiation. Car si les jeunes filles s’appellent “mère” entre elles ou que Denise Hemphill essaie de s’imposer comme la “housemother” de KKT, c’est véritablement Munsch qui joue un rôle de transmission maternelle dans la série, pas pour le meilleur, mais bien pour le pire. Dans une série nommée Scream Queens, il n’est déjà pas neutre de prendre LA Scream Queen originelle dans un rôle dominant par rapport aux nouvelles “reines”. Mais ensuite, une phrase m’a beaucoup fait tiquer lors de l’épisode 8, pendant la conversation d’apaisement entre Chanel et Grace. Chanel dit qu’elle s’est sentie attirée par KKT pour trouver un rapport familial plus bénéfique que celui qui se joue dans son foyer et dit “Kappa’s like the mom we’ve never had”, ce à quoi Grace ne manque de corriger “No, Kappa is like the mom you DID have”. Kappa étant lui-même chapeauté par Munsch, on touche alors avec Munsch à une autre itération de la maternité défaillante, en plus des mères de Grace et Chanel. 

Alors qu’est-ce qui rend ces mères particulièrement “monstrueuses” pour reprendre un archétype bien connu ? Encore une fois, c’est l’égocentrisme. La mère de Grace a laissé une jeune fille se vider de son sang et mourir après son accouchement pour ne pas rater sa fête, les parents de Chanel #2 ne viennent même pas aux funérailles de leur fille, la mère de Chanel a renié ses deux premiers enfants et a traité sa benjamine comme un étendard de sa famille plutôt que comme une vraie personne et enfin Dean Munsch, la mère spirituelle du campus laisse ses étudiants se trucider dans l’indifférence. En plus de l’égocentrisme, on remarque une forme de déni complet de responsabilité, alors même que la famille est supposée être le lieu de l’entraide et de la solidarité. De même, la “famille recomposée” des Red Devil tourne au vinaigre à cause de l’intransigeance de Gigi, sa figure maternelle. Mais je ne pense pas qu’il soit question d’une forme de logique freudienne qui justifierait les exactions des personnages par leurs problèmes vis à vis de leur figure maternelle, plutôt que d’une torpille adressée à toutes les institutions qui régissent nos sociétés et qui gardent leurs atours de principe fondamental intouchable tout en se vidant de leur substance dans le libéralisme socio-économique. 

Dans cette logique, on n’a pour l’instant peu parlé du rôle de la police dans Scream Queens et pour cause : elle ne sert absolument à rien et pourrait tout aussi bien ne pas être figurée. On pourrait penser que les investigations manquées de Denise Hemphill relèvent de sa posture d’agent de sécurité et non de “vraie” policière, mais elle s’avère déjà plus investie que la véritable police, présentée systématiquement en retrait de l’action. Dans l’épisode 7, on touche carrément à la négligence volontaire. Munsch refuse d’ailleurs de croire au début de son arrestation qu’il s’agit d’une véritable mise en examen et non d’un roleplay sexuel avec le détective chargé de l’enquête. Feather est incarcérée sans aucune forme d’enquête complémentaire et la police se fait berner par une Dean Munsch pourtant loin d’être une maestria de l’art de l’esbroufe, comme on peut le voir à ses réponses très peu crédibles lors de l’investigation du détective. La blague finale sur l”orgy of evidence” que représente le blog sur Bologna de Feather est le dernier clou dans le cercueil d’une logique policière complètement à côté de la plaque. On pourrait argumenter que l’inefficacité de la police est toujours un élément permettant une facilité d’avancement d’un scénario de film d’horreur (sinon l’histoire ne durerait parfois que quelques heures), mais en prime de cette inefficacité, la police est présentée, comme le disent parfois nos amis antifascistes, comme le bras armé du capitalisme. Les riches échappent à la justice, comme le rappelle Chanel #3 en disant de Chanel “qu’aucune prison ne peut la contenir”, et la police est parfaitement achetable comme un bien de consommation comme les autres, comme le met en scène Murphy avec Chanel qui importe des policiers de Scotland Yard ou bien avec la logique de Denise Hemphill qui doit trouver des preuves contre des innocentes en échange de millions de dollars. En somme, en temps de crise, on ne peut compter sur personne car aucune institution ne remplit le rôle qui lui est attribué. Et en cause, encore une fois : la société libérale.

Kephren : Pour prolonger ta logique sur les mères, les costumes et façade de la société US. Je crois qu’un cinéaste est à la croisée de tout ça et même du caractère divin de la situation, enfin du caractère Divine. C’est bien sûr John Waters. Dans les liens que tu décris et les analogies appuyées voire le théâtre social qui devient une scène de grand guignol ou tout le monde joue son rôle à l’extrême, on reconnaît les éléments du cinéaste de Baltimore. Il rejoint même la culture des Ballroom que j’ai évoqué. Je crois que les deux épisodes sont sous l’influence d’une femme, la Serial Mother. Kathleen Turner qui interprète la serial mom de John Waters a joué chez Murphy et Falchuk dans la saison  4 de Nip/Tuck. Mais surtout l’œuvre est pleinement inscrite dans la satire des années 90 dont Scream Queens est héritière. Gigi est une serial mom, Munsch est une serial mom, Denise est une serial mom. Sous les costumes sociaux, sous les rôles de femmes fortes se cachent des ogresses qui sont conscientes de se repaître de la chair des nouvelles prétendantes prétentieuses. S’il y a parfois quelque chose d’incestueux dans la série, il y aussi quelque chose (je me permets l’audace) d’insectueux. La maison est une tanière et une scène. Murphy va explorer ces deux aspects dans Feud en 2017 et dans Monster en 2022. Comme tu le dis, la société néo-libérale rejoue un monde mythologique dont Murphy se moque, un monde animal qui se cache dans les plis des idées qui lui permettent de se reproduire à travers les femmes qui se compromettent à le maintenir. Pire que ça, à en profiter, à en jouir de manière narcissique. Elles ne voient rien qu’autres qu’elles.    

Thibaut : La référence sur laquelle je voudrais revenir est celle à Lynch. En fait, si celle-ci est toujours en toile de fond dans ce que je pense de la série lorsque je la regarde, c’est vraiment avec cet épisode 7, summum du Camp, que j’ai pensé à Lynch. On a l’impression de tomber dans Twin Peaks avec les personnages qui se parodient au point de devenir l’absurdité même (la fille fan de Bologne, la femme qui peint des tableaux à l’Asile, tous des ersatz de la femme à la buche ?). C’est cette ambiance de microcosme détraqué, fou, complètement surréaliste et pourtant cohérent que reprend Murphy à Lynch. On y a ce même rapport au surnaturel : entre le foutage de gueule total et l’inquiétude légère que, possiblement, il n’y a pas de raisons rationnelles derrière ce que nous voyons (le Ouija comme la rencontre entre Chanel et Chanel Numéro 2 font la même impression). La raison est d’ailleurs ce qui est le plus mis à mal dans Scream Queens, ce qui est très ironique pour une série du genre (où le but est de trouver, par la raison, qui est le tueur). Et c’est dans cet entre-deux impossible que Murphy et Falchuk se placent : le Whodunnit systémique où tout conspire, tout est rationnel et tout est rouage et le chaos total sans formes ni règles. C’est pour ça que des grands écarts sont fait constamment. Entre l’épisode 7 et 8 on assiste, une fois de plus, à un grand écart : le 7e pourrait presque être vu comme un filler (comme l’a bien analysé Marie dans la parabole faite avec Glee) quand le 8e est primordial à l’intrigue de la série, remet les pions sur le plateau et dit que la partie n’est pas encore terminée. On a un épisode 7 où on nous montre très clairement que le personnage de Munsch est capable de meurtre, et un 8e qui nous éloigne de la piste de Munsch tout en brouillant toutes les pistes : Zayday, Grace, Chanel, Gigi, tout le monde est un tueur en puissance lorsqu’il n’est pas un tueur accompli. Et ce qui est remarquable avec Scream Queens, c’est à quel point Murphy gère cet entre-deux périlleux parfaitement : celui entre le chaos et l’ultra-rationnel. 

Une série aux multi-facettes, donc, (comme l’a rappelé Kephren, il n’y a pas deux Red Devil mais au minimum trois, excluant tout dualisme facile) et qui se démarque par son habileté à changer, se métamorphoser constamment tout en gardant une cohérence certaine et pourtant impossible. C’est ainsi que la séquence reprenant le meurtre de Psycho et rejoué par Jamie Lee Curtis raisonne particulièrement : non seulement elle a “déjà vu le film plus de 50 fois”, mais en plus elle fait des ponts entre l’horreur classique, l’horreur moderne, mais aussi d’autres horizons. Au slasher classique, incarné par Psycho, elle ajoute les règles de Scream : les personnages ont déjà vu des films d’horreur et savent donc déjouer les clichés, mais en contrepartie le tueur sait que s’il est mis à terre et seulement neutralisé et pas surveillé, il peut s’échapper et son identité reste secrète tout en gardant l’immortalité de Myers ou de Jason. À tout ça, Murphy rajoute une sublime scène de baston qui, loin de toute horreur, évoque les films hongkongais, et notamment l’incursion américain du pays dans le cinéma, pour une orgie d’horizons décuplés et une infinité de possibles. Scream Queens n’est pas que le chaînon manquant entre l’horreur classique et l’horreur contemporaine, entre Godard et Hitchcock, entre un avant et un maintenant. Scream Queens est un chaos créateur permanent qui, plus que de faire des liens inédits entre les temporalités et les médiums, ne fait pas de lien en soit entre les choses. Il fait du collage, comme dit plus tôt à propos des premiers épisodes. Nous avons devant nous une série qui accole, met côte à côte des choses sans forcément les mettre en rapport et qui regarde ce que ça donne. 


Une autre référence qui m’est venu durant le visionnage de ces épisodes, principalement l’épisode 8, et qui me semble finalement apparaître comme référence centrale à la série est celui de Mean Girls. Dans Mean Girls, nous suivons Cady qui, arrivant fraîchement au lycée, va découvrir les us et coutumes de l’environnement sauvage qu’il peut être. En le découvrant, elle va découvrir les Mean Girls, leur système et, en voulant le déjouer, devenir elle-même une Mean Girls. Pourquoi cette référence ne me saute au visage que maintenant, alors qu’elle surplombe bien toute la série ? L’épisode 8 nous parle de comment Zayday a aussi été victime de Mean Girls tout en se compromettant à en devenir une elle-même. Elle voudrait maintenant prendre sa vengeance sur elles, en changeant notamment ce système que représentent les sororités américaines. Mais comme Munsch, comme Chanel, comme Zayday et comme Murphy et Falchuk, elle ne changera rien. Il y a un véritable geste esthétique dans la série sur ce sujet là : comment changer les choses sans se corrompre, comment être sans se compromettre. Je pense que la chose doit ronger Murphy puisqu’il fait jouer et rejouer ses personnages constamment dans ses scénarios : Grace est un double angélique et cassé de Chanel, Jamie Lee Curtis joue son propre rôle, puis celui de sa mère, puis une parodie de la final girl qu’elle était… Il y a toujours un modèle, un idéal, et une version compromise de cet idéal, qui n’est lui-même jamais pur. La grande thématique de cette saison 1 de Scream Queens est aussi bien à chercher dans la descendance (la question de la mère) que dans la répétition et la compromission.

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