La dernière reine

La dernière reine

quelques trucs fascinant dans la dernière reine de Adila Bendimerad et Damien Ounouri. Deja l’oeuvre se pose à la juxtaposition de deux trucs que j’apprécie qui sont l’esthétique du cinéma chinois et une certaine obsession pour l’eau. Les deux sont bien sur liés. Le personnage central, le corps central autour duquel celui gravite toute l’oeuvre, celui de la reine Zaphira est associée à l’eau. Au début du film on l’a voit se baigner dans une zone du palais, sorte de hammam, qui semble lui etre réservée. Dans un autre plan on découvre que le corsaire qui a perdu un membre, se retrouve seul devant la mer qu’il ne peut reprendre. Il est lui meme habité par le feu, celui qui ronge son corps, et son ame puisque dans un autre plan assez beau on découvre les reflets d’une flamme dans ses yeux après qu’il ait discuté avec Zaphira. Et dans une troisième séquence (d’ailleurs je crois que c’est dans l’acte 3 puisque y a un peu une logique « alchimique » à tout ça, on est quand meme au 16 siècle à Alger), les deux se mélangent et vont lier leur destin au sein de l’image meme. Zaphira fait un reve ou elle voit la mort de son mari le roi, dans un hamam la nuit, en gros il n’y a plus que l’eau du hamam et le feu des bougies. Cette esthétique va glisser dans le « réel » quand soudain elle va vouloir sauver son mari pendant la nuit et que les rues sont pleines de flaques, donc la seule chose qui nous permet de la voir, c’est justement le feu des torches et le reflet de ce dernier dans l’eau des flaques. Les deux personnages se retrouvent lier dans cette séquence, leur deux éléments se retrouvent meme mélangés l’un dans l’autre, c’est deja trop tard. Et c’est assez fascinant que la tragédie ce scelle deja par la plasticité de cette séquence.

Mais ça ne s’arrete pas là, plus tard, quand Zaphira va s’enfoncer dans la tristesse, Alger est recouverte d’eau, il pleut. Et dans la scène elle se retrouve sur les toits à dicter des choses. Comme si elle devenait une sorte de déesse. Tout comme le froid qui la caractérise et qui est parfois présent dans la bouche des personnages, elle mord la glace, elle ne craint pas la neige. Zaphira peut etre autant liquide que solide. Il y a une sorte de glissement dans ce qu’est vraiment le personnage, et meme de transfert, car petit à petit elle aussi se sent habiter par le feu du corsaire qui va jusqu’à la diviser entre ces désirs (scène des miroirs ou dans chaque miroir se reflète une bougie avec le visage de Zaphira dédoublé…). Zaphira est insaisissable, ou elle épouse les propriétés de ceux qui déteignent sur elle, comme de l’eau. Pour célébrer le mariage, la première chose que font les corsaires pendant la fete, c’est de plonger dans la piscine, d’occuper l’espace symbolique de cette dernière. Et comme par un effet de ricochet, elle-meme semble se sentir « occuper » de l’intérieur sur le destin de son fils. D’ailleurs l’une des personnes qui saute dans la piscine/hamam est le tueur de son fils. Et dans un dernier temps, l’eau a bien sur les propriétés magiques liées aux reves. Sauf que l’esthétique « chinoise » de Ounouri dont on connait le gout pour Jia Zhangke ou HHH, rends tout ça beaucoup moins explicite que dans une vision occidentale. Il y a d’ailleurs 2 ou 3 plans qui sont des citations de The Assassin de Hou Hsiao-Hsien. Ce jeu de transfert et de symboles se fait de manière voilé, autant à l’image des jeux de pouvoirs au sein des cours qui se font par euphémisme, non-dits, et par masques que parce qu’il existe aussi une dimension invisible voire magique dans le rapport qu’entretiennent ces gens entre eux. Par exemple après la mort du roi est une image manquante, elle se fait hors-champs, elle est l’objet d’un reve. Pourtant le film commence sur des batailles. On aurait pu la voir. Mais elle infuse le film par un autre moyen, après le plan sur son cadavre, il y a un cut, puis l’image suivante est celle de Zaphira derrière un voile rouge qui recouvre l’espace de sa chambre. Le contraste soudain entre le clair-obscur, le feu-eau de l’image précédente, et celui de l’image que l’on voit, ce voile rouge soudain dans cet espace tout blanc. Nous signale que c’est bien de sang dont il s’agit, c’est le sang qui vient salir la blancheur éthérée des quartiers de la reine, c’est le sang qui appelle le sang au coeur de toutes les tragédies dont Zaphira n’est qu’une des incarnations entre Antigone et Lady Macbeth. Et comme l’eau le sang définit le corps meme des individus, il s’agit d’incarner Zaphira. De donner chair à une image fantasmée.

Et puis il y a aussi une autre scène que j’aime bien, qui à cause de mes récents visionnages de cinéma indien, m’a tout de suite interpeller car c’est un truc qu’ils adorent faire. Le corsaire à cheval attrape soudain Zaphira par la taille pour la mettre sur son cheval. Cette action est rythmée par un gros plan sur le bras métallique du corsaire sur la taille de Zaphira. On nous rappelle donc la dimension charnelle et symbolique de leur rapport, car un membre manquant est dans un registre tragique/mythologique pour un homme souvent une métaphore phallique ou une incarnation de sa virilité perdue (la métaphore est en plus doublée du fait qu’au début il y a u dialogue qui encore une fois fait une sorte de transfert entre le fait de monter des chevaux et des femmes, et qu’il la fasse monter un cheval avec son bras mécanique ne fait que souligner ça). Il veut posséder Zaphira. Sauf que la séquence de déploie dans une autre forme d’ébats. Ils s’échangent des mots comme un substitut du sexe. Ces mots eux-meme rappellent le caractère « prosaique » de l’un, et la nature presque divine de l’autre. Zaphira est une sorte de divinité meme pour le corsaire. D’ailleurs et c’est là ou ça me rappelle le cinéma indien, se dialogue fait fi d’une certain « réalisme », on a l’impression que justement grace au cadre restreint de Ounouri sur les visages durant cette séquence à cheval, les deux corps sont en lévitation. On ne les voit pas pleinement en plan large sur le cheval durant ce dialogue, on ne voit qu’un échange mots après mots, visages après visages, comme une scène de sexe, ils sont en lévitation. Soudain ils se retrouvent dans une sorte de parenthèse onirique, ou tout est explicité, le feu, l’eau, les corps et meme le projet de Ounouri et Bendiramad. D’ailleurs le plus souvent dans ce genre de scène dans les cinéma d’Asie, Chine ou Inde, l’horizon métaphysique du film est explicitée. Et c’est le cas aussi ici. le corsaire qui n’est qu’un homme de la matière, un fils de paysan, veut posséder une déesse, il veut conquérir une divinité. Sauf que par effet de glissement ou de transfert, Zaphira va devenir cette divinité à ces yeux car elle est l’eau, elle est la mer elle-meme. Et on repense à cette scène de reve, ou Zaphira prononce à son mari « Je t’aime comme la mer », sauf que la mise en scène nous dit autre chose. Quand elle dit ces mots, elle est seule dans le cadre. Elle se le dit à elle-meme. Elle se voit comme la mer/mère. Le corsaire veut Zaphira car il veut dominer la mer. Le feu en lui, sa « virilité » bancale lui empeche de retourner sur les eaux, il doit d’abord reprendre Zaphira. D’ailleurs quand il se dispute avec sa compagne, la Scandinave, c’est toujours devant la mer. Comme si sa présence était l’origine meme de leur discorde. Elle infiltre tout, elle reprend tout, comme dans Kindil, le film précédent de Ounouri. Et cette scène à cheval ne fait que rimer avec l’ultime climax. Après s’etre laissée submerger par le feu de la vengeance (littéralement à l’écran sa tete est dans les flammes) en tuant la Scandinave, dans une scène qui pour le coup est très chinoise dans cette mise en scène de la violence. Elle se donne au corsaire. Et encore une fois leur affrontement n’est qu’un substitut d’un ébat sexuel impossible. Elle ne veut pas se laisser pénétrer, elle veut se pénétrer elle-meme. Et quand l’ébat arrive à sa fin, elle s’autorise enfin à jouir de son propre sang, de sa grande mort. Sauf que lorsqu’elle se vide de son sang et que la vie la quitte, le bruit de l’eau de la fontaine vient se mélanger à l’écoulement de son sang. Encore une fois, par une sorte de transfert sonore, c’est l’eau qui vient emporter Zaphira jusqu’à nous au-delà de son corps. Car un carton à la fin du film nous signale que le personnage n’a peut-etre jamais existé. Que c’est un reve de ses deux créateurs. En essayant de la saisir, elle nous a échappé comme de l’eau, comme un reve, comme le destin de de Alger. Et que le cinéma malgré ses étranges pouvoirs ne pouvait lui aussi nous montrer qu’une évaporation.