Monsieur Loyal : Wan again

Dernier délire de l’année avant le top lol. Mais il faut faire un point sur l’homme que l’on appelle James Wan. Dans une scène de Aquaman and The Lost Kingdom, Arthur perd son bébé, et lorsqu’il réalise ça il crie. L’image passe au ralenti avec une fréquence d’image plus basse (vous savez le ralenti à la Wong Kar Wai). Puis il y a un cut au noir. Et on entend le cri alors qu’on voit du noir, avant que le cri de Arthur soit enchainé avec celui du bébé. Et enfin l’image revient et on voit le bébé. Oui c’est étrange de voir ça dans un blockbuster. On pourrait penser que ce n’est pas « élégant », pas très « Hollywood », car justement, comme je disais dans mon post précédent James Wan fait du cinéma comme on le faisait à Hong-Kong il y a 25 ans, comme on le faisait à Hollywood il y a 30-40 ans et comme on le fait toujours aujourd’hui en Inde ou en Chine. Il injecte la brutalité des formes (ou les codes esthetico-narratifs de l’exploitation) du cinéma de genre avec lequel il a grandi dans la machine hollywoodienne.

Il injecte ses propres lubies. Si dans le premier Aquaman il mixait l’Abomination de Dunwich, L’Appel de Cthulhu et dans les Abimes du temps avec de l’héroic fantasy très arthurienne. Dans le second on reconnait clairement les Montagnes Hallucinées, la Quete onirique de Kadath l’inconnue et le Cauchemar d’Innsmouth qu’il fusionne avec du space opera (qui n’est finalement que la seconde face d’une même pièce, avec l’heroic fantasy). James Wan assume tous ses courants car l’eau peut tout mélanger, tout diluer. On se retrouve devant une œuvre qui en réalité tente d’invoquer la dimension foraine du cinéma à travers un collage pulp mais aussi érudit. Car les cinéphiles auront reconnu l’ile étrange à la The Lost World ou King Kong, le délire de l’évasion dans le désert qui évoque des tas et des tas de films d’aventures des années 30 (l’Atlantide de Pabst en 1932 comme par hasard) aux années 90 autant que les relectures de Lucas dans son propre space opera. Mais surtout la nonchalance typique du héros de pulp et de film d’aventures à travers Aquaman (le meme film aurait pu etre fait avec Kurt Russell ou Harrison Ford dans les années 80, ou Nicolas Cage/Brendan Fraser dans les années 90). James Wan met en scène toute la folie qu’il évoque avec un sérieux magistral. Il trouve l’équilibre entre Rodriguez et les Wachowski. Le caractère naïf voire puéril du premier, prérequis pour s’investir dans le détail d’une telle entreprise aussi bien dans la création que la réception, et la maestria des collages des secondes, la maitrise d’une ingénierie qui produit du spectaculaire sans que ce soit une fin en soi. Bien sur il n’est jamais au meilleur de tout ce qu’il évoque mais c’est assez audacieux pour se laisser emporter.

Depuis deux ans, j’ai une théorie dont je discute avec Justin et Jeremy parfois, c’est que depuis la légalisation des drogues dans les états « importants » des USA, le cinéma hollywoodien notamment Marvel faisait en réalité des films de stoner. C’est pour ça que la qualité des films se dégradaient car ils servaient juste de festival audiovisuel pour l’américain moyen entre deux joints. Et puis un jour au téléphone je discutais avec mon père et il me dit « J’ai vu le dernier Suicide Squad (2021) là, beh c’est un truc psychédélique ça ! Ils font des trucs psychédéliques maintenant ! ». En réalité je réalisais que James Gunn et James Wan venaient du meme « bain » cinéphile, le cinéma d’exploitation des années 80-70. Sauf que James Gunn faisait parti de Troma, et il y avait un coté cynique de rejoindre les anciens ennemis que je lui ai toujours pas pardonné. Donc il s’amusait à jouer les sales gosses à Marvel ou DC, pour de faux. Je devais quand meme lui reconnaitre son ambition de justement injecter une certaine facture hollywoodienne à travers une rigueur esthétique qui arrivait meme à faire remarquer à mon père que The Suicide Squad était effectivement un film qui jouait à singer une subversion des années 70, et à notre époque, c’est assez pertinent. Ce n’était donc pas un stoner movie mais bien un film qui reprenait une imagerie 70s assumée, donc psychédélique. Sauf que James Wan n’a pas ce coté ricaneur. Il embrasse réellement son mélange comme ce que devrait etre le blockbuster en 2023, sans etre un stoner movie débile. Car si il y a 40 ans, Star Wars et Lovecraft représentaient deux esthétiques et deux genres distincts, les eaux troubles d’internet comme l’avait bien senti les Wachowski ont lié toutes les esthétiques underground/rebelles/marginales par un jeu de motifs voire de rhizomes. James Wan ne fait que suivre cette voie, aussi bien dans ses œuvres d’horreurs entre Spielberg, Wes Craven et Johnnie To, que dans ses œuvres grands publics. C’est une sorte de Monsieur Loyal qui orchestre le cinéma comme un cirque dont il connait tellement bien les tours qu’il suffit de suivre le spectacle dont la fluidité révèle une certaine virtuosité. Il faudra l’admettre, James Wan est l’un des meilleurs cinéastes de sa génération à Hollywood, non pas par excellence mais par constance, et ça devient fou de faire comme si ce n’était pas le cas ! L’infection qui a lieu au début de Aquaman est semblable à celle de James Wan sur le cinéma de genres depuis 20 ans, le temps qu’on remarque l’impact des visions qu’il aura provoqué dans nos esprits (les trois franchises qui dominent le cinéma d’horreur depuis 20 ans viennent de lui, est-ce qu’on avait deja vu ça depuis Wes Craven ?), ce sera deja trop tard car il sera devenu le monstre venu des profondeurs des marges du cinéma pour reprendre un trône qui à l’aune de la rareté des Del Toro, Cameron, Spielberg et j’en passe devient vacant. La machine foraine n’a plus de moteurs depuis que ses anciens artisans se pensent philosophes ou font des introspections. Bref, encore un peu, et on dira que c’est le number Wan !

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