L’internationale confusionniste

Difficile de savoir qui fait quoi !

Argylle et Pauvres Créatures sont un peu la même œuvre par deux genres différents.

– Une femme retrouve petit à petit la mémoire à travers le désossement des fictions qui structurent sa vie.

Elle remet en cause les institutions invisibles et les idées qui ont conditionné son existence.

– Elle vit une épiphanie en France après avoir voyagé en Europe et aux alentours de la méditerrané.

– Elle est accompagnée d’un homme-enfant qui parfois devient une figure patriarcale abusive. Dans les deux cas son « créateur » reste dans son laboratoire et surveille qu’elle achève sa mission qui est la quête de son identité. Les créateurs sont joués par des acteurs de la même génération presque du même cinéma.

– Les deux cinéastes font référence à des genres, des esthétiques et des formes qui viennent des années 20, donc qui sont centenaires comme pour « reboot » une histoire du cinéma au féminin. Les deux cinéastes font d’ailleurs référence à Fritz Lang qui a posé les bases formelles des deux genres.

-Les deux se perdent dans les délires identitaires et flirtent avec l’impasse de la nouvelle religion du « développement personnel »

(je dois quand meme avouer que le Lanthimos « met une vitesse » comme diraient les jeunes à Matthew Vaughn)

Mais ça va un peu plus loin si on rajoute des œuvres de ces deux ou trois semaines. La sororité serait d’abord une anamnèse. Celle du refoulé de la mémoire qui déborde à en vomir. Après tout en Occident, les Moires sont bien les sœurs qui gardent et tissent le temps pour rappeler aux hommes leur condition. C’est le grand retour des éternelles des moires comme les figures d’un féminisme qui n’aurait ni début ni fin. Le grand cycle.

La machine de mémoire akashique ou l’éventuel pouvoir du cinématographe.

Dans Madame Web, le personnage éponyme voit le futur. L’oeuvre opère le meme mouvement que les deux autres citées. Sauf qu’au lieu de citer les années 20, on cite le cinéma d’il y a 20 ans. Bref le film est un mix entre les deux grosses productions qui dominaient Hollywood il y a 20 ans, les slasher « meta » et la vague de films de superhéros (souvent New-yorkais). Au détour d’une scène on cite Destination Finale 2, et meme on y utilise la musique de I Know What You Did Last Summer. Mais là n’est pas l’intérêt du machin (en réalité l’intérêt ce sont les actrices !), c’est surtout que Madame Web est une moire qui prend sous son aile des jeunes femmes marginales, en gros, elle constitue une sororité. Mais tout ça lui est révélée après qu’elle même ait la vison à travers une anamnèse qui serait plus une analogie de trip d’ayahuasca qu’un délire de superhéros. En gros elle a des visions de sa propre naissance et même d’avant, quand elle va plonger dans un bain mystique péruvien. Liquide amniotique qui permet aussi l’anamnèse dans La Bête de Bonello ou Léa Seydoux voyage dans sa filmo comme dans ses vies antérieures. Dans toutes ces œuvres, les femmes vomissent ou pleurent (parfois les deux) de retrouver la mémoire pour éviter leur propre mort broyer dans une machine masculine. Et dans trois d’entre elles, il y a un oiseau qui rentre dans l’appartement pour signifier le mauvais présage. Quelle étrange expérience que des cinéastes et des œuvres aussi différentes dressent le même tableau en si peu de temps. Et pour avoir un peu somnoler pendant Argylle et Madame Web (oui je sais je devrais regarder moins de conneries), j’avais l’étrange sensation de voir le même film qui ne s’arrêtait pas avec des femmes amnésiques dans des labyrinthes spatio-temporelles. Les poupées sont en réalité des poupées russes.

Aussi à l’aune de la résonance des 4 films, je ne peux esquiver la pensée d’une interview de Godrèche qui dit qu’elle a voulu prendre la parole après son visionnage d’un documentaire sur Jacquot. Sans savoir pourquoi elle a vomi, et les souvenirs qui sont remontés étaient désormais insupportables.

Si les images de cinéma n’ont pas prévu l’époque, elles l’accompagnent avec un bien étrange écho.

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