L’immortelle jeu avec le feu

Durant la Bête de Bonello, on pense directement à trois choses. Alain Resnais, Leos Carax et l’étrange récurrence du visage de Léa Seydoux, poupée-actrice donc à Satoshi Kon.

D’abord la SF à la Resnais ou disons plus largement dans une vision propre au nouveau roman même dans le ton des dialogues et des situations rappellent le cinéaste. Les jeux avec la matière même du cinéma, l’espace, le son, l’image, la lumière tout peut se contorsionner pour épouser les formes sinueuse de la rêverie. Car ce que l’on oublie de dire avec Resnais, c’est que sa SF n’est pas le double d’un réel fantasmé ou anticipé par une quelconque technologie, c’est souvent un cinéma qui se construit comme un double des rêves ou des souvenirs. Car si c’est deja assez sinueux de faire des doubles d’une situation bien réelle ou d’extrapoler sur des faits historiques ou scientifiques, le vertige des oeuvres de Resnais vient du fait qu’il extrapole par les moyens du cinéma des choses immatérielles, insondables, invérifiables…les rêves ou les souvenirs. Bonello tente cette meme aventure de donner de la matière à la conscience en mouvement, en remous. L’image elle-même est instable. Tout est doublé, mais jamais tout à fait un autre jamais tout à fait le même. C’est meme la vision gothique qui existe dans le cyberpunk (eh oui encore), il n’y a plus que des fantomes dans un monde d’images. Il n’y a que des images dans un monde de fantomes. La chair ne devient qu’un vaisseau des incarnations et des visions, il n’est pas étonnant qu’il y ait donc 3 personnages d’oracles. Les métempsychoses infinies des cyborgs se nourrissent des visions tragiques de leur propre mort qui ne vient jamais. Bien sur, c’est deja en germe chez Henry James. Comme les fantômes robots de Denis Villeneuve sont en germes chez Nabokov dans Feu Pale, livre qui est posé chez le personnage de K au début de Blade Runner 2049. Le meta n’a rien de postmoderne, c’est le point de départ de la modernité, chez Dante ou Cervantes, et comme dans toute bonne mythologie, c’est aussi sa fin, ce sont des oeuvres qui se situent les ruines de la modernité. Les fantômes sont partout, ils font écran, ils se superposent à notre regard. D’ailleurs Léa Seydoux est dans une simulation ? dans une ciné-mulation à la Carax. Elle rejoue tantôt ses rôles de chez Benoit Jacquot (ça tombe bien on va en reparler), tantôt ses rôles de jeunesse (dans le segment aux USA) qu’elle pouvait tenir dans les années 2000 chez Honoré ou Zlotowski. Elle semble piéger dans le labyrinthe du cinéma comme Delphine Seyrig dans l’année dernière à Marienbad. Il faut se rappeler que dans Je t’aime, je t’aime en dehors de l’argument de SF, Resnais se sert surtout de cette excuse pour refaire une romance de jeunesse comme ses camarades de la Nouvelle Vague, et la pousser dans ses retranchements les plus fondamentaux par le montage. Resnais prendrait un Moullet, un Rivette, ou un Truffaut, et ne garderait que les bribes d’une relation dont la mosaïque donnerait par la perspective du temps des souvenirs un paysage en ruine. Pourtant il y a autre chose qui semble traverser l’oeuvre, comme les poupées.

Le prologue laisse penser que Bonello va s’inscrire dans la voie de Holy Motors mais il dévoile en réalité qu’il est beaucoup plus intéressé par Annette. Il en suit d’abord les échos chromatiques, rouge et vert dans Annette, rouge et bleue chez Bonello. Puisque avec Seydoux, blue is the warmest color. Tellement chaud qu’il devient rouge de son propre sang dans l’eau. Plongée dans le liquide amniotique, la Seydoux du futur se rappelle qu’elle n’a jamais quitté le liquide de sa naissance qui la condamne à sa mort mais pourquoi ? Dans Annette lors d’un plan de voiture ou de moto, je ne me rappelle plus, une vision survient dans le ciel. On y voit se jouer les opéras et les tragédies qui mettent toujours en scène le meurtre d’une femme par un homme. Leos Carax dès le début de Annette rend la réalité poreuse pour nous faire ressentir que ce que l’on va voir, on l’a deja vu, on l’a deja vu car c’est la seule chose que l’on voit, c’est partout dans le cinéma, la littérature, l’opéra. Des hommes qui tuent des femmes. On pourrait croire bêtement que Leos Carax assimile tout ça a une vision romantique, à une tragédie quasi-cosmique. Mais non. La seconde partie de Annette nous fait bien comprendre qu’une fois la femme morte, il reste la poupée. Et avec une poupée…on peut faire de l’argent. Bonello redouble de scènes, et appuie avec son dispositif l’analogie, Léa Seydoux est une poupée. D’abord celle du cinéaste qui la manipule comme dans le prologue. Celle de la société qui la manipule comme dans le segment au début du 20eme (car c’est le siècles des images qui déborde). Celle de ses désirs qui sont utilisés contre elle dans le segment du futur car elle n’est pas assez rationnelle. Et celle du regard des hommes qui rêvent de la posséder, de la pénétrer vivante ou morte. En dehors de l’humanité elle n’existe que comme une poupée, et dans sa solitude, elle ne peut discuter qu’avec d’autres poupées. L’émancipation du cadre est impossible car il est démultiplier, tout la cadre, la recadre, la découpe, la morcelle. On pense bien sur à Millenium Actress et Perfect Blue avec lesquelles Bonello semble dialoguer 20 ans plus tard, plus qu’avec Lynch ou Aronofsky. Quand Bonello refait des séquences de Taxi Driver à L.A ou de De Palma. On pense bien sur à Blade Runner dans les séquences d’entretiens. On pense meme à Dreyer quand Seydoux pleure avec des gros plans que le cinéma actuel ne fait plus. En réalité on pense à beaucoup d’œuvres ou le regard masculin est explicitement une cible. Ce n’est donc pas un hasard si l’œuvre sonne aussi juste à l’aune des révélations de Godrèche sur Jacquot et Doillon. Bonello comme Carax et Satoshi Kon a compris ce que les autres voyaient, chez Seydoux, pour mieux le révéler dans la prison des images. C’est d’abord un corps pour eux avant d’etre une personne, un corps qui devient une image, comme les poupées faites de celluloïds, elles semblent réalistes, ce ne sont que des poupées. C’est ce à quoi une partie des images de plus d’un siècle d’images à condamner les femmes. Pourtant ce n’est pas aussi simple. Bonello met aussi en scène le désir de son actrice-personnage.

Elle aime, elle désire pourtant elle est confuse sur son propre état. Comme si le film lui meme luttait contre elle, en coupant ses tentatives de tendresse, de rapprochement. Chaque fois qu’elle tente d’assumer ses désirs, l’oeuvre se tord pour la remettre « à sa place ». L’étrangeté de la scène de sexe du divan après le tremblement de terre montre bien tout ça. La bizarrerie ne vient pas du montage, elle vient des dialogues, durant ce moment Seydoux passe son temps à faire des allusions sexuelles comme des invitations dans un dialogue qui semble anodin et qui semble ne plus l’etre une fois sur le divan. « I’m so glad you come inside » dit-elle dans sa grande maison vide des hauteurs de L.A, comme dans une production porno. D’ailleurs tout l’enjeu de la séquence est de savoir est-ce que quelqu’un va pénétrer la maison. La résistance est une chance, et une malédiction pour celle qui l’incarne, la somme des chiffres de l’appartement à L.A et de la chambre du futur pour les visions est 7. Le sacré est ironique dans les équations sommaires des différentes formes de tombeaux comme de société. Le revers des images jouent contre elle même lorsqu’elle veut s’émanciper, même lorsqu’elle est deja émancipée. Les vlogs que fait le personnage de Louis à Los Angeles sont en réalité des réinterprétations des vlogs de Eliott Rodger qui est l’un des étendards des « incels », ces individus qui ont construit un discours de haine des femmes. Mais qui en ont surtout fait toute une imagerie qui s’est répandu partout meme chez les gens qui les combattent. Que ce soit l’utilisation des termes « pilled » (sortie de Matrix), le fait de noter les individus, et tous les discours qui sont à l’origine de meme que vous utilisez parfois sans vous en rendre compte. Bonello met en scène le désordre pas si désordonné des images d’internet. D’ailleurs l’idée la plus bête et en même temps assez pertinente, c’est qu’un moment le personnage cherche des informations sur internet et peu importe le site ou elle cherche, les vidéos sur lesquelles elle tombe sont des extraits de Trash Humpers de Harmony Korine. Et il faut saluer que Bonello sait très bien que l’imagerie de Korine est aussi une forte matrice d’une partie d’internet pour le meilleur et pour le pire. Il n’y aurait rien que le cinéma n’aurait pas deja fait de toute façon, les images tournent en boucle peu importe l’écran. D’ailleurs il y a d’autres images qui sont évoquées, et que Bonello (qui pour le coup est l’un des cinéastes les plus au courant de ce qui se passe chez la jeunesse en terme de musique, d’esthétique et autre…) semble avoir pris de biais. Si Léa Seydoux est comme une poupée du futur, c’est qu’elle est deja dépossédée de son corps et de son image. L’œuvre commence sur un fond vert ou elle doit faire semblant de jouer. Les amateurs de jeu vidéo ont deja vu cette scène, dans les vidéos promo ou autres de Death Stranding. Le corps de Léa Seydoux est deja manipulable depuis que Kojima l’a capturé pour son jeu. Elle est d’ailleurs l’égérie (avec Elle Fanning), du prochain Death Stranding (https://www.youtube.com/watch?v=4NSjsZcojMM). Elle existe deja dans un ailleurs qu’elle ne contrôle plus, et dont même sa doublure numérique est condamnée à servir les fantasmes des joueurs qui sont à l’origine de la propagation des idées incels. Il est impossible de s’échapper de l’enfer des images car désormais les images se sont superposés à la réalité dans une angoisse Borgesienne. L’angle de Bonello se révèle beaucoup plus intéressant que le Chiha. La Bete n’est donc pas la niaiserie du temps qui passe, mais bien le monstre que nous alimentons et qui s’incarne par des avatars qui s’appellent parfois Doillon, parfois Weinstein, parfois Jacquot mais parfois un anonyme d’internet nourri aux visions des corps les plus déshumanisées ou parfois un ministre que le pouvoir temporaire rend intouchable. Sa cible est toujours la meme, et le zoom perçant de Bonello nous rappelle comme dans Les chambres rouges que l’on perd son âme dans le royaume des spectres. On devient aveugle à s’habituer aux images abjectes, aveugle à en pleurer.

je lisais le texte des Nouvelles du Front cinématographique (Saad Chakali & Alexia Roux) ici : https://www.facebook.com/photo?fbid=892288449570166&set=a.249307120534972

Et je remarque qu’à aucun moment n’est commentée de front l’esthétique propre à internet ou à l’ordinateur par laquelle commence l’œuvre. Peut-etre dans la critique publicitaire, peut-etre dans la contamination du fond vert, peut-etre dans celle de remake de Lynch ou de Cronenberg (qui comme par hasard n’ont jamais abordé de front cette esthétique, puisqu’ils ont arrêté une partie de leur cinéma au même moment ou l’internet devenait « une culture »). D’ailleurs Cronenberg quand il fait Maps to The Star fait un remake de Wild Palms du meme scénariste Bruce Wagner, sauf qu’il évacue comme par hasard, toute la partie sur la réalité virtuelle et internet présente dans Wild Palms (il y a meme un plan dans la série de Stone faite à l’époque avec écrit Maps to The Star…) et Existenz ne visait pas si juste que ça. Il y a un truc que je reconnais à Bonello, et que justement les gens que ça dépasse ou ne touche pas appelle « dandysme », c’est qu’il est toujours juste sur la culture qui travaille la jeunesse contemporaine depuis Nocturama. Et qu’il tente d’incorporer la grammaire qui vient de cette culture dans son cinéma avec plus ou moins de réussite. Probablement grâce à ses filles (ou sa fille ?), il est au courant des évolutions esthétiques et même des révolutions esthétiques des la dernière décennie (ce qui était aussi le cas de Lynch qui met Rammstein dans Lost Highway, autre « dandy »). Par exemple dans Nocturama, il était étonnant d’entendre que l’une des premières chansons que jouent les jeunes dans le centre commercial est I Dont Like de Chief Keef. Deux choses sur cette chanson, quand elle est apparue sur les internets en 2012, ce sont les internautes qui en font un succès car à l’époque la drill de Chicago était un rap underground beaucoup trop violent pour passer à la télé et pas encore assez influent pour passer à la radio. Et surtout c’était le fait de rappeurs et producteurs qui n’avaient même pas encore la vingtaine à l’époque. L’autre chose, c’est que ça a tout simplement révolutionné l’esthétique de la musique rap, ça a changé le cours de l’histoire de cette musique. Et c’était deja notable à l’époque non pas par le grand public, mais pas les auditeurs amateurs de rap. Étonnant donc dans un film de révolte de voir le son de révolté voire de barbare qui a changé l’esthétique de la musique underground comme pop, alors meme que l’on comprenait à peine l’étendu de ce changement. Surtout dans un film français. Difficile de ne pas voir qu’au moins sur ce plan, il visait juste, une justesse qu’il était facile d’ignorer pour un public qui n’avait aucune connexion avec la jeunesse de son temps.

Mais revenons à La Bete. L’œuvre démarre littéralement sur un cri de Léa Seydoux qui devient un glitch. Et c’est sur ce glitch que s’écrit le titre du film. Dans mon texte précédent je parle de Cervantes, car justement c’est ce dont il est question la porosité de la fiction sur le réel, la disparition d’une frontière. Bonello vous donne l’impression qu’il tente de dialoguer avec Lynch ou Cronenberg, effectivement dans une certaine mesure La Bete donne l’apparence de tout ça. On pourrait croire qu’il fait « comme si ». C’est si vous oubliez que tout ce que l’on vous montre est soumis au prisme d’une machine. En réalité il dialogue plus avec Satoshi Kon, Mamoru Oshii ou Les Wachwoski. Il y a un coté un peu ironique de lire le texte des Nouvelles du front sur Facebook, alors que justement le film semble « attaquer » autre chose sur leur propre domaine, l’interface. Truc dont personne ne parle, alors que c’est LE SUJET des gens de la Sillicon Valley. Ce pourquoi vous n’avez pas l’impression que vous regardez des images d’un ordinateur c’est juste qu’elles sont directement envoyés dans le cerveau de Seydoux. En gros l’interface a disparu ou elle s’est superposée à l’ensemble de la réalité donc aux images de cinéma. C’est bien le reve capitaliste ultime des gens de la Sillicon Valley, une interface tellement intuitive qu’elle briserait la frontière entre l’homme et la machine. C’est d’ailleurs la fièvre qui emporte les réseaux depuis quelques jours avec le nouveau joujou de Apple. Sauf que l’interface mixe tout à tout les niveaux. Sur Facebook, il y a une petite décennie, on pouvait voir en scrollant quelqu’un prendre un coup de couteau, les résultats du football, les nouvelles d’une connaissance du lycée et une image voire une séquence dans chef-d’oeuvre du cinéma, disons par exemple celle d’un film de Lynch. Tout ça en quelques secondes. Ce que les gens qui sont restés sur cette plateforme n’ont pas remarqué ou qui ne font pas l’examen de leur rapport à cette dernière, c’est que l’interface les a plié à ses règles, en gros elle vous avait habitué à considérer tout ça comme normal. Et toutes les interfaces servent à ça, il serait bien présomptueux de croire que vous n’y êtes pas sujets. Bonello tente cela également, en réalité il travaille tout ça depuis Nocturama mais selon moi il parvient ici à toucher l’impasse des machines. Les recadrages et décadrages fonctionnent comme des fenêtres sur un écran d’ordinateur. Les images sont découpés car comme le corps de Léa Seydoux, elles doivent obéir à l’esthétique de l’interface. On pourrait aller un peu loin dans ce que fait Bonello de tout ça.

De la meme manière qu’il y a 20 ans les Wachowski utilisaient la grammaire propre à la jeune culture internet, par exemple lorsque Neo doit prendre un « cookie » chez l’Oracle (personnage récurrant dans La Bete également), Bonello s’inscrit dans ça. Entre temps, le cinéma s’est chargé de pousser tout ça plus loin avec notamment Unfriended et surtout Unfriended : Dark Web qui sont des œuvres beaucoup plus intéressantes que ce que l’on croit puisque justement elles dramatisent l’interface, et si vous répondez au drame c’est que vous reconnaissez soit votre habitude face à cette dernière, soit son caractère intuitif, en gros vous pensez et ressentez les choses comme l’ordinateur vous appris à le faire. Chez Bonello ça se traduit à plusieurs niveaux. Par exemple dans le segment du début du XXeme siècle, il y a une inondation à Paris. Si justement on ne comprend pas que c’est dans un programme alors, on pourrait se dire que c’est une traduction romantique du débordement des sentiments du personnage. Dans la société muselée de l’époque surtout pour les femmes, les éléments eux-mêmes appellent l’amour des personnages. Mais on peut également se dire que dans le programme dans lequel est Léa Seydoux, ses émotions « flood » le programme. Et que justement si le flux des images s’arrêtent à ce moment pour laisser place à des photos, comme si c’était une fenêtre de chargement, c’est qu’elle a flood la machine qui n’est pas censé accepter cette passion. On pourrait même dire qu’elle a DDoS la simulation de l’intérieure. DDoS qui signifie Distributed Denial of Service. C’est quand on flood, on inonde un serveur de requêtes jusqu’à ce qu’il crash. Si le serveur plante c’est justement car il ne peut pas répondre aux requêtes qui sont trop nombreuses ou trop complexes. Comme par exemple de demander à une machine de comprendre le tiraillement amoureux ou la confusion au coeur d’un adultère. La machine est dans le déni, victime du flood, le serveur crash et les gens dans la simulation meurt. Le serveur cet endroit ou tout est stocké, tout est manufacturé…comme une usine de poupées.

Une autre séquence se joue comme ça. Quand le Louis incel débarque dans la maison, et avant ça dans l’oeuvre, il infuse son esthétique de vlog. Je m’arrête un peu sur ça, le « lore » incel comme on le dit de nos jours sur internet doit beaucoup au cinéma (je vous conseille de rechercher le meme « litterally me ») ou justement à la vision offensive des Wachowski, car devenir un Incel ou un néo fasciste des internets, c’est devenir « redpilled ». Et si vous pensez que c’est marginal, vous vous trompez car cette partie d’internet a fait la campagne de Trump en 2016 avec le plan de Steve Bannon (qui avait appris à « manipuler la jeunesse » de internet quand il gérait des trucs de jeux vidéo à Hong-Kong) d’utiliser les codes de ces gens pour les rallier à la cause. C’est de cette porosité dont il s’agit. Louis incel introduit un système. Pour tenter de chasser l’intru, le corps étranger, voire le virus. Seydoux va dans une panic room, mais dans le programme ça semble surtout etre une backdoor (porte dérobée) sur internet ou du moins sur les machines. Les backdoors sont les failles de logiciels dans lesquels ont peut s’immiscer pour les pirater de l’intérieur. Ce que Seydoux tente de faire, elle tente d’empêcher sa mort, en « raisonnant » l’incel ce qui ne correspond pas aux programmes. Et donc le programme fait ce que n’importe quel utilisateur d’ordinateur attend qu’il fasse, il crashe. C’est une erreur système. Tu as beau refaire la manipulation autant de fois que tu veux, par l’angle que tu veux, tu ne peux pas déjouer le programme. La grammaire du cinéma de Bonello va se plier à la grammaire d’internet à ce moment, c’est l’horreur des images de l’époque. Il n’y a pas de « en meme temps » puisqu’il n’y a pas de choses à hierarchiser, à catégoriser ou à comparer, tout défile pareil sur votre écran d’ordinateur ou de portable. Je rejoins que c’est un terrible constat, mais je crois que le film également.

Comme disait Julien Abadie à la sortie du dernier Matrix, Bonello tente un film de « Hacoeur ». Je rejoins au final la vision des Nouvelles du front sur l’impasse finale. Sauf que je ne crois pas que ce soit de la collapsologie ou autre, car toute l’oeuvre montre que le personnage de Seydoux tente de sortir de la machine et qu’elle n’y arrive pas. Le monde ne s’effondre pas, ni la société, ni le capitalisme dans La Bete. C’est à ce niveau que meme Bonello avoue être « soumis » comme nous tous avec son QR code qui justement choque puisqu’il appuie que tout ça n’était qu’un programme (c’est d’ailleurs ce que faisait les Wachowski, le film valait autant comme une œuvre de cinéma que comme un happening dans l’industrie hollywoodienne de l’époque, ce n’est donc pas très à la mode ou ce que font par exemple les cinéastes derrière les différentes oeuvres omnibus V/H/S depuis une décennie), une interface. Il est le versant pessimiste des Wachowski. Et je vois plus son geste comme celui d’un musicien qui tenterait de saisir quelque chose de l’époque par sa musique comme une texture du monde à un instant T, comme un bluesman qui aurait pactisé avec des forces qui le dépasse pour produire des chansons qu’il espère vont toucher le plus de monde à travers les peines prosaïques d’exister dans cette configuration du monde, dans ce programme , plus qu’un cinéaste qui a des grandes ambitions de nous montrer une quelconque fin du monde ou de la suggérer. Justement le fait de dire qu’il est bloqué dans les années 90-2000 puis après de dire qu’il est à la mode, rappelle une partie de la musique pop et indé actuelle. La Bete serait plus une chanson mélancolique sur la dépression inhérente aux propisitions de vie du monde occidental qu’un grand tract apocalyptique. Eh oui ce n’est pas une vision sur laquelle on peut construire quelque chose, mais je ne pense pas que le cinéma de Bonello ait jamais eu cette ambition, cinéma dont l’une des plus belles séquences reste pour moi celle de Helmut Berger jouant un Saint-Laurent vieux qui regarde les Damnés de Visconti. Un cinéaste qui s’est approprié les zombies et Damso dans la meme oeuvre me semble etre au fait d’un certain blues de l’époque. Le blues diffuse la douleur comme une expérience esthétique qui nous rappelle que l’on a vécu, que l’on va vivre, et que l’expérience meme de la musique temoigne de notre vitalité malgré tout. Les larmes aussi.

Après à noter que je suis un grand amateur du cinéma de Robbe-Grillet je l’admets donc ceci explique peut-etre cela ! Dans ce cas désolé pour ce désagrément.

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